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Tout quitter pour enseigner dans le nord du Québec

«Je suis une enseignante, mais des fois, je me sens comme une élève. Les enfants ont tellement de choses à m’apprendre.»
Marie Chamberland à Chisasibi
Courtoisie/Marie Chamberland
Marie Chamberland à Chisasibi

Marie Chamberland venait tout juste de compléter son baccalauréat en enseignement primaire à Montréal, et elle n’était pas certaine de ce qu’elle voulait pour son début de carrière. Un stage au Sénégal durant ses études lui avait donné la piqûre du voyage et de l’enseignement en territoire inconnu et la jeune diplômée voulait revivre une expérience comme celle-là.

Par hasard, elle voit un jour passer une publication sur les réseaux sociaux: l’Institut Tshakapesh recherche des enseignants francophones pour des postes dans plusieurs communautés autochtones. Sur un coup de tête, elle envoie son CV, sans être certaine qu’elle est vraiment prête à faire le grand saut.

«En l’espace de 24 heures, j’ai reçu des appels de partout à travers le Québec, se souvient Marie. C’était des indicatifs régionaux que je ne connaissais pas. J’ai pris une carte géographique et j’ai commencé à faire des points aux endroits d’où on m’appelait.»

La nouvelle enseignante avait l’embarras du choix. On lui offrait une classe dans l’école et le niveau de son choix, malgré le fait qu’elle n’avait pas d’expérience. «Je trouvais ça louche parce que je me demandais pourquoi personne n’était là-bas et pourquoi il manquait autant de profs», se remémore-t-elle en riant.

Et pourtant, après avoir parlé à quelques directions d’école, Marie décide de faire le grand saut: c’est finalement à Unamen-Shipu, communauté innue de la basse Côte-Nord à 15 heures de Montréal et accessible seulement par bateau et par avion, qu’elle pose ses valises en 2015.

Il faut dire que les conditions sont assez intéressantes dans la région: déménagement payé, trois voyages aller-retour par année pour des sorties, une prime d’éloignement et un loyer autour de 200$ par mois tout inclus. «On ne s’endette pas en allant faire un projet comme ça!»

En plus de tout ça, impossible pour l’enseignante de 30 ans d’être prise dans le trafic pour se rendre au travail et en tant que passionnée de nature et de plein air, un beau terrain de jeu l’attendait.

Une adaptation difficile

Plusieurs défis attendaient Marie malgré tout, à commencer par le fait qu’elle arrivait dans la communauté en tant que non Autochtone.

«La fermeture des écoles résidentielles, c’est très récent. Quand je suis arrivée, les élèves étaient méfiants. Il m’est arrivé de me faire dire: “Tes ancêtres ont tué mon peuple”. C’est dur de répondre à ça, mais c’est important d’être capable de reconnaître le passé et d’être compréhensif. Ils veulent apprendre à nous connaître avant de s’ouvrir et c’est normal. Il faut être très ouvert d’esprit, patient et tolérant.»

Dans le nord du Québec, la pénurie d’enseignants et le manque de rétention du personnel est un problème constant et persistant depuis plusieurs années, ce qui n’aide pas les élèves à se sentir en confiance.

«Ils voient tellement de nouvelles personnes chaque année, pas juste à l’école. C’est fou, le roulement, se désole l’enseignante. Ils s’attachent à des gens pendant un an ou deux, puis ils disparaissent. C’est pour ça que le début d’année peut être plus difficile. Ils ont peur de s’attacher à toi, ils ont peur que tu quittes.»

Pour bien des enseignants, travailler dans le nord représente une étape de quelques années et non un projet de vie à long terme.

Courtoisie/Marie Chamberland

Après un an à La Romaine, Marie a choisi de déménager à Chisasibi, à la Baie-James, entre autres parce qu’elle souhaitait vivre dans une plus grande communauté. Et même ici, où elle travaille depuis maintenant quatre ans, sa priorité est toujours la même: développer le lien de confiance avec les élèves et s’intégrer à la communauté.

“Il faut se laisser immerger par la culture et par ce qu’on voit et côtoie. Chaque communauté est différente et je ne suis pas chez moi.”

- Marie Chamberland

L’enseignante essaie d’assister le plus possible aux événements du village comme les matchs de hockey et participe à des cours d’artisanat et de fabrication de raquettes, par exemple.

«Quand les enfants me voient à l’extérieur de l’école et qu’ils réalisent que je m’implique en dehors du travail, ils voient que je suis intéressée à apprendre leur culture, que ce n’est pas juste moi qui vient leur apporter la mienne, constate l’enseignante. Il faut se laisser immerger par la culture et par ce qu’on voit et côtoie. Chaque communauté est différente et je ne suis pas chez moi.»

Marie prend une année à la fois, mais jusqu’à présent, elle apprécie son expérience. «J’aime tellement le rythme de vie. Je pense rester ici pour encore quelques années. Les Cris sont tellement chaleureux. Ils aiment rire. Les parents sont reconnaissants de ma présence. Il m’apportent du poisson frais et du caribou!»

Marie Chamberland à Chisasibi
Courtoisie/Marie Chamberland
Marie Chamberland à Chisasibi

«Je suis une enseignante, mais des fois, je me sens comme une élève. Les enfants ont tellement de choses à m’apprendre. Des fois, je leur demande de m’apprendre des mots en langue crie et je fais des défis avec eux. Quand tu es nouveau, les élèves se parlent entre eux et tu ne peux rien comprendre du tout!»

Il faut dire que les élèves sont en contexte d’immersion. Leur langue maternelle est le cri et l’anglais est leur langue seconde. Pour plusieurs, le français est une langue tierce, mais elle demeure la langue d’enseignement. La réussite d’un élève qui a des difficultés en français sera donc hypothéquée dans toutes les matières. Ce contexte d’apprentissage représente un défi pour les enseignants.

Marie a aussi dû s’adapter au fait que les valeurs et les priorités des familles ne sont pas tout à fait les mêmes qu’au sud du Québec. «On n’a pas la même notion de ponctualité et même de l’école de façon générale, par exemple de devoir venir tous les jours. Des parents vont parfois me dire que l’enfant ne sera pas à l’école parce qu’ils ont autre chose en famille ce jour-là. Je dois trouver des moyens d’arrimer tout ça.»

La classe nature

Dans le but de s’inspirer de d’autres professionnels vivant la même réalité qu’elle, Marie a cherché des blogues et autres ressources partagées par des enseignants du nord du Québec. «Je pense que j’ai fait des recherches pendant deux semaines. Il n’y avait littéralement rien.»

L’enseignante s’est dit que ce serait à elle de créer quelque chose pour partager et échanger, mais aussi dans le but de montrer une image positive des communautés autochtones à des enseignants qui seraient tentés par une telle expérience. «Je voulais tellement que les gens voient les communautés autochtones comme de belles places. Il y a tellement peu de positif qui en ressort quand on en parle. On entend le mot réserve et ce n’est que du négatif qui sort.»

Il y a un peu plus d’un an, l’enseignante a donc créé «La Classe Nature» sur Facebook et Instagram, où elle partage des nouvelles, des photos, des tranches de vie et des idées pour l’enseignement en milieu autochtone.

Marie propose également des exercices et des jeux que les enseignants peuvent télécharger sur le Web. L’enseignante s’est découvert un grand intérêt à adapter son matériel pédagogique pour qu’il soit approprié pour les élèves de la communauté. Selon elle, les manuels scolaires ne tiennent pas compte des Autochtones et de leurs valeurs.

«Par exemple, je leur fais apprendre du vocabulaire pertinent en tenant compte de ce qui les entoure et je prépare des activités d’arts plastiques sur la faune et la flore d’ici.» Pour s’aider dans sa démarche, elle a consulté les enseignants plus âgés de la communauté.

L’enseignante adapte aussi ses cours d’histoire, puisque la matière au programme tient peu compte des Autochtones. «C’est comme s’ils n’existaient pas, déplore Marie. Par exemple, on parle du barrage Robert-Bourassa comme étant la grande réussite du siècle, mais pour eux, ça a été la pire affaire du siècle!»

La communauté crie de Fort George a été relocalisée à Chisasibi en 1981 en raison de la possibilité d’érosion à la suite de la construction des aménagements hydroélectriques de la Baie-James.

Dans ce genre de contexte, elle s’assure de transmettre la matière avec sensibilité en tenant compte de la perspective de la communauté. «Je veux qu’ils comprennent que leur communauté et leur opinion sont aussi importantes.»

Enseigner dans le nord représente beaucoup d’adaptation et de défis, mais au final, la réalité des enseignants est comparable à ailleurs en province, selon Marie.

«L’enseignement, ce n’est pas facile, ici comme à Montréal. Les défis sont les mêmes partout. On manque de ressources et d’espace et le curriculum n’est pas réaliste et adapté.»

Et les besoins des élèves sont aussi les mêmes, au nord comme au sud du Québec. «Les enfants, ça reste des enfants. Ils veulent qu’on leur accorde du temps et de l’attention, et ils ont besoin de notre confiance et de notre amour.»

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