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5 ans après «Limoilou»: une Safia Nolin sans filtre

«Ça fait 100 ans et 2 ans en même temps dans ma tête.»
Safia Nolin
Alex Blouin & Jodi Heartz
Safia Nolin

Elle a conquis les critiques et le grand public avec son premier album, Limoilou, en 2015. Elle a ensuite été catapultée un peu partout, accumulant les reconnaissances et les prix. À l’aube du cinquième anniversaire de cet opus qui a carrément changé sa vie, Safia Nolin constate qu’elle n’est plus tout à fait la même qu’à ses débuts. La jeune femme plus lucide, plus mature, mais toujours aussi vraie, revient sur la beauté et la laideur – qu’elle aborde sans filtre – de ce qui a ponctué sa vie et sa carrière.

«Ça fait 100 ans et 2 ans en même temps dans ma tête», illustre Safia Nolin, à propos du cinquième anniversaire de Limoilou, qui approche. Elle avoue que lorsqu’elle a pris conscience de notre demande d’entrevue à ce sujet, cela lui a fait un choc.

Nous rencontrons l’attachante auteure-compositrice-interprète dans un petit café de la rue Masson, où les longues tables partagées par des inconnus sont pleines. Elle aborde d’emblée ce décalage qu’elle ressent par rapport à la Safia de 2015.

«C’était vraiment une version naïve et stone – j’étais tout le temps gelée – de moi qui arrive dans ce nouveau monde de musique et qui capote. Maintenant, je suis plus au courant de ce qui se passe, je comprends plus qui je suis.»

“Je pense que c’était la première affaire sérieuse que je finissais, «Limoilou». Je n’ai pas fini mon secondaire, je n’ai pas fini l’école de la chanson de Granby... j’étais vraiment quelqu’un qui «quit» avant de finir.”

- Safia Nolin

La Safia de 2019 est assurément plus lucide. Quand on lui demande pourquoi elle n’a pas voulu tourner une petite entrevue vidéo pour accompagner cet article, elle répond simplement: «Les vidéos, ça m’expose à un plus grand hate. En ce moment, j’ai les cheveux verts. Il n’y a pas de photos de moi qui sont sorties avec les cheveux verts. Quand il y a une vidéo, souvent, les gens ne lisent pas... ils n’écoutent pas et ils commentent mon apparence.»

La chanteuse considère que son deuxième album, Dans le noir, paru en 2018, est très différent du premier (même si elle n’ose pas employer l’expression «plus mature»). D’abord, parce qu’elle a arrêté de fumer la cigarette et le pot, en plus d’éliminer l’alcool, et que cela se reflète sur sa voix. Mais aussi parce qu’elle a évolué.

«Je déteste ça, quand les gens disent: “mon deuxième album est plus mature”. Of course, il est plus mature, c’est trois ans après! Mais j’ai l’impression que Limoilou, pour moi, c’est comme mon skyblog musical. Je trouve ça vraiment cool... mais quand je le réécoute, je trouve que ma voix a changé, mes textes ont changé, tout a changé.»

Malgré cela, elle a encore beaucoup de plaisir à chanter La laideur ou Technicolor en spectacle. Mais ne lui demandez pas d’errer «comme un fantôme amnésique dans les maudites rues de Limoilou»... Son hit Igloo: «plus capable!» confie-t-elle en riant.

«Je suis vraiment ÉCOEURÉE de la chanter. Je ne suis plus capable de ressentir autant d’émotions qu’au début en la chantant.»

Safia dans son Igloo

C’est pourtant la première chanson qu’elle a écrite, poussée par sa mère. Elle jouait de la guitare depuis quelques années, après avoir appris par elle-même, en regardant des tutoriels sur YouTube (pendant une semaine, elle a d’ailleurs joué ses tabs à l’envers). Elle rêvait de devenir la prochaine Taylor Swift, raconte-t-elle en riant.

«On habitait dans un appart dans Limoilou... c’était dégueu, se souvient-elle. C’était comme un carré, tout était blanc et il faisait fucking frette. On n’avait pas Internet, on était fucking pauvres. Il y avait une bibliothèque à côté, et je sortais souvent avec le laptop pour aller vérifier mes courriels, dehors. Une fois, je suis allée le soir. J’avais marché dans une flaque d’eau, mes pieds étaient tout trempes, j’étais genre: “eille, je suis pu capable”. Et quand je suis rentrée, ma mère m’a dit: essaie d’écrire une toune.»

Et ç’a donné Igloo. Sa mère l’a trouvée bonne, sa chanson. Elle l’a convaincue de s’inscrire au Festival de la chanson de Granby («elle m’a forcée!»), en 2012. Et c’est là que tout a commencé. Dans les mois qui ont suivi, elle a signé un contrat avec l’étiquette Bonsound et commencé à travailler sur un premier album, après être allée quelque temps à l’école de la chanson de Granby. Et sa vie a complètement changé.

«Je pense que c’était la première affaire sérieuse que je finissais, Limoilou. Je n’ai pas fini mon secondaire, je n’ai pas fini l’école de la chanson... j’étais vraiment quelqu’un qui quit avant de finir. Maintenant, je ne suis plus comme ça... Mais ç’a été la première chose dans ma vie qui était comme “ok, c’est du sérieux, il y a du monde qui croit en toi, parce qu’il y a de l’argent qui est mis sur la table”. Et je pense que ç’a eu une incidence sur comment j’ai perçu ça, j’ai compris que ça se pouvait.»

La pression du deuxième album

«Et quand il est sorti, c’était wow... c’était fou. Je capotais», se remémore la chanteuse.

Tout est allé très vite. La tournée (jusqu’en France), les festivals... et l’ADISQ, où elle a remporté le prix «révélation de l’année» et chanté avec les soeurs Boulay. Mais, tristement, on se souvient davantage de sa tenue que des honneurs qu’elle a remportés. Un ressac qu’elle n’avait pas vu venir.

«Le monde me parlait dans la rue, je ne comprenais rien. Après ça, je suis partie en tournée, je me rappelle que j’attendais dans le taxi et ils parlaient de moi à la radio... C’était tellement biz! Tout le monde parlait de moi, vraiment. C’était trop intense.»

Dans les mois qui ont suivi, la pression du deuxième album (de compositions originales) s’est rapidement fait sentir. Et quand Safia l’a finalement composé et enregistré, la réception n’a pas été aussi enthousiaste que pour le premier – alors qu’elle est super satisfaite de ce qu’elle a fait. Et ç‘a été dur de réaliser qu’elle n’était plus la «saveur du mois», en quelque sorte. Que d’autres avaient pris sa place.

Elle a abordé le sujet, récemment, dans un texte qu’elle a écrit pour The Womanhood project, un collectif qui a pour objectif de mettre de l’avant la diversité corporelle et de donner une voix aux femmes (qui avait d’ailleurs réalisé son plus récent vidéoclip).

«Je ne pense pas que j’ai fait une dépression, je ne sais pas si c’est un burn-out... Mais ça m’a traînée dans une zone dark de laquelle j’émerge en ce moment. Ç’a été vraiment long. Il y a encore des affaires qui me trigger et me rendent émotive... Mais je commence à voir le bout.»

«Non, c’est pas moi!»

Elle se souvient d’un moment en particulier où elle a craqué, l’été dernier. Ou elle en a eu assez de cette notoriété. Elle était en voiture avec sa copine, et s’est trompée d’entrée dans une station-service (en fait, elle est entrée par la sortie, comme ça nous est tous déjà arrivé). Un homme dans sa voiture s’est fâché, et il baissé sa fenêtre pour lui dire sa façon de penser.

«Et j’ai entendu sa femme dire: “c’est Safia Nolin”. Et quand elle a dit mon nom, j’ai pété une coche. Je suis allée me stationner et j’ai braillé pendant une heure. Je me disais: je ne peux plus vivre cette vie-là. Ça ne m’intéresse plus, la célébrité, tout ça... Je ne veux plus être une personne publique.»

«La semaine dernière, dans une pharmacie à Mandeville, une madame m’a demandé: “est-ce que vous êtes...?” Et j’ai dit non. C’est pas moi!» raconte-t-elle en éclatant de rire.

Pourtant, on sent que la jeune femme est profondément sympathique et ouverte aux autres. Et que malgré tout les hauts et les bas qu’elle a connus, elle n’a pas fini de faire partie de l’espace public. Son dernier vidéoclip, qui met en scène plusieurs femmes complètement nues, dont elle-même, a beaucoup fait jaser. Beaucoup de gens l’ont approchée pour lui dire qu’ils n’écoutaient pas sa musique, mais que ce vidéoclip leur avait fait du bien, souligne-t-elle en souriant.

«Ce qui me touche le plus, ce sont mes amis qui me disent: “depuis que ma mère a vu ton clip, elle se sent plus belle, elle s’est regardée dans le miroir, toute nue, et elle s’est trouvée belle”. Là, c’est cool, parce que c’est plus grand que ma musique, que moi.»

Et pendant que Safia raconte sa dernière année, une femme assise juste à côté de nous tente de faire fonctionner ses écouteurs sans fil... sans succès. Un bruit de grésillement assez fort nous surprend. La chanteuse éclate de rire et se met à engager la conversation avec la dame qui se confond en excuses. «Voulez-vous que je vous aide, madame?» lui demande-t-elle sans hésiter.

«L’industrie, ce n’est pas une famille»

Pendant les premières années de sa carrière, la jeune Safia était très en demande, peut-être trop.

«Je n’avais plus de vie, plus de temps, plus rien, se rappelle-t-elle. Je carburais à ça. Dans l’industrie, c’est un peu glorifié, les burn-out... Travaille, travaille, ça veut dire que tu marches! Si tu es épuisée et que tu pleures, ça veut dire que tu travailles en tabarnak! Et je pensais que c’était ma réalité.»

«Je suis gênée de dire ça parce que je sais que j’ai énormément de chance et qu’il y a des gens qui n’ont pas cette chance-là! continue-t-elle. Mais ça n’enlève pas le fait qu’objectivement, j’ai vraiment de la difficulté à vendre mes billets... mais vraiment, c’est fou. Il y a eu des bouts tough. On a dû annuler un show. Et le pire, c’est que je sais qu’il y a plein de monde qui vit ça, c’est juste que personne n’en parle... et personne ne m’avait avertie.»

Si elle pouvait retourner voir la jeune Safia de 22 ans, elle lui dirait probablement que l’industrie, «ce n’est pas une famille».

«J’avais tellement de manques affectifs dans ma vie. J’ai patché ça avec l’industrie de la musique. C’est ça qui est heavy, c’est pour ça que je consulte, aussi. Je pense que j’ai patché beaucoup de trucs en dedans de moi, avec le fait que j’étais “the shit”. Je patchais des trous, et quand ça c’est parti, j’ai recommencé à avoir des patterns de marde. Je pense que je voudrais me dire: “don’t patch stuff avec ces affaires-là”.»

Alex Blouin & Jodi Heartz

Elle a pris une longue pause d’Instagram, dans les derniers mois, pour arrêter de se comparer constamment aux autres. Elle y retourne de temps à autre pour vérifier ses messages, partager des projets importants... et écrire aux candidats d’Occupation double qu’elle aime!

«J’ai écrit à Camille après L’heure de vérité. Pour lui dire: “je me suis fait basher par beaucoup de monde au Québec, si jamais tu as besoin d’un conseil”... Juste pour qu’elle ne se sente pas seule.»

«Mais sinon, je me tiens loin, ajoute-t-elle. C’est laid, je trouve. Je m’ennuie du temps où on s’écrivait juste des textos.»

Maintenant, Safia assure qu’elle va mieux. Elle apprend à reconnecter avec elle-même et à redécouvrir ce qu’elle a envie de faire.

«Je me suis acheté une machine à tatouages et je me suis teint les cheveux en vert! lance-t-elle en riant. Ça me fait full du bien!»

Elle s’apprête d’ailleurs à aller passer quelques jours dans un chalet pour écrire intensivement. Un nouvel album? Un EP? Ça reste à déterminer.

Et pour 2020, on lui souhaite d’être occupée ou de se reposer?

«Tu peux me souhaiter d’avoir du temps pour moi, comme ça si j’ai envie d’être occupée, je vais être occupée, répond-elle en souriant. J’aime ça pas faire un million d’affaires. Avant, j’avais ce thrill-là... Pour vrai, il y a beaucoup de positif dans tout ce que j’ai vécu.»

«J’ai vécu des trucs grâce à la musique que je ne peux même pas décrire, et je vais toujours être 100% reconnaissante des gens qui écoutent ma musique et me permettent de vivre des moments aussi intenses.»

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