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Tout est parti en couille quand j’ai eu 30 ans

«Le cancer des couilles m’a révélé l’urgence de trouver un sens à la vie, de ne pas simplement se laisser porter par le courant.»
«Notre angle, c’est l’humour. On veut dédramatiser la situation», explique Alexandre Désy.
Courtoisie Alexandre Désy
«Notre angle, c’est l’humour. On veut dédramatiser la situation», explique Alexandre Désy.

Les propos de ce témoignage ont été recueillis par le HuffPost Québec et retranscrits à la première personne.

Tout a commencé avec une bosse sans douleur sur mon testicule, et très rapidement j’ai compris qu’il se passait quelque chose d’anormal. Je suis allé à l’hôpital, et même si je m’attendais à quelque chose, on ne s’attend jamais au choc d’un diagnostic de cancer. Ça semble complètement absurde.

Il y a dix ans, j’ai donc été diagnostiqué d’un cancer des testicules. On m’a détecté deux types de cancer dans un testicule, l’un d’eux plus dangereux que l’autre.

J’ai à peine pris le temps de respirer et je me suis lancé dans les statistiques. Après quelques mois, j’en suis revenu puisque les chiffres n’avaient pas plus de sens que le diagnostic. Statistiquement, j’aurais pas dû l’avoir cette cochonnerie-là.

Il faut savoir que l’anxiété et la dépression sont des conséquences fréquentes d’un diagnostic de cancer. Les semaines d’attente qui suivent un diagnostic se composent de hauts et de bas. Je me rappelle à quel point je trouvais la nature particulièrement belle dans cette période de ma vie. Je regardais les arbres et les détails de chaque feuille, leurs couleurs plus vives. Inconsciemment, mon corps me disait qu’il est nécessaire d’en profiter.

“Je réalisais alors de plein fouet à quel point la vie est courte.”

Finalement, j’ai subi une ablation du testicule. Il aurait pu y avoir d’autres opérations, notamment le retrait de ganglions dans le dos ou encore des radiations, mais les avis des médecins étaient contradictoires sur ce point, alors j’ai décidé de ne pas le faire. Même si on est bien entouré, on est assez seul dans ces moments d’incertitude et de décisions à prendre.

Lorsque j’ai reçu mon diagnostic, mon premier réflexe a été d’aller voir sur internet. J’ai été surpris de voir à quel point l’information était quasiment absente, disparate et souvent floue sur les différents sites généraux comme la Société canadienne du cancer. Ce fut un premier contact très personnel avec les lacunes des ressources accessibles entourant ce cancer. Je me suis dit que c’était ridicule, franchement, qu’on puisse encore en parler si peu!

Heureusement, j’ai vite appris que ça n’affecterait probablement pas la reproductivité ou la santé sexuelle. Ce fut un grand soulagement, puisqu’on ne se le cachera pas, il s’agit de l’une des premières choses qui nous vient à l’esprit et, bien sûr, l’une des raisons pour lesquelles un aussi grand tabou semble entourer ce type de cancer.

Je connaissais un ami qui avait eu ce cancer alors je l’ai appelé pour qu’il m’en parle, ça m’a aidé, et ça m’a fait réaliser à quel point l’accompagnement par des gens qui sont passés par là est d’une grande aide. Il me disait des choses comme: «tu vas avoir mal après l’opération dans l’auto», «quand tu vas rouler sur des bosses sur la route». J’étais un peu paniqué, mais si c’était les pires choses qu’il avait à me dire, au fond, ça allait aller...

“Les gens, quand tu leur parles de cancer, ils deviennent tout blancs et ne savent pas comment réagir. Alors en plus le cancer des couilles… C’était complètement tabou, il fallait faire quelque chose.”

L’éducation à l’école était inexistante, et le soutien complètement absent. La solution s’est imposée à moi comme une évidence: il fallait créer cet espace-là. C’est certain que je n’étais pas le seul à vivre ça.

S’impliquer

Lorsque j’ai créé Cancer Testiculaire Canada, je ne pensais pas que ça marcherait autant, mais, dès le premier événement bénéfice, nous avions au moins 200 ou 300 personnes! J’ai alors réalisé à quel point le besoin était criant.

De nombreuses organisations ont commencé à nous donner du temps et des ressources. Grâce à ça, on a pu réaliser des petits bijoux publicitaires tels que le Merveilleux mondes des couilles (DentsuBos), ou encore Les Hommes qui murmuraient aux oreilles des couilles (Cult Nation). En plus, le Bal des couilles est devenu un important événement à Montréal!

«Personnellement, je ne suis pas allé chercher de l’aide après mon diagnostic et je le regrette maintenant», souligne Alexandre Désy.
Courtoisie Alexandre Désy
«Personnellement, je ne suis pas allé chercher de l’aide après mon diagnostic et je le regrette maintenant», souligne Alexandre Désy.

Très tôt, on a commencé à recevoir des appels du Maroc, d’expatriés au Japon, les besoins venaient de partout. Et l’organisation a grossi. Aujourd’hui, chaque semaine, nous recevons des appels de gars qui souffrent et qui ne savent pas quoi faire. Notre travail est de les rassurer et de les envoyer vers la bonne place. De plus, nous sommes fiers d’avoir le site web le plus complet au monde, le tout issu des plus grands spécialistes au pays. Tous des bénévoles.

Je dois le mentionner: l’organisme a été monté à bout de bras par des bénévoles. Mes parents, mes frères Nicolas et Vincent. Mes amis Valérie, Geneviève, Vanie, Macha, Virginie (x2), Charles, Guillaume… et bien d’autres! On n’a jamais eu de grosses commandites, ça s’est fait à coup de 20 $. C’est assez inspirant de voir ce qu’on peut faire quand plusieurs personnes y mettent du coeur. Ça démontre vraiment que tout est possible!

Quand l’humour sauve des vies

Notre angle, c’est l’humour. On veut dédramatiser la situation. Si on parle de ce cancer de façon dramatique, les jeunes gars qui sont touchés voudront éviter le malaise qu’ils ressentent et ils n’en parleront pas.

“C’est triplement tabou pour un jeune: c’est le cancer, c’est sexuel et ça touche la virilité.”

La première étape est de s’assurer que les gens en parlent. S’ils en parlent autour d’eux, ils ont beaucoup plus de chances d’aller voir le médecin. Dans le même ordre d’idée, on s’est rendu compte que les gars en couple viennent consulter à l’hôpital plus rapidement que les gars célibataires, car ils en parlent à leur partenaire qui les appuient et les incitent à agir.

L’idée c’est que les gars comprennent qu’il ne faut pas qu’ils restent seuls, même s’ils sont faits forts et se croient invincibles. Ils ne sont pas obligés de souffrir. Il y a de la lumière au bout du tunnel.

Personnellement, je ne suis pas allé chercher de l’aide après mon diagnostic et je le regrette maintenant. Mes relations en ont souffert, mon couple en a souffert et j’ai souffert d’anxiété pendant des années. Encore aujourd’hui, j’en ai des séquelles…

Le plus pernicieux, c’est que tu n’attribues pas ton état psychologique au cancer, tu te blâmes de ne pas être la personne que tu voudrais être. J’avais l’impression que j’étais assez grand et fort pour tout subir tout seul, sans aide et je vois maintenant à quel point l’aide que Cancer Testiculaire Canada offre aux hommes atteints m’aurait été bénéfique. C’est absolument le premier conseil que je donne au gars: viens nous voir ou va voir quelqu’un.

Nous sommes vraiment fiers de notre organisme et éternellement reconnaissants envers tous les gens qui s’impliquent et nous aident au quotidien.

“Cette implication c’est de la nourriture pour l’âme. Les gens sont beaux quand ils donnent, et ça me touche beaucoup.”

Pour ma fête de 40 ans, j’ai l’opportunité de diffuser ici mon histoire. Ce que je voudrais dire c’est que j’ai découvert du beau chez l’humain, j’ai vu la force incroyable qu’il peut avoir lorsqu’il travaille avec les autres. Tout ça, en réponse à une situation négative qui m’a été imposée.

En ce qui concerne le cancer, aux gars qui vont me lire, je dirais d’aller voir un médecin s’ils découvrent une anomalie et, surtout, de ne pas attendre trop longtemps. Éliminez l’angoisse aussitôt que vous avez un doute. Je suggère aussi de s’impliquer! Ça fait le plus grand bien et on se découvre souvent soi-même dans l’action.

Je me suis posé beaucoup de questions en réaction à mon cancer, en particulier sur la mort, et le constat est le suivant: mourir n’a pas de sens et c’est incontrôlable. Par contre, on a le contrôle sur le temps que nous avons à passer ici. Nous sommes responsables du bon et du mauvais autour de nous.

Le cancer des couilles m’a révélé l’urgence de trouver un sens à la vie, de ne pas simplement se laisser porter par le courant. Mon «sens» à moi c’est de créer des histoires humaines qui valent la peine d’être racontées. C’est vers cet objectif que ma vie s’est tournée.

Professionnellement, en plus d’avoir fondé Cancer Testiculaire Canada, je suis avocat. Je ne voyais toutefois aucun sens à jouer dans des papiers ou à bouger des virgules dans des contrats. J’ai donc changé de parcours de vie en quittant la carrière traditionnelle pour lancer une entreprise vouée à offrir un accès à la justice à ceux qui ne l’ont pas. C’est une aberration de vivre dans une société qui nous promet des droits mais qui, en pratique, ne nous permet pas de nous en prévaloir.

Bref, je suis chanceux, ce cancer m’a permis de retrouver ma voie. Et de me rappeler de l’importance de faire du bien.

SI il y a des gens qui veulent s’impliquer pour le Bal des couilles, écrivez moi personnellement, je réponds à tout le monde: alex@testicularcancer.ngo


Vous voulez me donner 40$ pour souligner mes 40 ans? C’est ici.

La section Perspectives propose des textes personnels qui reflètent l’opinion de leurs auteurs et pas nécessairement celle du HuffPost Québec.

Propos recueillis par Céline Gobert.

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