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Vivre une révolution politique: déroutant, mais palpitant!

Dix ans ont passé depuis la Révolution en Tunisie, mais les reportages publiés depuis un mois pour souligner la première décennie de ce bouleversement historique me font replonger dans l’intensité de ces semaines fort agitées.
Des manifestants crient des slogans contre les retombées du régime de l'ancien président Zine El Abidine Ben Ali dans le gouvernement intérimaire, lors d'une manifestation à Tunis, en Tunisie, le 24 janvier 2011.
ASSOCIATED PRESS Photo/Christophe Ena
Des manifestants crient des slogans contre les retombées du régime de l'ancien président Zine El Abidine Ben Ali dans le gouvernement intérimaire, lors d'une manifestation à Tunis, en Tunisie, le 24 janvier 2011.

Le 14 janvier 2011, j’étais sur place en Tunisie, pays qui a déclenché le Printemps arabe.

J’y vivais avec ma femme et mes deux filles, comme expatrié, à l’emploi depuis 2007 de la Banque africaine de développement, une institution vouée au développement de l’Afrique.

Je garde une mémoire vive de ces événements, qui ont été les plus singuliers de ma vie.

Dix ans ont passé depuis, mais les reportages publiés depuis un mois pour souligner la première décennie de ce bouleversement historique me font replonger dans l’intensité de ces semaines fort agitées.

La Tunisie, un pays bâillonné

C’était quoi la Tunisie avant le Printemps arabe? Un pays de soleil, certes agréable, mais pas à la hauteur sur le plan politique et économique.

Retour en 2010, un peu avant le début des révoltes: le pays n’a été dirigé depuis son indépendance que par deux hommes, Bourguiba (1956-1987), puis par Ben Ali. Des photos du dictateur sont affichées partout, les médias chantent ses louanges au quotidien. Le pays semble stagnant.

Puis, en décembre 2010, un ami tunisien me rapporte avec dépit la tragédie d’un vendeur ambulant dans une localité méconnue de la Tunisie, Sidi Bouzid.

Un jeune homme de 26 ans, du nom de Mohammed Bouazizi, s’est immolé après s’être vu dérober par la police son petit commerce d’aliments périssables, faute de permis.

Les jours suivants, dans les cafés, au lieu de parler de «foot» (soccer), les badauds se relaient des images de révoltes captées sur Facebook, Twitter: des citoyens indignés par le désespoir de Bouazizi ont pris la rue dans des villes au sud du pays pour exprimer leur ras-le-bol face au manque d’emplois, la corruption, l’absence de liberté.

Ces manifestations sont durement réprimées. Mais elles se poursuivent.

“Je me souviens particulièrement du mercredi 12 janvier 2011. C’est la pause du midi, je fais une marche au centre-ville de Tunis. Une quantité impressionnante de flics y est déployée. On les sent nerveux, sur le qui-vive. La tension est à couper au couteau.”

Ben Ali sent alors manifestement la marmite chauffer, et commence à promettre des changements: la création d’emplois, plus de liberté.

Quand le mouvement de protestation, initié par les régions délaissées à l’intérieur du pays, monte vers le nord, et donc vers Tunis, la capitale, la marmite maintenant bouillonne.

Je me souviens particulièrement du mercredi 12 janvier 2011. C’est la pause du midi, je fais une marche au centre-ville de Tunis. Une quantité impressionnante de flics y est déployée. On les sent nerveux, sur le qui-vive. La tension est à couper au couteau.

Le vendredi 14 janvier, en après-midi, une grosse manifestation est prévue. La foule s’entasse sur l’avenue Bourguiba, au centre-ville. Sur des pancartes, on lit: Ben Ali, dégage!

Puis, tôt en soirée, trois hommes liés au pouvoir se présentent à la télé. Ils annoncent la fuite de Ben Ali hors du pays! Debout devant mon écran, je m’effondre à genoux tellement cette nouvelle est inattendue.

Un quotidien devenu incertain

Du coup, la vie quotidienne bascule, du tout au tout.

Dès le lendemain, l’aéroport de Tunis est envahi par des étrangers, expatriés et touristes, voulant quitter séance tenante.

Alors que je me suis toujours senti très à l’aise dans ce pays, me voilà inquiet pour la sécurité de ma famille. Nous préparons nos valises, au cas où il faudrait quitter précipitamment.

Je ne suis pas le seul à craindre la suite des choses. Les Tunisiens établissent des barrières la nuit dans leurs quartiers, avec des moyens de fortune (barils, grillages, bouts de bois) pour les protéger de la venue de pilleurs potentiels.

Protection des quartiers
Courtoisie de l'auteur
Protection des quartiers

De nature auparavant discrète, l’armée déploie des chars d’assaut sur les grandes artères.

Les résidences de membre du clan Ben Ali, notamment celles de sa belle-famille, les Trabelsi, vue comme des profiteurs qui se sont enrichis frauduleusement, sont vandalisées.

Alors que les Tunisiens ne manifestaient jamais auparavant, les voilà descendus régulièrement dans la rue pour exiger la mise à l’écart des dirigeants liés au régime; ou pour de meilleures conditions de travail.

Le jour, les visages sont généralement anxieux. Les rumeurs, souvent fausses, se multiplient et alimentent l’inquiétude.

Maison saccagée de B. Tabelsi
Courtoisie de l'auteur
Maison saccagée de B. Tabelsi

Le soir, c’est le couvre-feu: interdiction de circuler. Nous vivons à environ deux kilomètres de l’ancien palais de Ben Ali et, la nuit, on entend des coups de feu, les hélicoptères de l’armée volent bas dans le ciel, faisant un bruit intimidant.

On nous avise de ne pas s’attarder aux fenêtres et risquer de prendre une balle perdue.

Bref, le pays si calme et plat que j’ai connu est devenu méconnaissable. La parole se libère, les médias délaissent la langue de bois, de nouveaux partis politiques naissent à tous les jours.

Petit à petit, au fil des semaines, la situation se stabilise, un tant soit peu.

Fin août 2011, après quatre ans dans le pays, nous devons revenir au Québec. Mais porteurs de souvenirs impérissables, ceux du cheminement d’un peuple vers sa liberté.

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