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Junkie de la croissance économique

Même si la croissance était au rendez-vous en 2015, est-ce que quelqu'un saurait quoi en faire?
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C'est l'éternelle répétition dans les médias avec les prédictions sur le retour possible de la croissance ou non pour la nouvelle année. Les mêmes bons vieux clichés sont utilités à outrance pour décrire la situation, mes favoris étant que « les moteurs de l'économie tournent au ralenti » et « la confiance des consommateurs est à son plus bas ».

J'ai deux grandes nouvelles pour ces perroquets économiques. La première étant, parce qu'ils ont souvent tendance à l'oublier, que les vrais moteurs de l'économie ne sont pas les grandes entreprises, mais bien ces mêmes consommateurs qui n'ont plus confiance au système! La deuxième est que la croissance stable au-dessus de 3% par année est terminée depuis 1975 dans les pays industrialisés. Je ne sais même pas pourquoi on semble déçu du résultat ou qu'on pose la question si cette année sera la bonne quand les résultats sont assez prévisibles depuis longtemps. Et même si la croissance était au rendez-vous en 2015, est-ce que quelqu'un saurait quoi en faire? Au mieux, il y aurait quelques milliards de plus dans les paradis fiscaux. Ce serait de toute façon un coup d'épée dans l'eau quand on regarde le portrait dans son ensemble.

La période entre 1945 et 1975 se nomme « les Trente Glorieuses » en raison de la croissance stable autour de 5-6% que les pays industrialisés aient connu. Avec le temps, constatant un ralentissent des grandes économies autour de 2%, l'expression «Trente Piteuses» a trouvé son chemin pour décrire l'époque économique que nous vivons. L'économiste français Bertrand Jacquillat décrit très bien la situation dans une courte chronique publiée l'an dernier : Les Trente Glorieuses et les Trente Piteuses. Et si la croissance ne revenait jamais ?

Aujourd'hui encore, on s'imagine souvent que la mauvaise parenthèse des «Trente Piteuses» (qui en réalité seront bientôt 35 voire 40 années), qui correspond à cette période de décélération, va bientôt se refermer, que ce mauvais rêve va se terminer, et que tout va recommencer comme avant.

Il est permis d'en douter si l'on s'interroge sur le pourquoi des Trente Glorieuses. Elles ont correspondu à un phénomène de rattrapage et de reconstruction après les deux guerres mondiales qui avaient détruit une partie significative du potentiel économique européen et français, comblant le formidable retard qui s'en était suivi. Si l'on prend une perspective historique encore plus vaste, les Trente Glorieuses et l'époque moderne apparaissent encore plus singulières. La croissance de la production totale mondiale a été nulle durant le premier millénaire de notre ère. Elle s'est péniblement hissée à 0,5 % l'an entre 1700 et 1820, à 1,5 %/2 % entre 1890 et 1950 puis 4 % entre 1950 et 1990. Elle devrait retomber en dessous de 2 % dès 2040, lorsque les transitions démographiques et économiques des pays émergents auront opéré. C'est très progressivement que certains économistes ont pris conscience de ce phénomène et du contexte exceptionnel dans lequel ont vécu les baby- boomers.

L'économie basée sur la croissance n'est qu'un entonnoir vers une seule bonne réponse : 3 à 4% de croissance par année perpétuellement. Plus bas que 3% c'est la crise, plus haut que 4% c'est impossible de soutenir le rythme à long terme, sauf pour l'exception chinoise. La croissance économique canadienne pour la période 2010-2014 a été de 2,41% et ce résultat est jugé insatisfaisant puisque la barre magique du 3% n'a pas été franchie.

Je ne crois pas qu'on réalise correctement aujourd'hui l'ampleur de cette stupidité qu'est la tyrannie de la croissance forcée à 3%. Nous réalisons encore moins le danger de continuer dans cette même voie. C'est pourtant sur ce sujet que les amateurs du gros bon sens économique devraient se manifester avec une formule toute simple à dire : tout ce qui grossit sans arrêt fini par exploser! Cette règle semble pourtant universelle sauf pour la croissance économique de cette planète.

« La plus grande faiblesse de l'espèce humaine vient de son incapacité à comprendre la fonction exponentielle. » Dr Albert Allen Bartlett, professeur émérite de physique de l'université du Colorado

Voici un exemple fortement inspiré d'une lecture du Dr Bartlett sur la dangerosité d'une croissance perpétuelle dans un environnement aux ressources limitées avec 3 questions qui aident à comprendre les pièges de la fonction exponentielle. L'exemple utilisé sera celui d'une colonie de bactéries évoluant dans une bouteille pendant une heure. La situation est qu'à 11 :00 AM, une bactérie a été mise dans une bouteille. Doublant en nombre chaque minute, elles vont remplir la bouteille à midi.

  • Question #1 : À quelle heure la bouteille sera remplie à moitié?
  • Question #2 : Selon vous, à quel moment la colonie de bactérie se rendrait-elle compte que l'espace dans la bouteille sera bientôt insuffisant?
  • Question #3: En supposant que les bactéries veulent continuer de croître au même rythme en doublant chaque minute, combien de bouteilles devraient-elles trouver pour survivre une heure de plus passé l'heure de midi?

Pour la #2, on voit que même à 11 :50, les bactéries auraient eu encore 1031 fois plus d'espace libre que la place qu'elles occupent à l'intérieur de la bouteille. Le but général de l'exercice ainsi que message principal du Dr Bartlett n'est pas de prouver que la fonction exponentielle produit des gros chiffres en peu d'équation ou qu'on va consommer la Terre jusqu'à sa dernière roche d'ici peu, mais bien démontrer qu'on devrait fortement se méfier de tout ce qui grossit de façon exponentielle en se demandant pourquoi on le fait et vers ou on se dirige. Non seulement, on ne s'en méfie pas, mais la croissance perpétuelle est notre cible à atteindre.

Plusieurs doivent se demander quel est le lien entre une histoire fictive de bactérie dans une bouteille et notre économie complexe et mondialisée? Le lien s'appelle le temps de doublement (ou la règle des 72) car l'économie double en volume, comme les bactéries dans la bouteille, en prenant plus seulement un peu plus de temps et à la différence qu'il n'y a qu'une bouteille disponible jusqu'à ce qu'on maîtrise parfaitement les voyages sur d'autres planètes.

La prochaine image permet de bien visualiser les dernières périodes de doublement et les mettre en contextes les unes avec les autres. Si vous avez de la difficulté à voir le doublement, faites semblant que vous pliez les cases une par dessus l'autre en partant de la plus petite verte jusqu'à la case #1 et ainsi de suite...

Nous sommes maintenant dans la case #4, ce qui veut dire que pour doubler, à l'intérieur de cette période entre 2012 et 2033 approximativement, nous allons devoir travailler et consommer l'équivalent de tous les autres cases qui précèdent le #4 pour mieux recommencer ensuite. C'est difficile de bien saisir à quel point ce qu'on a fait dans les 75 dernières années sera insignifiant comparativement à la taille qu'aurait l'économie dans 75 ans, si l'on continue au même rythme.

C'est impossible de continuer au même rythme, l'humanité complète semble fatigué et regardez la taille du défi des prochaines décennies pour soutenir ce système de croissance. Le problème réside dans le fait qu'on ira jusqu'au bout en fonçant tête baissé. Les grandes entreprises, les banques, les gouvernements, les médias et une bonne partie de la population vont continuer de croire à la croissance de façon consciente ou pas, peu importe le prix social à payer et les conséquences générales.

Il reste alors la possibilité de changer de mentalité et ça peut se faire à tout moment. Le minimum serait de ne plus se laisser impressionner par les mauvaises nouvelles économiques. Vous pouvez également jeter aux poubelles, sans aucun compromis, les discours comme ceux de Lucien Bouchard qui vous dit d'aller travailler plus fort au nom de la sainte productivité. Qu'il aille se prendre un deuxième emploi les soirs ou fins de semaine si l'économie de croissance lui tient tant que ça à cœur.

Il suffit simplement de ne plus accepter les caprices de ceux qui croient encore au compte de fée de la croissance économique éternelle. Ensuite, agissez avec la même approche que vous le feriez pour une secte religieuse qui veut imposer ses croyances à gauche comme à droite, car la croissance économique est bel et bien un dogme.

J'y reviendrai un autre fois avec ce qu'on peut concrètement faire, mais je n'ai pas de recette magique à donner et la révolution n'arrivera pas demain. Le monde n'est pas le Canada, encore moins le Québec, et ce monde est dépendant de la croissance. On ne changera rien dans l'équation finale. Il serait même odieux d'aller dire aux pays qui développent leurs économies capitalistes de ralentir la cadence pour sauver le monde, alors qu'on a bâti nos sociétés occidentales en pillant ces mêmes pays.

«Utilisons la métaphore des premiers essais de vol. L'homme en avion, prends son envol d'une très haute colline. L'avion bat des ailes et l'homme est au commande, le vent souffle et le pauvre bougre croit voler alors qu'il est en chute libre. Il ne le sait pas parce que la terre est encore loin, mais l'engin est destiné à s'écraser. C'est pareil pour notre civilisation. La très haute colline représente les ressources illimitées qu'on croyait avoir au début du voyage. L'avion ne vole pas parce qu'on n'a pas tenu compte des lois de l'aérodynamique des civilisations qui volent» -Ray Anderson 1934-2011, capitaliste et PDG d'une des plus grandes entreprises de tapis commerciaux au monde (Interface Inc). Pris du film The Corporation ( avec la citation détaillée et exacte de Ray Anderson ici)

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