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La sévérité de la COVID-19 peut-elle s'expliquer par la génétique?

Des chercheurs ont récemment découvert un fragment d'ADN hérité de Néandertal responsable de formes sévères de la COVID-19. Une preuve de plus de ce que la génétique peut nous apprendre sur les maladies virales.
A cause d'un gène ou d'un groupe de gènes, un virus peut entraîner des symptômes différents chez des personnes aux génomes différents (photo d'illustration).
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A cause d'un gène ou d'un groupe de gènes, un virus peut entraîner des symptômes différents chez des personnes aux génomes différents (photo d'illustration).

Un fragment d’ADN directement responsable de formes graves de la COVID-19 qui nous viendrait tout droit de Néandertal. L’information a de quoi susciter l’interrogation, voire la fascination. Comment un segment de chromosome hérité d’une espèce éteinte depuis des milliers d’années pourrait-il nous être à ce point défavorable aujourd’hui?

À la fin du mois de septembre, deux chercheurs spécialistes du génome, Svante Pääbo (Institut Max-Planck d’anthropologie évolutionniste, Leipzig) et Hugo Zeberg (Institut Karolinska, Stockholm), ont publié une étude dans la revue Nature, dans laquelle ils font l’hypothèse que la sévérité de certaines formes de COVID-19 s’explique par le fait d’être porteur d’un fragment d’ADN hérité de Néandertal.

Celui-ci est très bien identifié: il s’agit d’une région du chromosome 3 comprenant six gènes. Ce groupe de gènes, on le retrouve, d’après les chercheurs, chez 16% de la population européenne, 50% de la population asiatique, mais quasiment pas en Afrique. Et il a donc été retrouvé par Pääbo et Zeberg dans le génome de différents fossiles néandertaliens.

Mais avant de percer ce mystère qu’est ce fragment d’ADN hérité de Néandertal, prenons le temps de comprendre quel est son effet, aujourd’hui, sur nous. Car avant de retracer ce groupe de gènes jusqu’à Néandertal, Svante Pääbo et Hugo Zeberg se sont appuyés sur deux études démontrant que des variants de cette région de chromosomes étaient plus présents chez des malades sévères de la COVID-19. Attention, être porteur de ce gène ne signifie pas qu’en ayant le coronavirus, il vous sera fatal. Simplement qu’il peut être un facteur aggravant de la maladie.

Un virus, des symptômes différents

Ce qu’il faut savoir, c’est que la génétique peut entraîner une sensibilité plus ou moins importante à une maladie. Les chercheurs le savent et, en ce sens, cette étude en est une preuve de plus. Ce qui est surprenant ici, c’est surtout la rapidité avec laquelle les chercheurs ont mis le doigt sur cette région de chromosomes.

Quoi qu’il en soit, cette étude nous apprend qu’un même virus, ou une même souche virale (en l’occurrence, le SARS-CoV-2) peut entraîner des symptômes différents chez deux personnes ayant un patrimoine génétique différent. «Les différences dans l’expression d’une infection chez différentes personnes s’expliquent par plusieurs facteurs: l’âge, le poids, la sévérité du virus, ou encore des facteurs de comorbidité. Une fois que ces facteurs sont mis de côté, l’une des hypothèses est que le génome de la personne infectée présente des différences», indique Vincent Pedergnana, chercheur au CNRS spécialisé dans la génétique des maladies infectieuses, contacté par Le HuffPost. En d’autres termes: la génétique pourrait expliquer pourquoi des individus jeunes, en bonne santé, ne présentant aucun facteur de comorbidité, sont touchés par des formes sévères de la COVID-19 au même titre qu’une personne âgée par exemple.

Ce n’est pas la première fois que les scientifiques établissent un lien entre une partie du génome et la gravité d’une maladie. «On sait par exemple que des mutations de certaines molécules antivirales connues sous les noms d’interférons de type 3 sont associées à une meilleure capacité d’éliminer le virus de l’hépatite C», note Lluis Quintana-Murci, professeur au collège de France et à l’Institut Pasteur.

D’autres gènes impliqués

Autre exemple plus récent concernant le coronavirus. Deux articles publiés en septembre dans la revue Science font état de l’implication de certains gènes dans l’immunité contre la COVID-19. «Ces études montrent que le déficit d’un certain type de molécules, des interférons de type 1, peut entraîner le développement d’une forme plus sévère de l’infection. Votre organisme a plus de mal à gérer l’infection car les molécules censées s’attaquer au virus préviennent en fait l’action antivirale des interférons de type 1», explique Vincent Pedergnana. Mais on ne sait pas encore exactement ce qui entraîne cette réaction.

On comprend donc pourquoi la recherche génétique peut s’avérer primordiale dans la lutte contre une épidémie telle que celle de coronavirus. En termes de prévention, d’abord. «Savoir que 13, 40 ou 60% de la population peut être porteuse d’une mutation responsable de formes sévères d’une maladie permet de mettre en place une stratification de la population pour prioriser les prises en charge et les soins», note Lluis Quintana-Murci.

Mais aussi, ensuite, en termes de médication. «Trouver quels fragments génétiques sont liés à une maladie permet de comprendre comment une pathologie s’installe. Et donc sur quelles protéines on peut agir avec des médicaments», souligne de son côté Vincent Pedergnana.

Sélection naturelle

Reste qu’une question se pose toujours. Comment un fragment d’ADN vieux comme le monde a pu traverser les décennies, malgré la sélection naturelle, pour nous être défavorable face à une épidémie?

Aussi intrigant qu’il puisse être, le lien établi par les auteurs de l’étude publiée dans la revue Nature entre notre génome et celui de Néandertal n’est pas nouveau. «Environ 2-3% de notre génome vient de Néandertal», affirme en effet Lluis Quintana-Murci. Ce qui veut dire que lorsque nos ancêtres ont quitté l’Afrique, ils ont rencontré Néandertal qui lui a légué par hybridation une partie de son génome.

«On peut apporter deux explications à la survie d’un gène porté par des hommes de Néandertal jusqu’à nous», avance Vincent Pedergnana. «La première, c’est qu’il ne nous dérangeait pas, ne causait aucune maladie. La deuxième, c’est qu’il nous procurait un avantage.» Dans les deux cas, il s’agit de la sélection naturelle: une espèce évolue en fonction de ce qui lui procure un avantage. Pour résumer grossièrement, les gènes qui survivent sont propices à un moment de l’évolution. «Nous sommes les survivants des grandes épidémies du passé, le résultat d’une sélection naturelle du passé. Certains gènes nous ont par exemple permis de nous adapter au froid, ou de mieux survivre à certaines infections virales», souligne Lluis Quintana-Murci.

«C’est ici que cela devient contre-intuitif: ce fragment d’ADN, au lieu de nous aider à mieux survivre, est en fait associé à un risque accru de développer une forme sévère de maladie», poursuit le chercheur. C’est le grand mystère autour de cette région des chromosomes 3, mais plus généralement autour de ce genre de groupes de gènes. Ils nous ont probablement donné un avantage jusqu’à présent. Ou peut-être même qu’ils continuent de nous donner un avantage. Mais lequel?

C’est bien toute la question. En découvrant ce fragment d’ADN, les scientifiques ont trouvé une aiguille dans une botte de foin. Non seulement celui-ci nous est peut-être utile pour tout autre chose, mais en plus, il n’est certainement pas le seul gène impliqué dans la COVID-19, comme l’a notamment démontré l’étude de Science. Et comme le souligne Lluis Quintana-Murci, la sévérité de la COVID-19 est certainement «causée par plein de gènes et non pas un seul, chacun d’entre eux pouvant augmenter nos susceptibilités différentes». Les recherches ne font donc que commencer.

Ce texte a été publié originalement sur le HuffPost France.

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