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Te souviens-tu, quand on était ti-cul?

Quand ils nous parlaient de guerres bactériologiques, de virus mortels pis de catastrophes nucléaires, on se regardait, en riant, convaincus que tant qu’il y avait de la slush, la survie de l’espèce humaine était assurée.
Rosley Majid / EyeEm via Getty Images

Te souviens-tu, quand on était ti-cul? Quand on pensait qu’avoir trente ans c’était être vieux. Les grands nous disaient de faire attention, que rien n’était acquis dans la vie.

On n’avait pas de soucis sinon celui de se demander dix fois par jour quoi manger pis lequel de nos trois chandails enfiler. Équipé d’un bicycle, on était prêt à parcourir le monde avec une poignée de cennes, on rêvait d’un vieux jeep pis de la côte ouest américaine.

Les grands nous disaient que la vie c’était pas facile, que la jeunesse était pas éternelle pis qu’un jour on payerait pour les ressources naturelles.

On savait déjà que notre premier flirt serait l’amour de notre vie. On rêvait d’un premier appart avec des biblis en caisse de lait, des chaises ramassées au bord du chemin pis tant qu’on avait des ramens on savait qu’on crèverait pas de faim. On pourrait toujours boire au boyau du voisin.

Quand ils nous parlaient de guerres bactériologiques, de virus mortels pis de catastrophes nucléaires, on se regardait, en riant, convaincus que tant qu’il y avait de la slush, la survie de l’espèce humaine était assurée.

La vie se résumait au prénom d’une idole gribouillé sur nos taies d’oreiller pour avoir l’impression que l’âme soeur dormait à nos côtés, on carburait aux histoires d’amour comme si y’avait rien de plus important au monde que dormir en cuillère.

Les grands nous disaient de se méfier, que l’amour était compliqué pis nous on continuait d’essayer de frencher comme dans les vues en s’imaginant que notre avant-bras était l’élu.

On refaisait le monde chaque fois qu’on se tapait une canette en cachette dans le stationnement arrière d’un dépanneur, comme si une bière à deux nous permettait de faire du monde un monde meilleur.

Les grands nous disaient qu’on devait rester à l’école longtemps pour jamais manquer de rien, nous on survivait tout l’été avec cinq piasses par semaine d’argent de poche. On en mettait même de côté pour notre premier appartement.

Les grands nous disaient qu’un jour, les forêts seraient ravagées au profit de l’économie, que l’air serait difficile à respirer pis qu’on serait soumis à plein de maladie. Nous, on avait notre petit repère caché dans une clairière, on jouait à la bouteille, on partageait la même paille, on se buzzait avec une cigarette achetée à l’unité, on espérait que la bouteille nous impose enfin ce premier baiser tant simulé.

Y’avait rien au monde pour faire de ce monde un endroit où on ne boirait plus l’eau d’une rivière, un endroit où on se méfierait des autres, un endroit tellement dangereux qu’il faudrait porter un masque pour assurer notre sécurité.

“Le temps où on était ti-cul est ben loin, le vieux bicycle a depuis longtemps rendu l’âme, pis je me souviens avec nostalgie de cet appart qu’on a jamais habité.”

On était ti-cul, on roulait des heures à vélo sans se fatiguer, on se contentait de rien, pourvu qu’il y en ait assez pour nous deux, on savait rien de ce qui se passait sur d’autres continents, on était naïf pis tellement insouciant.

Les grands nous disaient qu’un jour on grandirait pis qu’on comprendrait que la vraie vie c’était de travailler pour nourrir nos enfants.

On n’y croyait pas, persuadé que la vraie vie c’était de rouler en bicycle pis de lâcher ses mains en même temps que l’autre assis sur les poignées pour se donner l’impression d’être tellement libre qu’on pouvait s’envoler.

Le temps où on était ti-cul est ben loin, le vieux bicycle a depuis longtemps rendu l’âme, pis je me souviens avec nostalgie de cet appart qu’on a jamais habité.

Aujourd’hui, je sais plus vraiment où t’es rendu, mais les grands avaient raison. On paye pour l’eau, notre repaire dans la clairière est rendu un Costco, l’air est contaminé, les gens sont méfiants. Dire qu’on riait quand on nous disait qu’un jour sortir dehors ça serait dangereux pis qu’on préférerait rester en dedans.

Te souviens-tu quand on était ti-cul? On mangeait de la neige, on buvait la pluie. Jamais on aurait pensé qu’aujourd’hui...

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