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Richard Martineau qui parle d'économie, quossa donne?

Dans votre dernier billet de blogue, vous affichez une arrogance à l'égard des analphabètes économiques. Je ne vous en tiens pas rigueur, puisqu'il m'arrive souvent aussi de m'exaspérer devant le peu de connaissances économiques des gens. Le seul problème, c'est que vous êtes vous aussi un analphabète économique, malgré vos bonnes intentions.
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Monsieur Martineau,

Dans votre billet L'économie, quossa donne?, vous affichez une arrogance à l'égard des analphabètes économiques. Je ne vous en tiens pas rigueur puisqu'il m'arrive souvent aussi de m'exaspérer devant le peu de connaissances économiques des gens en général. Le seul problème, c'est que vous êtes vous aussi un analphabète économique, malgré vos bonnes intentions.

Vous affirmez avoir «53 ans, je travaille depuis l'âge de 18 ans, et j'ai été prévoyant, j'ai mis de l'argent de côté et dans quelques années ma maison sera payée. Bref, tout va bien pour mon petit nombril (...) Mais c'est à vous que je pense. La dette qu'on est en train de creuser, c'est vous que ça va affecter, c'est vous qui allez la payer, c'est votre avenir qu'elle va hypothéquer.» Je ne vois pas les choses du même angle. Avant d'entamer le sujet principal, j'aimerais vous rappeler que l'éclatement de la bulle immobilière frappera probablement des maisons comme la vôtre en premier. Le «quelques années» vous restant à payer votre hypothèque risque fort d'être englouti par la dévaluation imminente de votre maison.

Depuis votre grand virage à droite, vous semblez avoir découvert un grand secret économique en appliquant votre situation personnelle à l'ensemble de l'économie et de la politique. Si moi je suis capable de payer mes comptes et d'équilibrer mon budget à la fin du mois, l'État devrait pouvoir faire pareil. Eurêka! Voilà votre vision simpliste du gros bon sens de l'économie que vous nous exposez de toutes les façons possibles dans le Journal depuis plusieurs années. Est-ce que vous savez ce qu'est l'argent monsieur Martineau?

La dette nette de l'ensemble des provinces est de 525 milliards et celle du Canada avoisine les 625 milliards à l'heure d'écrire ces lignes. La dette des Canadiens pour le crédit à la consommation et les hypothèques était d'environ 1 600 milliards en 2013.

Au minimum, nous avons collectivement 2 750 milliards de dette. Savez-vous combien d'argent en circulation il y au Canada? Il y a 71,5 milliards d'argent cash en circulation au Canada et il y a en tout 1 814 milliards de dollars si on prend la masse monétaire la plus libérale en allant gratter ce que vous avez mis de côté pour vos vieux jours pour la déclarer comme monnaie utilisable dès maintenant. Une pensée plus conservatrice dirait qu'il y a 1 262 milliards de dollars en utilisant la masse M2. À l'heure actuelle, si on remboursait nos dettes immédiatement, il resterait zéro dollar en circulation dans l'économie et nous serions encore endettés collectivement de plusieurs centaines de milliards de dollars puisque l'argent en circulation n'est rien d'autre qu'une partie des dettes accumulées. L'argent est toujours dans le futur mon cher Richard, comme les promesses de paiement, même si l'on paye présentement des intérêts sur 2 750 milliards qui n'existent pas vraiment.

Nous sommes tous dans la même situation puisque Macao, les Îles Vierges britanniques, le sultanat de Brunei, le Liechtenstein et le Palau sont les seuls pays au monde sans dette. J'entends déjà l'objection qu'il faut regarder nos revenus par rapport aux dettes ou à la masse monétaire. Allons-y globalement pour voir l'État des finances mondiales. Sur la planète Terre, nous sommes endettés à 313% du PIB mondial. Il va en falloir en couper des fonctionnaires et des sorties au resto pour équilibrer bientôt notre budget, n'est-ce pas?

Nous sommes endettés les uns envers les autres de dizaines de façons différentes. Ce n'est pas de l'argent que vous avez mis de côté pour vos vieux jours, vous avez simplement accumulé la dette des autres par votre travail et la bonne gestion de vos économies. Pour soutenir ce système monétaire basé sur la dette privée, d'autres personnes, d'autres gouvernements. d'ici et d'ailleurs, devront assurément s'endetter davantage pour vous payer ce que la banque vous doit dans le futur aussi. C'est là qu'il y a un problème et vous ne le voyez tout simplement pas en raison de votre approche trop simpliste de la situation.

La croissance économique éternelle basée sur l'esprit du toujours plus de productivité, plus de consommation pour payer toujours plus d'intérêt sur la dette est tranquillement en train de se transformer en faillite collective. Vous en voyez les effets, monsieur Martineau, mais vous n'en comprenez pas les causes. Vous ne visez pas la bonne cible. Vous êtes près du but en ayant au moins compris que presque tout l'argent dû l'est à ceux qui contrôlent le pouvoir de créer de l'argent par la dette et qui font, comme par hasard, des profits records année après année.

N'avez-vous pas eu également votre leçon en 2008 quand l'économie mondiale s'est affaissée, causant des déficits monstrueux dont nous peinons toujours à combattre, uniquement parce que quelques banques américaines et la Grèce étaient en train de faire faillite? La mondialisation des marchés a aussi entraîné la mondialisation des problèmes économiques. Votre avenir ne dépend plus seulement des décisions à Québec et Ottawa.

Vous n'êtes pas le seul dans cette situation, les gouvernements n'ont rien appris non plus et nous possédons toujours 29 banques systémiques. 29 bombes nucléaires économiques en compétition les unes contres les autres qui peuvent ruiner votre retraite à tout moment si seulement l'une d'elle fait faillite. Vous croyez vraiment qu'elles ont appris de leurs erreurs passées?

Votre avenir dépendra d'une croissance économique stable à plus de 3% par année pendant encore 25 ans et j'ai des mauvaises nouvelles pour vous: ça n'arrivera pas, parce que le principal moteur du capitalisme et de la croissance, le pétrole, nous quitte tranquillement, mais surement.

Regardez bien cette image:

Voilà la somme du travail de l'humanité depuis que vous êtes né. Vous ne remarquez pas que plus nous sommes productifs, moins nous avons les moyens? De plus, si vous voulez vraiment vous inquiéter pour l'avenir des jeunes, je vous suggère de fixer cette ligne verte sur la photo pendant quelques instants et imaginez où sera la ligne en 2045 ou en 2080? Si l'on continue notre croissance au rythme des cinq dernières années, le PIB mondial serait de 237 595 milliards ($ US) en 2045 et de 866 930 milliards ($ US) en 2080 soit l'équivalent de 11,5 fois l'activité économique mondiale de cette année. Ce qui veut aussi dire 11,5 fois plus d'énergie à consommer, 11,5 fois plus de dettes à contracter et 11,5 fois plus de T-shirt à produire...

Pourrons-nous supporter le rythme encore longtemps sans craquer collectivement? Combien de temps avant que le manque de ressources naturelles vienne mettre un frein à la surconsommation, nécessaire à la croissance et votre avenir financier?

En terminant, je suis bien d'accord avec vous qu'on devrait enseigner l'économie dans les écoles. On devrait même commencer par cette magnifique analyse dans le Harvard buisness review, le profit sans prospérité, qui nous apprend que l'économie américaine est sur une dangereuse pente descendante et que les conditions d'une crise pire que 1929 sont sur le point d'être réunies à cause des écarts de richesse, ou comment le néolibéralisme tue l'économie américaine à petit feu depuis les années 70...

Il est effectivement urgent d'enseigner tous ces faits à nos enfants, n'est-ce pas monsieur Martineau?

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