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Saint-Apollinaire ou l'exclusion à bout portant

Non seulement les membres de la communauté musulmane de Saint-Apollinaire ne pourront plus faire leurs deuils convenablement, mais en plus, ils perdent une chance inouïe de s'enraciner davantage dans leur terre d'adoption, le Québec.
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N'ayant pas peur de le dire : il s'agit d'un véritable déchirement pour les familles, d'autant plus que les coûts du rapatriement sont exorbitants.
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N'ayant pas peur de le dire : il s'agit d'un véritable déchirement pour les familles, d'autant plus que les coûts du rapatriement sont exorbitants.

Le verdict est tombé. À Saint-Apollinaire, dans la soirée du 16 juillet dernier, un vote et un rejet : celui d'offrir aux personnes de confession ou de culture musulmane - regroupons les sous l'appellation ''communauté'' - un cimetière réservé uniquement à ces mêmes personnes.

Des cimetières confessionnels, pourtant, il en existe pourtant des tas. À Laval, pour ne citer que ceux-là, deux cimetières sont réservés exclusivement à la communauté musulmane : le Cimetière islamique et le Cimetière musulman de Montréal, qui, à eux deux, peuvent accueillir 250 000 personnes dans leur dernière demeure. Les cimetières Shaar Hashomayim, Baron de Hirsche-Back River ou encore le Cimetière Shaerith Israel, font, quant à eux, partie des quelques cimetières juifs existant sur le sol québécois. Et bien entendu, les cimetières chrétiens qui ne se comptent plus.

Bien que les Apollinairois soient plutôt en accord avec le projet, c'est une véritable campagne du ''non'' au projet, mené en coup de poing, qui a remis le choix à ce référendum. Ainsi, selon le promoteur Sylvain Roy - témoignage rapporté dans la chronique de Xavier Camus L'implication de la Meute dans le camp du non à Saint-Apollinaire - :

Les gens ont véhiculé toutes sortes de faussetés. On a dit que les musulmans enterraient leurs morts sans cercueil, trop près de la surface du sol... Tout ça, c'est faux.

Ce choix résulterait d'une campagne vigoureusement menée par les membres du groupe la Meute, très actif sur les réseaux sociaux. Cela dit, au-delà de cette victoire, que peut-on leur concéder d'autre ?

Plus qu'un refus, une exclusion.

L'enracinement de toute communauté passe aussi - et peut-être même surtout - par le deuil. C'est donc la chance d'enraciner la communauté musulmane aux alentours de Québec qui vient de se perdre à Saint-Apollinaire.

Il faut savoir que la communauté musulmane organise régulièrement, à travers une collecte de fonds, le rapatriement des défunt, ainsi que de l'ensemble de leurs familles qui accompagnent le corps, au pays d'origine afin d'être inhumé selon les rituels musulmans.

Ces collectes de fonds s'organisent généralement autour de quelques individus, généralement issus de la même région ou du même village, par l'entremise d'une association.

Souvent, et ce ne sont pas des cas isolés, lorsque les fonds manquent ou que la famille ne participe à aucune association de ce genre, les défunts restent à la morgue aussi longtemps qu'il le faut, le temps de réunir les fonds nécessaires, souvent grâce à des collectes qui se font au sein même du village d'origine de la famille.

Ces délais, qui peuvent parfois s'étaler sur plusieurs semaines, n'allègent en rien le poids déjà incommensurable du deuil sur ces familles et par les concessions auxquelles elles sont inexorablement obligées.

En effet, l'embaumement est une pratique proscrite par la religion musulmane, mais il est essentiel d'y avoir recours. De plus, certains rituels ne pourraient être menés à bien : la crémation, le cercueil, l'obligation de la pierre tombale dès l'inhumation, tout cela ne peut être envisagé selon les rites musulmans, même si dans le cas du cercueil, il est obligatoire au Québec - une autre concession que doivent faire ces familles.

N'ayant pas peur de le dire : il s'agit d'un véritable déchirement pour les familles, d'autant plus que les coûts du rapatriement sont exorbitants.

Pour indication, le coût total des frais pour une famille de quatre personnes s'élève à plus de 10 000$

Or, en sachant que l'immigration des communautés musulmanes est l'une des plus récentes au Québec, les mêmes membres de cette communauté sont loin d'être des Crésus. À titre d'exemple, si le chômage au Québec atteint les 6%, il atteindrait près de 13% chez les membres issus de cette même communauté nés hors Québec, rapporte statistique Canada pour le mois de juin 2017.

Autre solution

Ce sont surtout ces frais qui poussent les membres de cette même communauté à se retourner vers les cimetières du Québec afin d'enterrer ses défunt.es.

Ainsi, selon Yannick Boucher, qui consacre une thèse de doctorat sur le sujet à l'Université de Montréal :

L'enterrement dans le pays d'accueil présente des avantages non négligeables. D'abord, les frais sont moindres pour les familles qui, souvent, ne roulent pas sur l'or. Ensuite, ces rites ont une valeur symbolique. Ils lancent le message que leur pays, c'est ici. C'est très important pour les survivants.

Le processus, l'enterrement et le deuil occupent une place centrale pour cette même communauté. D'autant plus que le deuil se poursuit jusqu'à 40 jours après la mort du défunt, lorsqu'une dernière cérémonie funéraire a lieu.

Le recueillement, quant à lui, occupe une place plus que prépondérante dans le processus du deuil. Se recueillir est essentiel pour faire son deuil, surtout durant les premières années suivant la tragédie. Lorsque les défunt.es sont enterré.es à des milliers de kilomètres, il devient impossible de faire son deuil convenablement. Cela ne vaut pas seulement pour la communauté musulmane : il prévaut pour l'ensemble de l'humanité.

La décomposition du corps dans la terre d'accueil donne des racines aux enfants, comme le dit le chercheur français Atmane Aggoun. C'est l'intégration ultime.

Non seulement les membres de la communauté musulmane de Saint-Apollinaire ne pourront plus faire leurs deuils convenablement, mais en plus, ils perdent une chance inouïe de s'enraciner davantage dans leur terre d'adoption, le Québec.

Voilà ce que l'on peut concéder d'autre.

Les données citées pour cet article proviennent des sites : http://nouvelles.umontreal.ca ; http://www.statcan.gc.ca ; https://ricochet.media/fr

Avril 2018

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