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Non, les Québécois ne sont pas en faveur des coupes dans les services

Dans son édition du 9 avril, letitrait. Voilà une belle illustration, encore une, de comment on nous ment avec les statistiques.
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En 1954, Darrell Huff, un journaliste et auteur américain (décédé en 2001), publiait un livre de vulgarisation intitulé How to Lie with Statistics, littéralement : comment mentir avec les statistiques. Le livre fut un grand succès aux États-Unis, rendant accessible au communs la science complexe des statistiques. Il compte aujourd'hui encore parmi les meilleures ventes de livres traitant de statistiques, et il fait même partie des lectures obligatoires de certains programmes universitaires en gestion ou de MBA.

Comme l'indique le titre, l'auteur montre et explique diagrammes et exemples a l'appui, comment il est facile et courant de manipuler les chiffres et les données afin de leur faire dire un peu tout et n'importe quoi. Il nous arme ainsi des outils de base nous permettant de porter un regard critique sur les résultats qu'on nous expose, aussi éloquents et convaincants soient-ils.

Ainsi, au premier chapitre, l'auteur nous invite au scepticisme face aux résultats issus de données statistiques, ainsi qu'à chercher à déceler le, ou les, biais même si ce dernier n'est pas toujours visible et évident a prime abord :

« Même si vous ne pouvez pas trouver une source de biais manifeste, permettez-vous un certain degré de scepticisme sur les résultats. »

Dans son édition du 9 avril 2015, le Journal de Montréal titrait : Les Québécois en faveur des coupes dans les services. L'article, partagé plus de 2200 fois sur Facebook, est sous-titré comme suit :

« La majorité des Québécois sont prêts à couper dans les services et les fonctionnaires pour réduire le déficit de l'État, révèle un sondage Léger marketing publié ce matin. »

Surprenant, n'est-ce pas ? En tout cas, moi quand j'ai vu le titre dans mon fil de nouvelles, j'étais très surpris, étonné, je trouvais ça contre-intuitif. Comment expliquer que les citoyens soient majoritairement pour la coupe dans les services qui leur sont rendus ? Ça ne faisait pas de sens économiquement et sociologiquement parlant.

Voyons de plus près alors. Décortiquons.

Tout de suite, il y a ce premier biais d'interprétation qui me saute aux yeux : le titre. « Les Québécois en faveur des coupes dans les services ». À le lire, on croirait que l'on parle de tous les Québécois, on pense tout de suite à des chiffres avoisinant les 90% ou 80%, pas moins de 60% en tout cas. La réalité est autre : 53%. Étant la marge d'erreur habituelle de ce type de sondages (autour de 3%), un titre un peu moins sensationnel, plus précis, et un peu plus proche de la réalité aurait été : « La moitié des Québécois en faveur des coupes dans les services ». Ça accroche moins, certes, mais c'est aussi moins faux.

Mais ce n'est pas le plus grave. Il y a un biais flagrant dans la question posée aux sondés dont les réponses sont à l'origine du titre. Ladite question n'est pas clairement décrite dans l'article, il faut cliquer sur un lien pour télécharger un fichier PDF afin de consulter la formulation de la question posée lors de ce sondage. Et là, d'un coup, tout devient plus limpide :

Réduire les services ou augmenter les taxes

  • Diminuer services et employés 53%
  • Augmenter taxes et revenus 23%
  • Ne sait pas 24%

Vous voyez ?

On n'a pas demandé aux gens s'ils sont en faveur d'une diminution des services publics, comme ça, dans l'absolu. Non. On leur a demandé de choisir entre deux réponses : la diminution des services et l'augmentation des taxes. Ce n'est pas pareil n'est-ce pas ? Évidemment, à choisir entre diminuer les services et augmenter les taxes, le contribuable moyen déjà fortement accablé préférerait certainement la moins pire des options. Dans ce cas-ci il s'agit de diminuer les services. Si par contre on avait posé la question tel que le laisse entendre le titre : « êtes-vous en faveur des coupes dans les services ? », oui, non, je ne sais pas, je suis prêt à gager que le résultat aurait été bien différent.

Ce qui est encore plus étonnant est que le journaliste est allé chercher une interprétation chez un spécialiste : un professeur de sociologie politique a l'UQAM, question de mettre plus de poids aux chiffres. Ce dernier nous explique :

« Cela semble donner raison à la politique d'austérité du gouvernement de Philippe Couillard, qui prétend parler au nom de la majorité silencieuse ».

Extraordinaire, non ? Que les Québécois préfèrent diminuer les services plutôt qu'augmenter leurs taxes, ça donne raison a la politique d'austérité du premier ministre ! Il est ou le rapport ? Ne cherchez pas, il y en a pas.

Je me demande d'ailleurs quelle question le journaliste a posé au professeur ! Ce professeur a-t-il vraiment consulté les résultats bruts du sondage ? Permettez-moi d'en douter.

Puis il y a ces 24% qui ont répondu : « Ne sait pas ». Étonnant quand même qu'une personne sur 4 ne sache pas quoi préférer entre diminuer les services ou augmenter les taxes. À moins qu'il y en ait parmi eux ceux qui pensent qu'on ne peut réduire l'austérité à ces deux variables, et qu'il y a bien d'autres options. En décembre 2014, dans un sondage Léger-Le Devoir, 66% des répondants étaient bien d'accord avec une augmentation des taxes pour les compagnies d'assurances et les institutions financières, donc augmentation des taxes des grandes entreprises, et seulement 29% en faveur de la diminution des transferts aux municipalités, donc diminution des services publics locaux.

Voilà donc une belle illustration, encore une, de comment on nous ment avec les statistiques. Il est à mon avis plus que nécessaire de nos jours de nous munir des outils de défense intellectuelle nous permettant d'analyser nous-mêmes en tant que citoyens ce que nous balancent les médias (intentionnellement ou non) comme mensonges couverts de chiffres, d'analyses et d'interprétations biaisées. Ces outils critiques devraient d'ailleurs être enseignés à nos enfants dès le primaire : on en ferait des citoyens bien avertis. Moi, je le fais avec les miens.

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