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Une interprétation de «Mother!»

«Mother!» est bien des choses, mais c'est avant tout un film sur le processus créatif. Ou, plus précisément, sur la relation entre un créateur et sa muse.
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Le créateur (un poète, en l'occurrence) possède une grande maison de campagne isolée.
Photo ZA
Le créateur (un poète, en l'occurrence) possède une grande maison de campagne isolée.

(Attention divulgâcheur)

Plusieurs interprétations du film Mother! de Darren Aronofsky circulent depuis sa sortie la semaine dernière. Si certaines d'entre elles offrent des pistes de solutions intéressantes, aucune, à ma connaissance, n'arrive à expliquer le film dans son ensemble de façon concluante. Le thème principal de l'histoire est pourtant exposé clairement, me semble-t-il, dans les toutes premières scènes du film. Mother! est bien des choses, mais c'est avant tout un film sur le processus créatif. Ou, plus précisément, sur la relation entre un créateur et sa muse.

Le créateur (un poète, en l'occurrence) possède une grande maison de campagne isolée. C'est sa muse qui a retapé seule, pièce par pièce, à la sueur de son front, cette vaste demeure à la suite d'un incendie pour offrir à son protégé un havre de paix et d'harmonie essentiel à l'élaboration de son oeuvre. Après une tournée des lieux au bras de sa muse, le créateur s'installe à son bureau de travail pour faire ce qu'il a à faire, créer. Assise face à lui, sa muse s'apprête, quant à elle, à jouer son rôle, l'inspirer.

Demandez à n'importe quel artiste de décrire le sentiment qui l'habite devant la toile ou la page blanche. Il vous répondra presque invariablement, l'envie de fuir.

Mais on sonne à la porte. La muse prend un air affolé devant le créateur qui, laissant sur son bureau stylo et page blanche, se précipite vers la porte d'entrée qu'il s'empresse d'ouvrir. On le croirait soulagé de s'être fait arracher à sa tâche. De fait, il l'est. Demandez à n'importe quel artiste de décrire le sentiment qui l'habite devant la toile ou la page blanche. Il vous répondra presque invariablement, l'envie de fuir. Chaque intrusion, chaque dérangement, chaque distraction lui sert d'excuse pour repousser l'exécution de la tâche pénible qu'est la création artistique. Pour la muse, c'est l'inverse. Il lui tarde de voir son protégé s'abîmer dans les sphères éthérées de la créativité. C'est sa raison d'être, à elle. Mother! est l'histoire de ce combat.

Le créateur parvient à se défiler en accueillant tantôt Adam, tantôt Ève, puis Caïn et Abel, et toute la ribambelle d'intrus que l'on sait. La muse excédée finit par chasser tous ces gens après qu'ils aient profané le bureau de travail du créateur, brisé le cristal sacré (symbole de force créatrice) et saccagé la maison. Elle ramène le créateur à l'ordre en le harponnant directement à l'ego: «You won't even fuck me!» Le coup porte. La muse et le poète font l'amour. Le lendemain, la muse annonce qu'elle est enceinte et le poète commence à rédiger son oeuvre. Ce n'est pas un hasard si la fin de la rédaction de celle-ci coïncide avec les premiers mouvements du bébé dans le ventre de la muse. Bébé et oeuvre ne forment ici qu'un. La symbiose est parfaite entre muse et créateur. Mais cela ne saurait durer.

On s'arrache le bébé, le démembre et le mange morceau par morceau, comme on consomme une oeuvre d'art en l'examinant, la décortiquant et la critiquant, soi-disant pour mieux l'apprécier et la comprendre.

L'ego gonflé à bloc devant sa nouvelle oeuvre, le créateur recherche maintenant l'adulation de ses semblables. Malgré les supplications de sa muse pour qui l'oeuvre est sacrée, il fait parvenir son poème à son éditrice pour la commercialiser, puis ouvre les portes de sa demeure à son public en délire. Discours, signature d'autographes, pâmoison générale, c'est la gloire! Mais ce n'est pas assez. La muse vient d'accoucher et le créateur veut briller encore davantage. Il subtilise le bébé des bras de sa muse endormie et va l'offrir à ses admirateurs qui s'en emparent et le consomment au sens strict du terme. On s'arrache le bébé, le démembre et le mange morceau par morceau, comme on consomme une oeuvre d'art en l'examinant, la décortiquant et la critiquant, soi-disant pour mieux l'apprécier et la comprendre.

Tout ce brouhaha aura fini par tirer la muse de son sommeil. Hystérique à la vue de l'horrible sort que l'on réserve à son rejeton (à l'oeuvre), elle s'enrage, poignarde quelques intrus et met en branle sa dernière mission qui est de faire sauter la maison, s'offrant du même coup en sacrifice pour ramener le créateur à son essence première, loin des feux de la célébrité.

Ce cycle de création terminé, le poète comprend ce qu'il lui reste à faire: arracher de la poitrine de sa muse agonisante et volontaire le cristal sacré qui lui donnera la force de créer sa prochaine oeuvre. Il s'empare donc du précieux cristal et le replace sur le socle dans son bureau de travail. Une nouvelle muse s'éveille dans son lit. Le processus créatif peut reprendre.

Voilà donc, Mother! un film cohérent, vu sous cet angle.

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