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Soutenir mon fils dans sa transition m’a fait comprendre ce que le mot «allié» veut dire

Tous les parents devraient avoir envie de voir leurs enfants heureux et épanouis. Rodney reste la personne que j’ai toujours aimée.
HuffPost UK

Il est important de savoir prendre des risques. J’ai grandi dans une banlieue aisée dans l’Ohio des années 1980 et je ne me suis jamais senti à ma place. Je rêvais de m’enfuir et me reprogrammer. J’ai tenu bon jusqu’à la fin de mes études et je suis tombé follement amoureux d’une femme libre et fougueuse.

Après nos études, nous avons mis le chat, le chien, le bébé et le peu que nous possédions dans une van délabrée, et nous avons roulé vers l’ouest jusqu’à l’océan, à Seattle. C’est là que j’ai décidé de devenir ingénieur en aérospatiale. J’ai laissé derrière moi celui que j’étais dans l’Ohio et j’ai fait mien l’esprit de la côte Ouest. J’ai eu l’impression de renaître.

Vingt ans ont passé. L’idylle rebelle de ma jeunesse s’est soldée par une rupture douloureuse qui a fait exploser notre famille. Mon ex-femme est retournée dans l’Ohio avec nos enfants et je suis resté dans l’ouest pour continuer à subvenir à nos besoins. Même sans la souffrance causée par une aliénation parentale délibérée, une relation à distance est difficile à entretenir. Quand ma fille aînée est entrée à l’université, c’est à peine si nous nous parlions.

Elle me manquait terriblement. J’aurais tout donné pour la préserver de la douleur et la souffrance. Je regrettais le temps où elle levait sur moi un regard plein d’adoration et d’amour inconditionnel.

“J’ai regardé le numéro et dit bonjour en l’appelant par son nom de naissance. Sa réponse m’a pris de court.”

Plus les semaines et les mois passés sans entendre sa voix s’allongeaient, plus j’avais de la peine. Je ne savais pas quand nous nous reparlerions. Et puis, un beau jour, j’ai reçu un appel. J’ai regardé le numéro et dit bonjour en l’appelant par son nom de naissance.

Sa réponse m’a pris de court: un profond baryton que j’ai à peine reconnu m’a dit que ce nom n’était plus d’actualité. Elle m’a déclaré répondre désormais au nom de Rodney et s’identifier comme un individu de sexe masculin.

Une onde de choc m’a ébranlé. Après un moment de réflexion, j’ai demandé si Rodney avait besoin de quoi que ce soit. C’est là qu’il m’a parlé de son projet de se faire opérer à San Francisco. Cela m’a semblé être une très mauvaise idée. J’ai eu peur qu’il s’agisse d’une solution définitive à un problème susceptible d’être temporaire, sans compter qu’il se préparait, au mieux, à un long et douloureux combat. Toutefois, aussi effrayant que cela puisse paraître, le fait qu’il le mène seul était bien pire encore.

Après m’être débrouillé pour prendre un congé, je me suis envolé pour San Francisco, où j’ai réservé, à Alameda, un hôtel bon marché. J’ai retrouvé Rodney et son compagnon à l’aéroport et, au cours des semaines qui ont suivi, j’ai fait le chauffeur pour leurs consultations, opérations et visites postopératoires.

Lors de la consultation chirurgicale, qui s’est déroulée dans un gratte-ciel du quartier des affaires de San Francisco, la situation semblait encore irréelle. Quand est arrivée l’opération, tout est soudain devenu très réel. Rodney et son partenaire étant obligés d’attendre l’autorisation du médecin pour prendre l’avion, j’ai passé deux semaines à m’occuper du renouvellement des ordonnances et du changement des pansements, jusque tard dans la nuit. Certains jours, c’était sympa et nous nous remémorions le bon vieux temps. D’autres, nous essayions d’éviter le champ de mines qu’était notre passé, tandis que nous traversions un brouillard de douleur à peine adouci par les analgésiques.

“Les personnes trans qui font partie de nos vies restent celles que nous avons toujours aimées, et elles ont besoin de notre aide et de notre soutien pour découvrir leur véritable identité.”

Ce chemin, semé d’embûches, n’était sans doute pas celui que suivent la majorité des gens. Et ce n’était certainement pas l’idée que je m’étais faite de notre premier séjour à San Francisco: j’avais toujours imaginé explorer le quartier de Haight Ashbury, évoquer Jack Kerouac et philosopher sur la Beat Generation. Mais il ne s’agissait pas de mon voyage. C’était le leur.

Une fois les garçons rentrés chez eux, nous avons continué à tisser notre lien ressuscité. Ce n’était pas toujours idyllique, mais toute relation demande du travail. Je suis content qu’ils fassent partie de ma vie. J’ai appris que mon rôle de père est de protéger mes enfants de la douleur mais aussi de les aider à grandir et relever les défis qui se présentent à eux afin qu’ils deviennent ce qu’ils rêvent d’être. Rodney sait que je suis là en cas de coup dur, ou simplement quand il a envie de boire un café. Comme tous les enfants, il n’appelle pas aussi souvent que je le voudrais, mais au moins il le fait. Et quand il me dit «Je t’aime», je sais qu’il le pense.

Vous avez envie de raconter votre histoire? Un événement de votre vie vous a fait voir les choses différemment? Vous voulez briser un tabou? Vous pouvez envoyer votre témoignage à propositions@huffpost.com et consulter tous les témoignages que nous avons publiés.

Chaque transition requiert du travail et des alliés. Je supplie les parents et les familles confrontés à la même situation de se rappeler les transitions qu’ils ont opérées dans leur propre vie, le moment où ils ont décidé de briser le moule et suivre leur propre chemin. Les personnes trans qui partagent nos vies restent celles que nous avons toujours aimées, et elles ont besoin de notre aide et de notre soutien pour découvrir leur véritable identité. Quel que soit le nombre de lettres que vous préférez utiliser pour décrire la communauté LGBTQ+, ne perdez jamais de vue qu’il s’agit avant tout d’êtres humains.

Grandir, ce n’est pas s’encroûter dans la sécurité et la conformité; c’est prendre son envol et partir à la découverte de soi, que cela prenne la forme d’un road trip ou d’une opération chirurgicale accompagnée d’hormones. Quand on aime vraiment quelqu’un, tout ce qu’on souhaite pour lui, c’est qu’il soit heureux et épanoui.

Assurez-vous donc d’être là pour vos enfants quand ils en auront le plus besoin.

Ce blog, publié sur le HuffPost britannique, a été traduit par Catherine Biros pour Fast ForWord, pour le HuffPost France.

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