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Devinez qui vient souper pour l'Action de grâce?

Les agents de police qui souhaitent enquêter sur d’éventuelles infractions aux règles liées à la COVID-19 n’ont pas le droit d’entrer chez vous simplement parce qu’ils le veulent.
vmargineanu via Getty Images

Si quelqu’un vient frapper à votre porte pendant le repas de l’Action de grâce alors que vous n’attendiez personne, cela ne présage généralement rien de bon. Mais s’il s’agit de la police, alors c’est une tout autre affaire.

Le gouvernement du Québec a placé la police sur les premières lignes de la pandémie et l’a dotée d’un nouvel outil à intégrer à son arsenal de moyens pour la mise en application des restrictions liées à la COVID-19: il s’agit des télémandats généraux. Le premier ministre Legault a affirmé que la police pouvait s’en servir pour avoir rapidement accès à votre domicile. Si toutefois ces télémandats sont utilisés conformément à la loi québécoise, ils devraient de fait ne donner à la police qu’une capacité très réduite de franchir le seuil de votre logement.

Le gouvernement joue avec le feu. Le risque d’abus – de perquisitions inconstitutionnelles et de détention arbitraire - est considérable. Comme filet de sécurité constitutionnel, il y a un juge à l’autre bout du fil. Reste à espérer qu’il fera son travail.

Faisons donc une mise au point de ce que la police peut ou ne peut pas faire pendant que vous célébrerez l’Action de grâce cette fin de semaine.

“La police ne peut pas exiger d’une personne qu’elle s’identifie afin de savoir où elle habite. Vous avez le droit de garder le silence.”

Ce qu’on appelle votre domicile, c’est justement cela, votre domicile. Que vous en soyez propriétaire ou locataire, vous avez des droits qui s’y rattachent. Les agents de police qui souhaitent enquêter sur d’éventuelles infractions aux règles liées à la COVID-19 n’ont pas le droit d’y entrer simplement parce qu’ils le veulent. Ils ne peuvent franchir le seuil de votre logement qu’avec votre consentement ou s’ils détiennent un mandat judiciaire.

La police ne peut pas exiger d’une personne qu’elle s’identifie afin de savoir où elle habite. Vous avez le droit de garder le silence. Légalement, la police ne peut pas vous contraindre à présenter une pièce d’identité dans le cadre de son enquête. Si toutefois elle décide qu’elle a des motifs raisonnables pour vous donner une contravention, elle peut alors vous arrêter et vous gardez en détention jusqu’à ce qu’elle soit sûre de votre identité.

Où s’inscrivent les télémandats dans tout cela ?

Imaginons qu’un agent de police frappe à votre porte. Vous décidez que vous n’avez pas assez de dinde pour lui en offrir. Vous ne voulez donc pas ouvrir la porte, et encore moins lui parler ou l’inviter à s’asseoir.

La police a par conséquent besoin d’un mandat, ou d’un télémandat, pour entrer chez vous sans votre permission. Elle devra comparaître devant un tribunal ou communiquer par téléphone avec un juge pour l’obtenir, en fonction de la preuve qu’elle détient qui doit attester qu’elle a des motifs raisonnables et probables de croire qu’une infraction a été commise et qu’une enquête à l’intérieur de votre domicile lui fournira davantage de preuves.

“Légalement, la police ne peut pas obtenir un mandat pour entrer chez vous et enquêter sur de simples soupçons ou une impression que les nouvelles règles ont été enfreintes.”

Il est possible qu’il y ait des preuves à l’extérieur de votre logement: 100 paires de chaussures à la porte, les bruits d’un attroupement derrière la clôture, le témoignage d’un voisin qui a vu des dizaines de personnes entrer chez vous. Mais il faut des preuves: légalement, la police ne peut pas obtenir un mandat pour entrer chez vous et enquêter sur de simples soupçons ou une impression que les nouvelles règles ont été enfreintes.

La nouvelle réglementation comporte des limites strictes assorties d’une foule d’exceptions. Pas de rassemblements privés à l’intérieur dans les zones rouges. Mais vous pouvez vous retrouver avec les personnes de votre ménage: colocataires, conjoint, membres de la famille. Vous vivez seul? Vous pouvez inviter une autre personne, mais toujours la même. Vous pouvez également laisser entrer chez vous une personne si elle fournit ou reçoit des services ou du soutien nécessaires à la santé, à la sécurité ou pour obtenir un répit. C’est aussi le cas des soins personnels ou esthétiques. Et, ne l’oublions pas, de l’aide ménagère ou des services pédagogiques ou éducatifs.

Cela fait une longue liste de rassemblements autorisés. La police aura du mal à déterminer quand ces exceptions rentrent en jeu. Par conséquent, si ces mandats sont utilisés conformément à la lettre de la loi, il devrait n’y avoir que peu de cas pour lesquels la police détient des renseignements suffisamment solides pour convaincre un juge de les approuver.

Mais ce n’est pas si simple. Il vous suffit d’interroger les personnes le plus souvent ciblées dans les soupçons entretenus par la police, comme les populations noires et autochtones, les groupes racialisés, les personnes qui vivent dans la rue ou celles qui ont un problème de dépendance ou de santé mentale. Les demandes d’entrée dans un logement prennent l’allure d’exigences et les explications de la police pour pouvoir enquêter se mettent à changer. L’insistance à faire valoir vos droits constitutionnels peut donner lieu à des accusations: vous ne faites pas preuve de coopération, vous vous montrez irrespectueux. La situation dégénère. Et quelqu’un va en souffrir.

Les personnes qui font déjà l’objet de contrôles de police excessifs et sont victimes de harcèlement ne savent que trop bien ce que signifie le renforcement des pouvoirs de la police.

Même si celle-ci est en mesure d’obtenir un mandat pour entrer dans votre logement et qu’elle y entre effectivement, il est difficile de voir comment elle pourra enquêter sans avoir à demander aux personnes qui s’y trouvent de présenter une pièce d’identité. Il est possible qu’elle sache déjà qui habite là, ou que quelqu’un soit prêt à coopérer. Dans toute enquête, vous avez toutefois le droit de garder le silence et de refuser de vous identifier à moins que la police n’ait confirmé qu’elle émet une contravention. Mais on peut très vite basculer d’une demande d’identification en vue d’émettre une contravention à une demande d’identification en vue d’enquêter pour savoir si une infraction a été commise.

En fin de compte, l’utilisation ou l’exploitation abusive de cet outil de maintien de l’ordre qu’est le télémandat est essentiellement entre les mains du pouvoir judiciaire, qui détient une responsabilité impressionnante, pour empêcher que les craintes liées à la COVID-19 n’affectent la règle du droit et les droits constitutionnels créés précisément en ce temps de pandémie.

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