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Après un an de pandémie, les restaurants du quartier chinois se battent pour survivre

Le secteur a été frappé à la fois par le racisme, le télétravail et la chute du tourisme.
L'entrée du quartier chinois
Roberto Machado Noa via Getty Images
L'entrée du quartier chinois

Alors que le Nouvel An lunaire commence, de nombreux habitants du quartier chinois de Montréal espèrent que l’année du Buffle leur apportera meilleure fortune que la précédente.

Le restaurateur Benny Shek, par contre, n’ose pas élever ses attentes.

«C’est une exception aujourd’hui», lance-t-il lors de notre récent passage. Il pointe son personnel temporaire de huit personnes qui se démène pour préparer des commandes de poon choi, un plat cantonais à base d’ormeaux, de champignons, de crevettes, de poisson, de porc et de poulet populaire à l’occasion du Nouvel An chinois.

Il y a un an, son restaurant, Kim Fung, était très animé. Le week-end, les touristes et les habitants faisaient la queue pour entrer dans le populaire restaurant connu pour ses dims sums et ses plats cantonais.

Autrefois très occupé, Shek est maintenant assis autour d’une multitude de tablettes et de téléphones portables, traitant les commandes de six applications de livraison différentes auxquelles il s’est inscrit depuis le début de la pandémie.

La nourriture chinoise n’est pas faite pour être appréciée dans des repas à emporter, dit Shek, 63 ans.

«Les plats chinois sont faits pour être mangés ici - chauds!» observe-t-il.

Le natif de Hong Kong affirme qu’il ne réalise que 10% de ses ventes habituelles. Il a licencié la quasi-totalité de ses 25 employés, à l’exception d’une serveuse et d’un cuisinier.

Le restaurant Kim Fung est connu pour ses dims sums, mais les convives ne peuvent pas profiter du service sur chariot traditionnel, illustré ici dans cette publication de TwoFoodPhotographers.

Le racisme, le télétravail et la chute du tourisme frappent

Après un an de crise, le quartier qui abrite 160 entreprises employant 400 personnes se bat pour sa survie. Au plus fort de la pandémie, Montréal a été considérée comme le septième endroit le plus meurtrier au monde pour les décès liés à la COVID-19.

Avec cette stigmatisation, le quartier chinois et la communauté chinoise ont été fortement touchés par une augmentation des cas de racisme, de vandalisme et d’entrées par effraction. L’année dernière, les dirigeants locaux ont demandé une aide gouvernementale d’un million de dollars pour sauver le quartier et le revamper. Les consultations sont toujours en cours et rien n’a été finalisé.

La majeure partie de la clientèle du quartier chinois - touristes et employés de bureau - demeure à l’écart en raison des interdictions de voyager et des mesures de travail à domicile. Le récent couvre-feu a mis une pression supplémentaire.

Lorsque la pandémie a frappé, des restaurants du quartier chinois habitués à traiter les transactions seulement en argent comptant ont dû s’adapter rapidement aux nouvelles mesures de paiement sans contact et aux applications de livraison qui prennent jusqu’à 30% de frais de commission.

Les plus jeunes restaurateurs à l’aise avec les médias sociaux ont pu se relancer plus rapidement lors de la seconde fermeture des restaurants en septembre. Pendant ce temps, les commerces plus traditionnels qui n’avaient pas de présence établie sur les réseaux sociaux ni de lien avec les applications de livraison ont été laissés pour compte. La circulation piétonnière dans le quartier a également grandement diminué avec le confinement des aînés du secteur.

Un couple se promène dans le quartier chinois à Montréal, le lundi 18 janvier 2021.
The Canadian Press
Un couple se promène dans le quartier chinois à Montréal, le lundi 18 janvier 2021.

Le propriétaire du restaurant chinois Mon Nan, Joe Lee, 40 ans, note qu’il est difficile d’être ouvert seulement quatre heures par jour en raison du couvre-feu, alors qu’il avait l’habitude de fermer à 3 h du matin avant la pandémie. Il a dû licencier 40% de son personnel et doit maintenant se fier à des applications de livraison. Il souhaiterait que les frais de commission de ces entreprises soient réduits, comme on le voit en Colombie-Britannique et en Ontario, où ils sont tombés à 15%.

Du côté positif, sa femme, Shan Cheung, 35 ans, a utilisé les médias sociaux pour attirer une nouvelle clientèle.

Et une leçon apprise avec la pandémie, c’est qu’il pourra réduire son menu.

«Nous n’avons pas besoin de 200 choses, peut-être seulement 30, au top», croit Lee.

Au restaurant de barbecue cantonais Dobe & Andy, on relate des expériences similaires. Le copropriétaire Eric Ku, 38 ans, explique que lui et ses deux frères ont attiré une nouvelle clientèle via Instagram et tenu un comptoir à emporter tout au long de l’été.

«Il y avait une ambiance de camion de cuisine de rue», illustre Ku, expliquant comment la pandémie lui a donné le temps de réimaginer le restaurant. Il compte dorénavant s’appuyer sur la réduction du menu, comme Lee, tester des recettes modernes et raffiner certains plats pour justifier une légère hausse du prix.

Les propriétaires de Dobe & Andy ont stimulé leurs affaires grâce à leur forte présence sur Instagram, et cela a porté ses fruits pour le Nouvel An chinois.

Plus tôt cette année, afin de lutter contre le sentiment anti-asiatique, les membres de la communauté du quartier chinois se sont associés à des restaurants pour distribuer des milliers de biscuits de fortune avec différents messages, comme: «La discrimination fait mal; la solidarité guérit.»

Le blogueur culinaire Jason Lee salue ces campagnes, mais dit être déçu par le manque d’alliés en dehors de la communauté qui condamnent le racisme contre les Asiatiques.

«Pourquoi [la communauté chinoise] est-elle la seule à trouver des moyens d’éduquer les gens à ne pas être racistes?» questionne Lee.

Certains Asiatiques hésitent à discuter du sujet. Les personnes âgées sont les plus vulnérables; de nombreux restaurants asiatiques emploient du personnel plus âgé comme cuisiniers, serveurs et livreurs, et certains ont été victimes d’agressions racistes.

«Personnellement, j’ai été agressé verbalement à répétition dans le bus en rentrant chez moi. C’était la semaine où «[l’ancien président américain Donald Trump] a qualifié le coronavirus de «kung flu» et de «virus chinois», écrit le vice-président de l’Association chinoise de Montréal, Bryant Chang, 69 ans. Il travaille comme livreur de repas à temps partiel pour le restaurant Mirama. Il ajoute que le racisme contre les Asiatiques est «très réel et visible sur tous les fronts» avec la COVID-19.

Statistique Canada a publié des chiffres, en juillet 2020, indiquant que 30% des répondants s’étant identifiés d’origine chinoise avaient déclaré avoir perçu une «augmentation du harcèlement ou des attaques fondées sur la race, l’ethnie ou la couleur de la peau» depuis le début de la pandémie.

Aux États-Unis, il y a récemment eu une série d’attaques contre des personnes âgées d’origine asiatique. Un Thaïlandais a été violemment poussé à mort et un Philippin a été coupé au visage dans le métro de New York. Des célébrités telles que Daniel Dae Kim et Daniel Wu ont dénoncé ces attaques, appelant à l’aide et offrant une récompense de 25 000 $ pour des informations sur les suspects.

Fo Niemi, directeur exécutif du Centre de recherche-action sur les relations interraciales, souligne qu’il faudrait parler davantage du problème. Avec une population immigrante plus âgée comme celle du quartier chinois, plusieurs hésitent à signaler des incidents racistes.

«Les Asiatiques sont perçus comme des “minorités modèles” », indique Niemi, ajoutant que, culturellement, il est rare que les personnes ciblées expriment publiquement leurs problèmes. De nombreuses victimes souffriraient ainsi en silence.

Mais certains qui connaissent bien le secteur ont confiance en sa résilience. Depuis l’époque de la prohibition, le quartier chinois s’est constamment réinventé, fait valoir Mélissa Simard, fondatrice des Tours de la table et guide culinaire dans le quartier chinois depuis 2015.

Dans le passé, le Chinatown a été un endroit où profiter des vices. Il y a eu le Red Light, les salons de massage, les maisons d’opium et les maisons de jeux illégaux. «C’était un lieu de fête», raconte Simard, ajoutant que la zone a été nettoyée après la Seconde Guerre mondiale et est devenue plus tard davantage panasiatique avec la vague d’immigration des années 1980 et l’exode des habitants de langue cantonaise vers les banlieues.

Mélissa Simard est convaincue que le quartier résistera à la pandémie. «Il a connu pire», rappelle-t-elle.

Quant à Shek, Lee et Ku, ils pensent pouvoir demeurer à flot au moins jusqu’à l’été. Mais le changement devra venir rapidement.

«Le quartier chinois est déjà en train de disparaître. Pour qu’il survive, il doit être revitalisé, sinon il mourra », avance Lee.

Ce texte initialement publié sur le HuffPost Canada a été traduit de l’anglais.

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