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Santé mentale: j’ai dû appeler la police pour amener ma mère à l’hôpital

Aujourd'hui, elle m'en remercie.
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Les propos de ce témoignage ont été recueillis par le HuffPost Québec et retranscrits à la première personne.

Je suis enfant unique. Quand j’avais cinq ans, ma mère a commencé à avoir des problèmes de santé mentale de l’ordre dépressif. Elle a alors été hospitalisée une première fois. J’ai le souvenir d’être allée la voir à l’hôpital et d’avoir pleuré.

Je ne comprenais pas toute la portée de ce qui se passait, mais je savais que ma mère n’allait pas bien et qu’elle n’était pas là pour une blessure physique. Pendant ce temps, mon père devait travailler. Je me suis fait garder par des membres de ma famille qui ont pris soin de moi.

Deux ans plus tard, ma mère est retombée malade et a été hospitalisée quelques mois. Je comprenais de plus en plus ce qui lui arrivait. Elle n’était plus en contact avec la réalité. C’était difficile pour ma mère d’être là pour moi durant mon enfance et de répondre à mes besoins.

Mon père a voulu la soutenir. Mais il se sentait démuni et ne savait pas comment agir. Je ne le juge pas, c’était compliqué. Il a traversé ça en essayant de trouver les bons moments et d’être là pour elle. Pour moi, mon père a été comme ma bouée.

“Je savais que des ressources existaient, mais j’avais honte. Et j’avais peur.”

Ça a été long avant d’aller chercher de l’aide parce que c’était devenu ma réalité. J’ai grandi dans ce contexte-là, c’était mon monde. Pour moi, c’était comme ça que la vie fonctionnait. J’étais aussi inquiète de ce qui allait arriver à ma mère et je craignais d’être séparée d’elle. Je l’aimais beaucoup. C’est ma mère après tout. Je ne savais pas non plus ce qui m’arriverait. Je savais que des ressources existaient, mais j’avais honte. Et j’avais peur.

Malgré le contexte familial difficile, j’ai réussi à bâtir ma carrière. Je suis devenue infirmière. J’ai travaillé pendant quelques années, mais j’étais en mode survie. C’est comme si j’avais fragmenté ma vie. Il y avait ma vie à la maison dans une boîte, et pour me protéger, je la refermais. Le reste de la journée, j’étais dans une autre boîte, en train d’étudier ou d’être avec mes amis. Cette fragmentation m’a permis de survivre, littéralement. J’aimais beaucoup étudier. C’était un exutoire pour traverser tout ça.

Malheureusement, l’état mental de ma mère s’est détérioré de plus en plus. Elle perdait le contact avec la réalité lors d’épisodes psychotiques et avait des comportements déstabilisants et perturbants, que je n’avais jamais connus quand j’étais plus jeune. Ma mère était dans son monde. Un monde où il y avait beaucoup de méfiance, et dans lequel elle percevait beaucoup de danger.

À travers les événements, j’arrivais à rester fonctionnelle, et je pensais m’en être tirée. Mais à un certain moment, j’ai atteint ma limite. J’ai vécu beaucoup de détresse psychologique et de souffrance, au point d’être moi-même atteinte dans mon fonctionnement.

“J'aurais aimé aller chercher de l'aide beaucoup plus tôt dans ma vie. Je crois que ça aurait changé en partie ma trajectoire.”

Cette année-là, en 2013, j’ai été hospitalisée une vingtaine de fois. J’avais atteint le fond du gouffre. Je savais que pour me rétablir, il fallait que cette notion de danger dans ma vie disparaisse. C’est là que je suis finalement allée chercher de l’aide auprès de psychologues et d’un organisme du Réseau Avant de craquer.

Là-bas, j’ai reçu beaucoup de soutien. J’ai pu assister à des formations, des conférences et des cafés-causeries. J’ai appris comment aborder ma mère, comment mettre mes limites et me respecter. C’est important de ne pas couler avec la personne de notre entourage qui est atteinte. J’ai été bien outillée et je me suis sentie soutenue. Ça m’a permis de normaliser ma souffrance. J’aurais aimé aller chercher de l’aide beaucoup plus tôt dans ma vie. Je crois que ça aurait changé en partie ma trajectoire.

Ma mère n’était pas en état de reconnaître qu’elle avait des problèmes. Elle n’avait plus d’autocritique. Il a fallu que je passe par la loi pour qu’elle puisse se faire aider. L’organisme qui m’a soutenue m’a permis de suivre les démarches pour aller en cour, où j’ai pu recevoir une ordonnance d’évaluation psychiatrique.

J’ai ensuite pu appeler la police et ma mère a dû être amenée à l’hôpital contre son gré pour être vue par un psychiatre, comme c’est le cas lorsque quelqu’un est un danger pour lui-même ou pour les autres.

Cet événement a fait une différence dans sa vie, mais aussi dans la mienne. Lorsqu’elle a reçu la médication adéquate, certains de ses comportements perturbants ont disparu aussitôt. Elle s’est mise à revivre dès le moment où elle a eu le traitement approprié. Ma mère a eu envie de travailler alors qu’elle n’avait pas travaillé pendant 25 ans. Elle travaille depuis maintenant six ans et elle en est fière.

Ma mère me remercie fréquemment d’avoir posé ce geste. Elle ne m’en a jamais voulu. C’est un beau rétablissement. C’est même un peu spectaculaire, ça ne finit pas comme ça pour tout le monde. Maintenant, on rebâtit notre relation. Je lui ai pardonné. On établit des limites et on apprend à s’apprivoiser à nouveau.

La section Perspectives propose des textes personnels qui reflètent l’opinion de leurs auteurs et pas nécessairement celle du HuffPost Québec.

Propos recueillis par Florence Breton.

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