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Mon tiraillement pour me trouver un emploi en contexte d’urgence climatique

Comment, devant une situation aussi terrifiante, pourrais-je me résoudre à dépenser mes 40h de travail par semaine pour une entreprise qui participe à l’immensité du problème?
FilippoBacci via Getty Images

Il fait 38 degrés en Sibérie. 38. Degrés. En. Sibérie. Je vois la nouvelle depuis mon ordinateur, entre deux recherches de travail.

Et c’est la crise, et je n’ai plus de job.

Et au fond de moi, bien que chaque jour, je m’inquiète de savoir comment ma famille et moi allons passer au travers de cette crise si je ne me retrouve pas rapidement un travail, je ne peux pas me résoudre à candidater les yeux fermés pour la moindre job qui rentre potentiellement dans mes cordes (comme le ferait n’importe quel citoyen sensé et sans emploi).

Car la moindre job qui rentre dans mon champ de compétences, ce sont en fait des dizaines de jobs dans des compagnies que j’appelle désormais, sans concession, des compagnies «inutiles».

Des compagnies qui font partie du problème. Des compagnies pour qui je n’aurais aucune fierté à travailler. Des marques de cosmétiques internationales en passant par des banques, des enseignes de grande distribution mainstream, des H&M et Zara de ce monde, des marques de joailleries irresponsables, sans parler de quelques postes chez des joueurs de première ligne dans les industries les plus polluantes.

“Les yeux à moitié dans le vide, j’observe ces offres qui ne m’inspirent pas grand-chose.”

Ces titres de postes défilent et parfois, je m’arrête un instant pour lire les détails de ce à quoi je pourrai prétendre : chargée de marketing pour une entreprise de cosmétique, conseillère marketing pour une grande banque, responsable des communications pour une firme immobilière reconnue...

Les yeux à moitié dans le vide, j’observe ces offres qui ne m’inspirent pas grand-chose. J’essaye de m’imaginer quelques secondes dans ces boulots, histoire de voir...

Mais rien. Ça ne m’inspire rien. En fait, ça me rappelle à quel point je n’ai plus envie de réfléchir à des stratégies marketing pour que le monde achète un produit plutôt inutile. Et polluant. Et énergivore. Et venant de loin.

Vous avez envie de raconter votre histoire? Un événement de votre vie vous a fait voir les choses différemment? Vous voulez briser un tabou? Vous pouvez envoyer votre témoignage à propositions@huffpost.com et consulter tous les témoignages que nous avons publiés.

Ça me rappelle que je ne me vois pas non plus développer un plan de communication pour aider une banque à convaincre ses clients qu’elle est là pour eux (alors qu’elle utilise leur épargne pour financer les chocs climatiques que ces mêmes clients se prendront dans la face dans quelques années ).

Ça me rappelle que ça n’a aucun bon sens de concevoir des publicités pour une grande firme immobilière qui n’a aucune mission sociale (et qui tirera peut-être parti de l’appauvrissement des ménages pour se créer de nouvelles opportunités et accélérer la crise du logement).

Bref, revenons-en à la Sibérie. Il fait 38 degrés en Sibérie. Et je lis au passage que les scientifiques ne s’attendaient pas à voir de telles températures records au-dessus du cercle arctique avant... 2100. On aurait donc possiblement 80 ans d’avance sur des scénarios déjà catastrophiques à la base.

Comment, devant une situation aussi terrifiante, et au vu de l’immensité de la tâche qui nous attend, et pour laquelle, d’année en année, on reporte le moment de se mettre sérieusement au boulot, pourrais-je me résoudre à dépenser mes 40h de travail par semaine pour une entreprise qui participe à l’immensité du problème?

Je pense à mon fils

Et s’il vous plait, ne me parlez pas de l’impact écologique d’avoir décidé de faire un enfant. Je ne le sais que trop bien. S’il vous plait, si le fait de faire un enfant dans ce monde vous révolte, je le comprends, je suis passée par là. Mais allez plutôt dire aux nombreux irresponsables et insouciants parents de trois enfants, carnivores, détenteurs de grosses maisons, SUV, piscine et j’en passe, de faire, eux, moins d’enfants.

Je pense à mon fils et je pense à ce que je vais lui raconter dans 20 ans, lorsque nous vivrons lui et moi la crise climatique de plein fouet et qu’il sera devenu rare de voir de la biodiversité autour de chez nous, au Québec. J’imagine la discussion qu’on aura, la boule au ventre :

Clara Leurent et son fils
Courtoisie/Clara Leurent
Clara Leurent et son fils

«Mon chéri, tu sais, pendant la crise de la COVID-19, est arrivée une méga crise de l’emploi alors même qu’on vivait déjà le début de cette méga crise climatique que tu vis aujourd’hui. Mais bon, des jobs pour contribuer à sauver le monde qui courait à sa perte, il n’y en avait pas beaucoup. Et puis, comme on avait vraiment besoin de gagner notre croûte dans ce temps-là, j’ai dû donner mon temps et mes précieuses compétences pour des entreprises qui ont créé tous les problèmes auxquels toi et tes copains vous allez devoir trouver des solutions. Tu trouves ça absurde? Je sais, moi aussi.»

Non, vraiment. Je ne peux pas me résoudre à devoir expliquer dans 20 ans que j’ai fait volontairement partie du problème, en ayant accepté des jobs vides de sens et qui ne résolvaient aucun des colossaux problèmes environnementaux et sociaux auxquels on faisait face. Passer 40h de ma semaine, 2000 heures par an, durant lesquelles je ne verrai grandir ni mon fils ni ma contribution personnelle envers la société dans laquelle il va passer sa vie? Non merci.

Donc, rendus là, vous allez peut-être me dire: « Bien, vas-y, trouve-toi une job pleine de sens, utile, payée une misère, et laisse-nous tranquilles.»

Oui, c’est tout à fait ce que je veux. Mais voilà, c’est la crise. Et lorsque j’épluche les rares offres d’emploi, je me rends compte une fois encore à quel point la crise touche toujours en premier les acteurs les plus utiles de notre société.

Les quelques entreprises et organisations de l’économie sociale et solidaire, celles dont le cœur d’activité est justement de résoudre un enjeu environnemental ou sociétal, elles vont mal, elles se prennent de plein fouet l’onde de choc économique. Et ça se manifeste par une baisse considérable d’offres d’emploi dans leurs domaines. Et ça n’a aucun sens, puisque, plus que jamais, ce sont d’elles que nous avons besoin.

Ce sont eux les employeurs d’avenir, ce sont eux les entrepreneurs sociaux pour qui des jeunes comme moi voulons travailler, se démener, mettre à profit nos talents.

Alors ce n’est sans doute pas gagné d’avance, mais je vais persévérer.

Je vais persévérer autant que possible pour trouver une organisation véritablement utile à la société, et qui aura besoin de quelqu’un comme moi pour aller encore plus loin. Je vais m’assurer que dans 20 ans, j’aurai une belle histoire de carrière engagée et utile à raconter à mon fils.

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