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Viande en laboratoire: qui sont ces nouveaux agriculteurs en sarrau?

Les nouveaux agriculteurs n’élèvent plus d’animaux, mais des cellules de ces bêtes pour fabriquer de la viande en laboratoire. Et le Québec, là-dedans?
Le hamburger servi par les géants de la restauration rapide pourrait bientôt être conçu avec des cellules de bœuf élevées en laboratoire.
David Parry / Reuters
Le hamburger servi par les géants de la restauration rapide pourrait bientôt être conçu avec des cellules de bœuf élevées en laboratoire.

Depuis 10 000 ans, les agriculteurs élèvent des vaches, des poulets ou des porcs à la ferme. Mais on assiste à une seconde domestication! Les nouveaux agriculteurs n’élèvent plus d’animaux, mais des cellules de ces bêtes pour fabriquer de la viande en laboratoire. Bienvenue dans l’agriculture cellulaire. Le but: réduire l’empreinte écologique de la viande et nourrir une population mondiale qui comptera près de 10 milliards d’habitants en 2050.

McDonald’s Canada emboîtait récemment le pas à sa rivale A&W en annonçant la vente de végéburger produit par Beyond Meat dans certains restaurants de la chaîne. Mais d’ici vingt ans, le hamburger servi par les géants de la restauration rapide risque d’être conçu avec des cellules de bœuf élevées en laboratoire. Selon une étude de la firme de consultants ATKearney, en 2040, la viande produite par des agriculteurs en sarrau représentera 35 % de la consommation mondiale de viande, la viande conventionnelle, 40 % et les substituts de viande végane, 25 %.

«Les gens n’arrêteront pas de manger de la viande. Mais nous devons offrir une alternative, car le système de production actuelle de fermes industrielles est intenable», soutient Isha Datar, directrice exécutive, New Harvest. Fondé en 2004, l’organisme à but non lucratif basé à New York est doté d’un budget annuel d’un million de dollars. Celui-ci finance des chercheurs aux États-Unis, au Royaume-Uni, au Canada (pas encore au Québec) pour développer des élevages de viande sans boeufs, des œufs sans poules ou du lait sans vaches. On n’élève plus les bêtes, mais leurs cellules dans des fioles de laboratoire.

«Ce n’est pas une farce! Le concept est révolutionnaire et il est soutenu par des gens provenant de l’industrie de la haute technologie de la Silicon Valley qui veulent changer le mode de production actuelle», soutient Sylvain Charlebois, professeur et spécialiste de l’agroalimentaire à l’Université de Dalhousie.

“On est encore loin de produire un T-Bone, mais une génération de jeunes scientifiques s’intéresse à une carrière en agriculture cellulaire.”

- Isha Datar, présidente, New Harvest

L’idée révolutionnaire survient au moment où les rapports d’experts internationaux du GIEC ou de la FAO pointent du doigt l’agriculture, en particulier l’élevage du bœuf, comme un grand contributeur aux émissions de GES (14,5 % des émissions mondiales). Un élevage qui réquisitionne de grandes quantités de terre et d’eau pour produire des grains ou des pâturages afin de les convertir en kilogrammes de viande de boeuf.

Encore cher, mais plus pour longtemps

«On est encore loin de produire un T-Bone, mais une génération de jeunes scientifiques s’intéresse à une carrière en agriculture cellulaire», explique Isha Datar, qui a réuni 300 personnes à la quatrième conférence de New Harvest à New York l’été dernier. Diplômée en biologie moléculaire de l’Université de l’Alberta, le pays du bœuf, et détentrice d’une maîtrise en biotechnologie de l’Université de Toronto, Isha Datar se dit ni végétarienne ni végane, mange de la viande et entrevoit un avenir où celle-ci sera produite dans de grandes cuves en acier inoxydable comme la bière dans les brasseries.

Selon l’étude AT Kearney, l’agriculture cellulaire n’a attiré que 50 millions $US en capital de risque en 2018 comparé à 900 $US Américains dans les produits véganes. Mais plusieurs compagnies, telles Memphis Meat, Mosa Meat ou Aleph Farm, sont à l’aube de commercialiser du steak haché ou des croquettes de poulet sans avoir eu à élever et à abattre une vache ou une volaille, ce qui pourrait déclencher un engouement financier dans ce secteur comme cela s’est vu dans les protéines végétales.

Le prix de la première boulette de boeuf haché «in vitro» – évaluée à 330 000 $US il y a quelques années et financée par le cofondateur de Google Sergey Brin – a dégringolé.

Le 5 août 2013, le chercheur néerlandais Mark Post présentait le premier burger «in vitro». Issu d'un travail réalisé sur plusieurs années, il a été conçu par une équipe de l'Université de Maastricht à partir de 20 000 cellules souche de boeuf.
David Parry / Reuters
Le 5 août 2013, le chercheur néerlandais Mark Post présentait le premier burger «in vitro». Issu d'un travail réalisé sur plusieurs années, il a été conçu par une équipe de l'Université de Maastricht à partir de 20 000 cellules souche de boeuf.

Toujours selon l’étude AT Kearney, le prix actuel de 100 g de steak haché aux États-Unis est de 0,80 $US, le prix de 100 g d’un burger végane est de 2,50 $US et le prix actuel de la viande de laboratoire est de 80 $US/100 g, prix qui pourrait décliner en bas de 4 $US /100 g d’ici 12 ans.

Nouveau champ de bataille

D’après Sylvain Charlebois, les autorités canadiennes comme l’Agence d’inspection des aliments du Canada (ACIA) ou encore Santé Canada ne sont pas équipées pour réglementer cette nouvelle technologie. L’expert prévoit aussi une véritable bataille réglementaire menée par l’industrie de la viande conventionnelle, notamment les secteurs de la gestion de l’offre (volaille, œufs, lait), sur l’étiquetage de ces nouveaux steaks ou croquettes de poulet.

«Ces nouveaux aliments ne pourront pas être étiquetés comme “viande”. Il faudra les distinguer comme étant une viande produite synthétiquement et expliquer le processus de fabrication afin d’éviter, par exemple, l’aversion des consommateurs à l’égard des OGM», dit-il.

Outre un feu vert de la part des consommateurs sur le goût et la texture de cette nouvelle viande, les effets bénéfiques sur la santé humaine devront aussi être clairement démontrés. «Ce qui n’est pas le cas avec les hamburgers fabriqués avec des protéines végétales», rappelle M. Charlebois.

Ce dernier juge qu’au contraire d’une menace, la venue sur le marché d’une viande produite en laboratoire va non seulement offrir plus de choix aux consommateurs, mais être une occasion pour les éleveurs de se démarquer. C’est aussi le cas du président de la Canadian Canadian Cattlemen’s Association, qui regroupe également les Producteurs de bovins du Québec. « Notre viande est naturelle, nos bêtes sont élevées dans les Prairies et nous ne coupons pas la forêt amazonienne pour élever nos animaux comme le Brésil», fait-il valoir.

Déjà publié sur le HuffPost: Ce qu’il faut savoir sur la viande végé Beyond Meat

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