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Tester un vaccin contre la COVID-19 en infectant des personnes saines, est-ce une bonne idée?

Pour tester l’efficacité du vaccin contre la COVID-19, le Royaume-Uni va infecter des volontaires. Ce «challenge infectieux humain» soulève de lourdes questions éthiques.
POOL New / Reuters

Le Royaume-Uni passe à la vitesse supérieure. Le pays s’apprête à annoncer cette semaine le lancement du premier “challenge infectieux humain” d’après les révélations du Financial Times datant du vendredi 25 septembre. La pratique consiste à inoculer délibérément le virus infectieux aux personnes qui participent à un essai clinique, afin de vérifier au plus vite et au mieux ce qu’il en est de l’efficacité du vaccin expérimenté. Le challenge sera piloté par l’Imperial College de Londres, et programmé pour janvier 2021.

Dans la compétition planétaire pour mettre au point, produire et commercialiser un premier vaccin efficace et sans danger contre le virus de la COVID-19, le “challenge infectieux” présente un avantage considérable: la réduction des délais de la mise au point des vaccins.

Gagner du temps

Les essais cliniques comportent trois phases. La première vérifie l’absence d’effets secondaires sur un faible nombre de volontaires, la deuxième évalue l’efficacité du vaccin sur une centaine de volontaires et la phase 3 est menée sur quelques milliers de volontaires qui reçoivent, pour la moitié, un placebo et pour l’autre, le vaccin.

Au bout de plusieurs mois, on compare l’état de santé du groupe témoin ayant reçu le placebo à celui qui s’est vu administrer un candidat vaccin. Elle permet d’obtenir des données d’innocuité et d’efficacité, et doit permettre d’affiner le dosage du produit ainsi que son mode d’administration.

C’est cette dernière étape qu’une “infection contrôlée” pourrait remplacer, et raccourcir. Alors que la phase trois des essais cliniques peut durer plusieurs années, l’essai britannique permettrait de mesurer l’efficacité du vaccin en quelques semaines seulement. En effet, pendant la phase 3, les volontaires sont divisés en deux groupes, ceux qui reçoivent le vaccin et ceux qui reçoivent le placebo. Leurs résultats sont ensuite comparés pour déterminer l’efficacité du vaccin.

Mais pour que les résultats soient significatifs, il faut que le virus ait suffisamment circulé dans la population pour que les deux groupes y aient été confrontés. Une étape que le “challenge infectieux” supprime: avec cette pratique controversée, les volontaires sont délibérément exposés à l’argent pathogène. Par ailleurs, le nombre de volontaires, de quelques milliers lors de la procédure habituelle, pourrait être largement réduit, passant à environ 100 à 200 personnes recrutées.

“Sauver des millions de vie”

Mise en oeuvre pendant des décennies, la méthode a été écartée dans les années 1970 pour des raisons éthiques. Sans être toutefois strictement interdite par les instances internationales: la décision doit pouvoir être prise au cas par cas d’après le Conseil des organisations internationales des sciences médicales.

Si le Conseil scientifique s’y est opposé en France, l’initiative rencontre plus de succès au Royaume-Uni et aux États-Unis. La plateforme 1daySooner (un jour plus tôt), promeut l’initiative qui pourrait selon elle sauver des milliers, voire des millions de vies. “Si un vaccin pouvait éviter 75% de ces décès, alors si nous accélérons le développement du vaccin d’un jour, cela permet de sauver 3750 vies”, a-t-elle écrit, alors qu’elle a reçu l’accord de 38.000 volontaires, dont 2000 Britanniques, pour le lancement d’un tel protocole. Dans un communiqué, l’organisation a “salué le gouvernement britannique pour sa décision”.

Les partisans de ce dispositif rappellent également que les “challenges infectieux” ont déjà été utilisés dans le passé, pour des vaccins contre la grippe, la malaria, la typhoïde, la dengue, ou le choléra.

Mais la décision des autorités britanniques d’y recourir est loin de faire l’unanimité. Première question, comment trouver des volontaires prêts à se faire administrer le virus infectieux? Les connaissances sur le SARS-Cov2 et sur l’évolution de la maladie sont encore limitées, rappelait William Haseltine, ancien professeur de l’école de médecine de Harvard et président du think thank Access Health International dans son blog. “L’infection peut endommager de façon permanente le coeur, les poumons, le cerveau et les reins chez les jeunes comme chez les personnes âgées. De plus, une fois qu’une personne est infectée, il n’existe aucun médicament connu qui guérisse complètement ou même améliore la COVID-19”, rappelait-il.

Jugé éthiquement irresponsable

De quoi nourrir les arguments des détracteurs du challenge infectieux, comme le rappelle Richard Horton, rédacteur en chef du journal médical The Lancet. “Pour mener un tel essai, deux critères doivent être retenus: savoir quelle dose injecter pour ne pas prendre de risque et s’assurer qu’il existe un médicament qui permette de guérir la maladie. Aucun des deux critères n’est rempli avec la COVID”, fustigeait-il sur Twitter jeudi 24 septembre.

Et de poursuivre: “au regard des connaissances dont nous disposons sur la COVID-19, le choix de mener cet essai est éthiquement irresponsable”.

Le journal américain Statnews résumait ce débat éthique dans un article daté du 3 septembre dernier avec, à l’appui, une analogie de guerre. “Imaginez qu’on ait besoin de tester un nouveau type de parachute pendant une période de guerre, au moment où un nouveau parachute est urgemment nécessaire. À un moment ou à un autre, il faudra l’essayer dans la réalité, ce qui est inenvisageable, à moins d’être sûr que le parachute fonctionne.”, expliquait alors le journal, comparant cette situation à celle des challenges infectieux. Rien ne garantit en effet que les volontaires, même jeunes, en sortiront indemnes, poursuivait le journal.

Problème de représentativité

Car, au-delà de la question éthique, se pose celle de la représentativité. Le challenge infectieux, mené sur des personnes jeunes et en parfaite santé , offre-t-il une bonne représentativité de la population exposée, puisque le coronavirus constitue principalement un risque pour les personnes les plus âgées et celles souffrant de pathologies chroniques?

C’est d’ailleurs l’un des arguments avancés en France par le Conseil scientifique dans son avis du 9 juillet. “L’existence de modèles animaux d’infection au Sars-Cov 2, même imparfaits, n’impose pas de recourir à l’évaluation d’une protection chez de jeunes volontaires en bonne santé, dont les résultats ne seraient pas plus transposables que ceux des modèles animaux aux personnes vulnérables, principales cibles de la protection”, concluait-il.

Ce texte a été publié originalement sur le HuffPost France.

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