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Sandrine Revel: les variations «gouldiennes»

Derrière le mythe Gould, il existe aussi un être humain que l'auteur s'applique à mettre en évidence dans son magnifique.
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Eh bien dites donc, ça se bouscule au portillon des bédés de l'année depuis quelques semaines. Je me remets à peine des nouveaux Larcenet et Cestac et Pennac que deux autres toutes aussi impressionnantes bédés remettent en question une fois de plus mon palmarès 2015. Trop d'émotions, ce n'est pas bon. Vivement l'été pour que le pauvre critique que je suis puisse se reposer un peu!

Les variations «gouldberg»

Véritable pop star de la musique classique, Glenn Gould a marqué la culture autant par son génie que par ses comportements originaux et sa décision, en pleine gloire, de se cloîtrer dans une réclusion à la fois similaire et différente de cette de l'écrivain phare de la contre-culture J. D. Salinger. Personnage aussi mystérieux que déstabilisant au destin tragique et à la vie hors normes, Gould a séduit et s'est imposé dans l'imaginaire collectif. Mais derrière le mythe Gould il existe aussi un être humain, et c'est cet humain que Sandrine Revel met en évidence dans ce magnifique Glenn Gould, une vie à contretemps.

Magnifique parce que la bédéiste nous présente un Gould loin de cette icône figée qui s'est fait une niche dans la mémoire collective occidentale. Sous sa plume, ce Gould, qu'on à souvent réduit à ses interprétations ou à son comportement, redevient un être à part entière avec ses zones d'ombres, ses zones de lumière, ses zones grises, ses angoisses, ses passions, ses appréhensions, ses questionnements, ses coups de gueule quelques fois incompréhensibles et son besoin de réclusion, même si c'est à Toronto.

Mais au-delà de cette humanisation c'est sa façon de le raconter qui impressionne le plus. Une narration qui saisit toute la richesse du musicien.

Alors que plusieurs autres bédéistes auraient choisi la façon classique et linéaire de raconter sa vie, Sandrine Revel choisit de faire allégrement des sauts dans le temps, organisant à travers différents instantanés de sa vie une valse où le passé, le présent, l'enfance, la gloire, la maturité et la mort s'enlacent dans une éternelle partition.

À la lecture de ce Glenn Gould, une vie à contretemps, c'est tout un poème musical qui résonne. Une rhapsodie pleine de nuances, de textures, de couleurs et de motifs qui se rencontrent et se marient dans une interprétation très personnelle de sa vie. Et à la conclusion de cette magnifique bédé - une scène onirique d'une grande sensibilité - on se surprend à rêver de l'interprétation que le légendaire pianiste aurait pu en faire.

Gould rejouant sa vie. Une perspective réjouissante que Sandrine Revel à su mettre en image de la belle façon.

Sandrine Revel, Glenn Gould, une vie à contretemps, Dargaud.

Échanges de réflexions

La musique, c'est aussi ce qui est au cœur de cette impressionnante version commentée de Ping-pong de Zviane, une bédéiste qui n'en finit plus de nous étonner, de s'amuser à nous dérouter et de ne pas être à l'endroit où nous l'attendions. Son nouvel opus ne fait pas exception à la règle.

Mais que raconte Ping-pong? «Hum, comment dirais-je?» se serait exclamé notre défunt premier ministre Jacques Parizeau? Ping-pong, c'est une longue - en terme de pages, pas d'intérêt - et inspirante réflexion sur les arts, la bande dessinée, la musique et le langage. Un essai dessiné éclairant sur la connaissance aux parfums du magnifique L'Art invisible de Scott McCloud.

Mais Ping-pong va plus loin que l'ouvrage incontournable de McCloud. Ping-pong, c'est surtout une expérience «bédéesque» où l'auteure démontre toute l'étendue et la richesse de son talent, l'efficacité de sa narration et l'intelligence de ses réflexions.

Publié en 2014 à compte d'auteur, la bédé de Zviane intéresse rapidement la maison d'édition Pow-Pow, qui décide de la rééditer, mais dans une version différente. Une nouvelle version où la bédéiste pourrait intervenir, en textes et en dessins, dans les marges - comme à l'école - pour commenter ses réflexions d'alors et pour donner certaines explications supplémentaires. Un procédé absolument génial qui lui permet de déconstruire constamment ses réflexions tout en les gardant actuelles.

Si Ping-pong n'avait été que cela, elle aurait été déjà une bédé fascinante. Mais la bédéiste va plus loin en invitant des bédéistes à partager leurs réflexions et leurs réactions sur ses propos. Une vingtaine de bédéistes d'ici et d'ailleurs, dont Francis Desharnais, Lewis Trondheim, Réal Godbout et Jean-Paul Eid participent avec enthousiasme et un plaisir évident à ce petit échange «ping-pongesque» extrêmement enrichissant et intellectuellement motivant pour les lecteurs.

Et qui gagne cette partie de Ping-pong me direz-vous? Le lecteur pardi, le lecteur. Et ne serait-ce que pour l'irrésistible Picasso qui chantonne une comptine de Passe-Partout de Jean-Paul Eid, Ping-pong vaut le détour. Et une chance pour nous, la nouveauté de Zviane contient de ces petits plaisirs à toutes les pages.

Zviane et ses invités, Ping-pong, Pow-Pow

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