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Nous avons récemment appris à laver nos mains, il convient maintenant d’inviter le savon à la bouche avant l’adresse publique.
filistimlyanin via Getty Images

Nous avons assisté au cours des dernières années à l’émergence de chroniqueurs belliqueux, au langage injurieux, qu’ils fardent de franc-parler. La tendance a comblé de nombreux éditorialistes du dimanche sur les réseaux sociaux : ravis de ne plus devoir s’endimancher, ils profitent du fait que le mou soit à la mode et ne pleurent pas ces mots qui leur allaient trop grands. Ce défaut de contenant pourrait-il en fait masquer une carence de contenu? Chien qui aboie ne mord pas, dit-on…

Je comprends parfaitement l’opportunité à saisir pour être entendu : l’accident de voiture exerce après tout un attrait irrésistible, et personne ne veut lire le sandwich à la dinde en costume brun pâle de l’opinion. Il faut toutefois susciter l’intérêt intelligemment, avec esprit : imposer le respect par la force de ses opinions, plutôt que leur violence.

Le rôle d’un chroniqueur est de relever des travers, puis modeler l’opinion, de façon à modifier les comportements. Pour y arriver, il doit absolument inspirer. Voilà pourquoi il ne peut se comporter comme la petite brute de cour d’école qui crie, insulte et n’inspire au final que la crainte.

“Salir n’est pas convaincre, et ça en laisse sur les mains. Pire encore, le jet n’est pas précis, et la boue, en dégoulinant, fait des victimes collatérales.”

Dans ce contexte, le recours à l’invective me semble contreproductif. À la langue de bois des politiciens, il faut malheureusement ajouter la langue de boue de certains communicateurs. Or, salir n’est pas convaincre, et ça en laisse sur les mains. Pire encore, le jet n’est pas précis, et la boue, en dégoulinant, fait des victimes collatérales. Ainsi, dire de Trudeau que c’est une merde éclabousse aussi les électeurs, puisqu’il a bien fallu l’élire. Plus il est peint négativement, plus ses faits d’armes soulignent notre bêtise collective. Si son bilan ne m’impressionne pas, mon vote va à qui analyse ce qu’il rate, plutôt qu’à celui qui le traite de raté.

Je ne nie pas que grossir le trait puisse être efficace, mais gare à ce que le camouflet ne camoufle le message. À ce chapitre, ne pas pouvoir vérifier l’orthographe d’un mot, c’est subtilement s’en faire déconseiller l’usage. Il en va de même du cynisme, qui à l’excès, agit comme du cyanure sur l’opinion qu’il devait pourtant rehausser.

Déjà que nos institutions dysfonctionnent et que nos infrastructures sont en ruines, marteler que nos leaders sont des «trous du cul», et que tout le monde est con n’incitera qu’au découragement. Si derechef vous insultez les gens, les troupes seront certes fouettées, mais démotivées. Qui donc se dit «Tiens, du venin! Je vais m’approcher!?»

De même, pour combattre le complotisme galopant et raisonner ses adeptes montés sur leurs grands chevaux, mieux vaut faire la lumière sur leurs hypothèses que de les traiter de sombres crétins. Utiliser leur lexique joint en effet deux messages contradictoires dans une même enveloppe, ce qui risque de confondre le lecteur plutôt que le sceptique; un manque d’adresse qui ne vaut pas l’économie d’un timbre. Le langage ordurier sied de toute façon bien mal au haut du pavé; il faut des pinces plus distinguées pour prendre quelqu’un de haut. D’autre part, frapper pour convaincre, ou intimider à coups d’insultes en se réclamant de la liberté revient à lui dédier un hymne détonnant.

Nous avons récemment appris à laver nos mains, il convient maintenant d’inviter le savon à la bouche avant l’adresse publique : remplacer les «fait chier!» par les faits, les cris par la critique, et les gros mots par de grandes idées. L’insulte n’est pas un fait d’armes, ni «c’est chien» un compliment; je ne souhaite museler personne, mais serais heureux qu’on laisse les jappements aux canins.

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