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Trans et toxicomane, je n'ai pas accès à l'aide médicale dont j'ai besoin

Je crois sincèrement qu’un bilan psychiatrique, exercé par un psychiatre familier avec la réalité des personnes trans, pourrait changer ma vie.
Julia LeBlanc
Pikur
Julia LeBlanc

Je suis née garçon, le 24 mai 1990, dans un hôpital de Québec. Les apparences peuvent être trompeuses, je vivrai enfermée dans le mauvais corps jusqu’à mes 27 ans. Mes parents ont toujours travaillé fort pour veiller à ce que mes frères et moi nous ne manquions de rien.

Contrairement à d’autres adultes issus de la même génération, ils ne se gênaient pas pour manifester leur amour et leur affection à notre égard. Mon enfance fut donc relativement heureuse, si j’enferme dans le placard l’intimidation, le rejet social, la solitude et la sensation persistante d’être mal dans ma peau qui ont ponctué ma jeunesse. Les relations interpersonnelles ont toujours été un défi de taille. Mes bonnes journées sont exceptionnelles et les mauvaises cauchemardesques.

Confrontés à mes difficultés d’apprentissage lors de l’adolescence, mes géniteurs cherchent désespérément des réponses, une solution. Grâce à Google, ils découvrent l’existence des troubles d’apprentissage, plus précisément du déficit de l’attention. Il n’en fallait pas plus pour que mon médecin de famille, qui n’y connaissait absolument rien, me prescrive une dose beaucoup trop élevée de Concerta.

Après deux semaines, je refuse cette médication qui me rend asociale, anxieuse et me coupe l’appétit. À 15 ans, je suis initiée à l’alcool et aux amphétamines. Les fins de semaine sont de doux moments de répit pour mon anxiété, mon mal-être et ma peur incontrôlable du jugement.

“À 17 ans, j’entame ma première thérapie fermée de deux mois. Le ton est donné pour le début de ma vie d’adulte.”

Je réalise qu’en état de consommation, je deviens la meilleure version de moi-même. Je suis spontanée, je ne calcule plus chacun des mots que je vais exprimer et je ne tente plus de contrôler l’image que je souhaite projeter. Je suis drôle, je n’ai peur de rien et personne ne peut m’arrêter.

Évidemment, je serai rattrapée bien assez vite par les effets pervers des substances qui altèrent le comportement. À 17 ans, j’entame ma première thérapie fermée de deux mois. Le ton est donné pour le début de ma vie d’adulte.

Ma dépendance aux drogues, sans surprise, me fait perdre des emplois, brise de précieuses amitiés et bousille mon estime personnelle. Jusqu’à la mi-vingtaine, je réussis tout de même à être fonctionnelle.

Je déménage à Montréal à 19 ans en ne connaissant absolument personne. Je termine mon cégep dans une école privée pour ensuite poursuivre des études en théâtre musical. J’entame avec succès un certificat en création littéraire et j’écris gratuitement pour des blogues.

Mes textes sont lus et commentés par des milliers d’internautes. On m’invite aux lancements, aux premières et aux évènements trendy. Je rencontre enfin toutes ces personnalités du Web et ces socialites que j’idolâtre depuis mon arrivée à Montréal.

J’ai enfin l’impression d’avancer, de m’émanciper, de me rapprocher de mon X. Je m’affranchis tranquillement de l’étiquette de droguée qui me suit depuis l’adolescence. On m’offre mes premiers contrats rémunérés de rédaction.

À 25 ans, je sors souvent dans les bars et je consomme de la cocaïne, de la MDMA et des amphétamines. Je crée un vide autour de moi, causé par mes crises de larmes hystériques, mon attitude désagréable et mes changements d’humeurs. Je remets mes textes en retard et les contrats sont de plus en plus rares. Ma crédibilité est minée. Je déménage dans un minuscule studio dans Rosemont et je commence à m’isoler. Je suis également introduite à ce qui sera, encore à ce jour, mon enfer personnel: le crystal meth.

“Toute ma vie, j’avais été mal dans mon corps sans savoir pourquoi. Regarder mon reflet dans un miroir en allant aux toilettes me donnait le goût de pleurer.”

Depuis, je suis retournée vivre à Québec. Surprise: la fuite géographique est un échec. J’ai suivi deux thérapies fermées de plusieurs mois et une thérapie ouverte de trois mois. J’ai également participé à deux programmes de réinsertion à l’emploi, basé sur le maintien de l’abstinence. C’est donc environ 17 mois d’encadrement thérapeutique, sans compter le temps passé dans les sous-sols d’église à assister aux réunions AA et NA (Narcotiques Anonymes).

J’ai débuté ma transition de genre à 27 ans, après avoir eu une révélation en thérapie. Je me suis enfin donné le droit d’être à 100% la personne que j’étais. Je comprenais enfin pourquoi j’avais toujours détesté mon corps et craint les relations intimes. Toute ma vie, j’avais été mal dans mon corps sans savoir pourquoi. Regarder mon reflet dans un miroir en allant aux toilettes me donnait le goût de pleurer.

Je pensais vraiment que j’avais trouvé la raison de mon mal de vivre, du vide au fond de moi qui me ramenait constamment à la consommation. Pendant 10 mois, j’ai conservé ma sobriété en allant de l’avant avec ma transition, avec le support de ma famille et de mon entourage.

Puis je suis retombée. Avec les années, j’ai su identifier les déclencheurs et les situations qui me ramène à la consommation. Une profonde sensation de vide intérieur, l’impression de ne pas avoir le contrôle sur ma destinée, d’être inexorablement une perdante. Un sentiment envahissant de honte et d’humiliation qui me colle à la peau depuis l’enfance. Mais surtout, un besoin non comblé de vivre une relation saine et amoureuse avec quelqu’un. La profonde conviction que personne ne m’aimera jamais assez pour me présenter à ses parents.

Je n’ai jamais réussi à maintenir une période aussi longue d’abstinence. Je tombe puis je me relève, c’est mon truc.

Dans mes rechutes, j’ai commencé à m’injecter et à consommer des benzodiazépines. Je me suis investie dans une relation destructrice avec un garçon suicidaire et toxicomane. Je suis cliniquement morte pendant quelques minutes, résultat d’un arrêt respiratoire provoquée par la consommation d’héroïne.

Mon ex-copain n’a pas eu la même chance et est mort d’une overdose cet été. Je ne compte plus les séjours passés à l’hôpital. Les psychoses toxiques, la paranoïa, l’anxiété sociale et l’isolement sont une partie intégrante de mon quotidien. Mes parents épuisés ont coupé les ponts. Le jour du mariage de mon frère, j’étais alitée à l’urgence psychiatrique. Peu importe, je n’étais plus invitée.

Pendant toutes ces années, je n’ai jamais eu accès à un psychologue ou un psychiatre, même après avoir entamé ma transition ou maintenu un temps d’abstinence.

Les spécialistes que mon médecin me réfèrent sont onéreux et bien au-dessus de mes moyens. Nos rendez-vous durent moins de 10 minutes. Je le vois environ deux fois par années, car j’habite à deux heures trente de distance. Précisons que les médecins spécialisés en transidentité à Québec sont assez rares. Je prends des antidépresseurs pour traiter mon anxiété depuis deux ans, en n’effectuant aucun suivi, examen ou prise de sang.

“Je me heurte à des médecins qui ne connaissent rien en dépendance, me répètent qu’ils ne peuvent rien pour moi et me réfèrent à des centres de thérapie.”

Lors de mes temps d’abstinence, j’ai de la difficulté à gérer mon anxiété sociale. Dans les endroits publics et les transports en commun, je suis constamment en état d’hypervigilance. J’ai toujours l’impression qu’une catastrophe est sur le point d’arriver, que je vais me faire tabasser ou humilier par des passants. C’est épuisant.

Mes distorsions cognitives me pourrissent la vie et, graduellement et insidieusement, ébranlent ma sobriété. Malgré cela, les spécialistes de la santé jugent que je ne suis pas admissible à un suivi psychiatrique. Je me heurte à des médecins qui ne connaissent rien en dépendance, me répètent qu’ils ne peuvent rien pour moi et me réfèrent à des centres de thérapie.

J’ai 29 ans et je ne quitte plus mon appartement. J’ai complété des études universitaires et occupé de bons emplois. J’ai contribué à la société du mieux que je le pouvais, j’ai payé mes taxes et exercé mon devoir de citoyenne en allant voter.

Je crois sincèrement qu’un bilan psychiatrique, exercé par un psychiatre familier avec la réalité des personnes trans, pourrait changer ma vie. J’ai besoin de comprendre ce qui se passe dans mon cerveau. J’ai besoin d’un suivi psychiatrique et l’état me le refuse. Je veux m’en sortir.

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