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Mon frère s’est donné la mort il y a trois ans. En guérit-on vraiment un jour?

Ce que je sais, c’est que la part d’inexpliqué, la culpabilité, les doutes et les questionnements qui s’en suivent assaillent tous ceux qui ont été confrontés à cette douleur qui frappe fort, en plein coeur.
Eric Fougere via Getty Images

C’était le 23 octobre 2017. Il y a trois ans. J’étais à mon bureau du HuffPost Québec, au centre-ville de Montréal. Une journée d’automne, grise et pluvieuse, mais qui ne laissait nullement présager cette onde sismique, ce cataclysme, ce tsunami émotionnel qui allait s’abattre et ne cesserait ensuite de m’envahir sans prévenir, encore aujourd’hui. Le deuil d’un suicide est un processus bien différent dit-on du reste des deuils. Je ne sais pas. Certainement.

Ce que je sais, c’est que la part d’inexpliqué, la culpabilité, les doutes et les questionnements qui s’en suivent assaillent tous ceux qui ont été confrontés à cette douleur qui frappe fort, en plein coeur.

Ce matin-là, mon cellulaire indiquait plusieurs messages du numéro de mes parents, en France. Un horaire inhabituel. Je composais les 14 numéros et je tombais sur la voix blanche de ma mère. «Il est arrivé quelque chose d’horrible». Les sanglots étreignaient sa voix, si sûre habituellement. «Nous avons retrouvé ton frère, il s’est suicidé.»

Les mots tombent comme un couperet. Mon corps semble se vider de son sang. Ma tête refuse cette information. Je suis sans voix. Figée. Hébétée. Je me rappelle avoir marché sous la pluie pendant des heures pour regagner mon appartement de Rosemont. Des pleurs sans discontinuer. Mon visage comme une éponge. Tout comme ce vol transatlantique qui m’a vu me noyer dans ma peine salée pour regagner les miens, ma famille.

Pendant des jours, je retrace le fil de ses derniers instants. Je me relis sur Messenger, dont ce message: «Mais non, Philippe, tout va bien, tu es un homme brillant, tout n’est pas perdu. Arrête.»

Et lui, de me répondre: «J’ai tout foutu en l’air.»

Un «je t’aime» avait servi de conclusion de ma part.

Je dealais depuis tant d’années avec ces hausses et baisses de régime d’un grand frère, si brillant, si beau, si «successful», lui qui avait été une star du petit écran. Mon grand frère en jetait, il connaissait les acteurs, les réalisateurs, le gratin parisien, mais aussi les stars internationales qui passaient sur le plateau de Nulle Part Ailleurs (première partie), l’émission de Canal + qu’il a coanimée pendant des années. Le programme incontournable pour faire sa promo en France. Un rendez-vous intello pour les artistes du divertissement. Une pause branchée et joyeuse du petit écran.

J’avais une fierté sans borne pour ce grand frère à qui tout semblait sourire. Lui et moi avions vécu seulement quelques années sous le même toit du domicile familial, dans une petite ville de province française. La différence d’âge nous avait séparés physiquement, un temps.

Nous nous étions ensuite retrouvés à Paris. Nous avions appris à nous découvrir et à nous connaître. Je menais une carrière de télé qui m’avait propulsée d’une émission d’écologie co-présentée avec Nicolas Hulot sur LCI à un magazine de mode sur France 5. Les rôles s’étaient un temps inversés. Lui, débarqué du petit écran, moi, carrière montante quasi à mon corps défendant. Pas une décision que je prenais sans en aviser cet aîné à la pensée vive et tranchante comme une lame de rasoir.

Puis, il avait vécu une traversée du désert. Suivi d’un mariage que je ne qualifierais que de désastreux, pour ne pas m’exposer à des poursuites judiciaires. Un mariage qui l’avait torpillé. C’était il y a plus de 15 ans, suivi d’un divorce ravageur. Je le soutenais de Paris à Montréal, toutes ces années, du mieux que je le pouvais. Du mieux que je le pouvais, mais était-ce assez? Non, ça ne l’est jamais à la fin. Au bout de la vie.

Feu follet

«Philippe aimait les livres. Il était beau mais surtout élégant, viril mais gracieux, stendhalien [...] Il avait un goût maximaliste de la vie. Une combustion mélancolique l’avait porté à adorer la fête, à regarder de près les aveuglantes lumières, à ne pas craindre de brûler. Philippe était courageux. Il ne cherchait pas tant l’ivresse que la légèreté», comme l’écrivait Olivier Séguret, une brillante plume de Libération en son hommage, après sa mort.

Un magnifique hommage des journalistes de Libération.

Les journalistes, d’ailleurs, ont évidemment voulu en savoir plus. Parfois trop. Si certains ont fait leur travail avec respect, d’autres m’ont m’horrifiée, m’ont fait honte. Ce sont ceux qui appelaient à toute heure du jour (et de la nuit), le dernier souffle du mort à peine rendu.

Ces charognards de l’info voulaient savoir comment le suicidé avait opéré: pilules, veines cisaillées…? Quelle différence?! Ces indignes de la profession qui enfilent à la pelle les mensonges les plus grossiers pour vendre, mais aussi pour salir, m’ont donné des hauts le coeur. Des journées à entendre ce téléphone sonner et faire bondir une famille accablée, déjà à terre.

Une couche supplémentaire à la douleur qui n’en a pas besoin.

Une douleur qui persiste et signe. Une douleur qui se floute parfois bien sûr, mais qui demeure et qui demeurera, je le sais. L’absence de lettre, de mot, de message en est probablement l’une des raisons. Je m’en suis convaincue. Le mot d’adieu absent.

Un jour, nous parlions de la vie, de la mort, du suicide. Je lui avais fait promettre à ce grand frère de ne jamais partir sans dire «Au revoir». C’était un pacte, verbal, qui nous avait fait nous serrer fort dans les bras comme pour conjurer le sort.

Mais, rien, il n’a finalement rien laissé derrière lui. Pas un mot, pas une lettre, pas un message. Rien. Je ne lui en veux pas, bien sûr. Seul sur son écran d’ordinateur, un cliché estival de mes deux enfants et de moi. Une photo de vacances, anodine, des sourires figés, des visages qui respirent la vie.

Je n’ai jamais rebranché cet ordinateur qui s’est éteint lui aussi, emportant cette dernière photo sur laquelle il a dû se pencher, une dernière fois. Peut-être.

Je finirai sur les mots de Gérard Lefort, une plume unique en France, un mentor pour mon frère, un homme brillant, loyal et fidèle. Le plus beau des adieux.

«Philippe, pour tout dire, avait la grâce d’un éphémère, fatalement fugitive. Désormais, quand on randonnera dans la campagne de nos souvenirs, on guettera sa manifestation crépusculaire, sa persistance de luciole bienfaisante. Philippe chéri, notre feu follet», Gérard Lefort pour Philippe Vecchi, pour mémoire.

Mon frère s’est retiré la vie, il y a trois ans.

Si vous vous sentez en détresse, que vous avez perdu de l’intérêt pour vos activités préférées, que les ressources autour de vous sont insuffisantes, que vous avez de la difficulté à accomplir vos tâches quotidiennes et que vous éprouvez une grande fatigue, une aide professionnelle peut être nécessaire.

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