VENEZUELA - De la musique, des files d'attente et une tente rouge installée dans une favela de Caracas par le PSUV, le parti au pouvoir. Après avoir voté, les partisans de Nicolas Maduro venaient s'y inscrire, espérant recevoir la récompense promise par le président sortant, également candidat.
Mais ces "points rouges", situés parfois à quelques dizaines de mètres à peine des bureaux de vote, a constaté l'AFP, étaient au coeur d'une controverse dimanche 20 mai. Dans la soirée, Nicolas Maduro a été déclaré vainqueur de la présidentielle par l'autorité électorale.
L'opposition et les adversaires du chef de l'Etat, Henri Falcon et Javier Bertucci, ont accusé le camp présidentiel d'exercer un "chantage" au vote et un "contrôle social" sur les citoyens à travers ce dispositif. "Dans les points rouges on est en train de manipuler gravement le vote", a dénoncé Javier Bertucci. "C'est jouer avec la faim de nos compatriotes", a déclaré dimanche soir Henri Falcon.
Une mesure qui cible les quartiers populaires
Tout au long de la campagne, le chef de l'Etat a promis des primes au vote aux détenteurs de "carnets de la patrie", un objet au format de carte de crédit qui permet de bénéficier des programmes sociaux.
Mais samedi, à la veille du vote, la présidente du Conseil national électoral (CNE), Tibisay Lucena, a exclu toute prime aux électeurs. "Il n'y aura pas de versement de bonus ou de prime dans les points politiques" installés par les partis, a affirmé Tibisay Lucena lors d'une conférence de presse, assurant que ces sites ne pouvaient pas se trouver à moins de 200 mètres des bureaux de vote.
"Je suis chaviste 100% et qu'il y ait à manger ou pas, je continue d'être chaviste", déclarait à l'AFP Magalis Torres, 51 ans, levée à l'aube pour tenir ce "point rouge" qui attend les électeurs.
Officiellement ouverts à tous les Vénézuéliens dans le besoin, les "carnets de la patrie" ont été essentiellement distribués dans les quartiers populaires du Venezuela, où se trouve l'électorat traditionnellement chaviste, la doctrine politique créée par Hugo Chavez, prédécesseur de Nicolas Maduro de 1999 à 2013.
Une carte, mine d'informations sur les électeurs
Malgré l'annonce de l'autorité électorale, les électeurs présents dans ces "points rouges", interrogés par l'AFP, s'attendaient à recevoir la prime promise par le chef de l'Etat. "Je suis à la recherche des aides (du gouvernement), tout le monde veut les primes", a déclaré Maximino Ramos après s'être enregistré dans le quartier de Petare, dans une tente située à 50 mètres à peine du bureau de vote.
Si le "carnet de la patrie" n'est pas exigé pour voter, les électeurs chavistes, lors de leur inscription dans les "points rouges", se faisaient scanner le QR code apposé sur cette carte par des militants du PSUV.
Ce QR code contient, outre la photo du titulaire, ses informations personnelles: nom, prénom, numéro de carte d'identité, lieu de résidence, s'il milite ou non et les programmes sociaux dont il bénéficie.
Un résultat rejeté par les opposants, faute de "légitimité"
Après le dépouillement de la quasi-totalité des bulletins de vote, le président socialiste sortant a remporté 67,7% des voix contre 21,2% à son principal adversaire Henri Falcon, lequel a rejeté le processus électoral, a annoncé la présidente du Conseil national électoral (CNE) Tibisay Lucena, faisant état d'une "tendance irréversible".
Peu avant les résultats officiels, Henri Falcon a rejeté ce scrutin présidentiel, faute de "légitimité", et exigé la tenue d'une nouvelle élection avant la fin de l'année. "Nous ne reconnaissons pas ce processus électoral, pour nous, il n'y a pas eu d'élection. Une nouvelle élection doit être organisée au Venezuela", a déclaré l'opposant lors d'une conférence de presse, accusant le gouvernement d'avoir fait pression sur les électeurs.
L'adversaire de Nicolas Maduro a pointé du doigt les "points rouges". L'horaire de fermeture tardif des bureaux de vote a également été dénoncé. L'autre candidat de l'opposition, le pasteur évangélique Javier Bertucci, 48 ans, crédité de 11% des suffrages, a également dénoncé l'élection quelques minutes après et appelé à un nouveau vote.
Le résultat du scrutin contesté de toutes parts
De Bogota à Lima, en passant par Santiago ou Madrid, des centaines de Vénézuéliens à travers le monde ont manifesté dès dimanche pour dénoncer "une fraude". Le Chili, tout comme le Panama, s'est refusé à reconnaître ces résultats et a accusé Nicolas Maduro de mettre en place "une dictature".
Outre l'opposition, les Etats-Unis, l'Union européenne et le groupe de Lima, une alliance de 14 pays d'Amérique et des Caraïbes, avaient rejeté ce scrutin. Tous accusent également Maduro de saper la démocratie.
Les 14 pays du groupe de Lima, qui comprend notamment l'Argentine, le Brésil, le Canada, le Chili, la Colombie et le Mexique, ont annoncé ce lundi dans un communiqué "l'abaissement du niveau de leurs relations diplomatiques avec le Venezuela (...) pour protester" contre ce scrutin "non conforme aux normes internationales d'un processus électoral (...) transparent et démocratique". Ils ont annoncé le rappel de leurs ambassadeurs du Venezuela.
"Les élections truquées ne changent rien. Il faut que le peuple vénézuélien gouverne ce pays... une nation qui a tant à offrir au monde", avait aussi tweeté plus tôt le chef de la diplomatie américaine Mike Pompeo.
Quatre mois de manifestations quasi quotidiennes de l'opposition qui ont fait 125 morts à la mi-2017, ont été écartés d'un revers de main avec la mise en place d'une assemblée constituante, toute puissante arme politique au service du camp au pouvoir.
Touché par l'effondrement des cours du brut depuis 2014, le Venezuela, qui tire 96% de ses revenus du pétrole, souffre d'un manque de devises qui l'a plongé dans une crise aiguë. En cinq ans le PIB a fondu de 45% selon le FMI, qui anticipe une contraction de 15% en 2018 et une inflation de 13.800%.
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