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Le rôle de la religion dans la radicalisation menant à la violence

C'est une erreur de prétendre que les convictions religieuses protègent contre la radicalisation menant à la violence. Une telle généralisation ne correspond pas à la réalité.
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Il y a quelques semaines, des délégués venus des quatre coins du monde se sont réunis dans la Vieille Capitale afin de participer à la Conférence Québec-UNESCO « Internet et la radicalisation des jeunes : prévenir, agir et vivre ensemble ». Dans la foulée de cet événement, les signataires de cette lettre ouverte souhaitent souligner l'importance du rapport entre «religion» et «extrémisme violent».

Nous voulons tout particulièrement réagir à une étude commanditée par le groupe de recherche SHERPA et rendue publique à la fin du mois d'octobre. L'étude avait pour but de tracer le profil de jeunes Québécois qui soutiennent des idées liées à la radicalisation menant à la violence. La recherche comporte selon nous une lacune importante. En effet, elle minimise à plusieurs égards le rôle que joue la religion en matière de radicalisation. Par exemple, l'étude en question cherche à établir un rapport entre les jeunes sans appartenance religieuse et l'appui à la radicalisation menant à la violence, en laissant entendre que des personnes athées et/ou agnostiques sont plus susceptibles d'adopter des idées radicales que des personnes croyantes.

C'est une erreur de prétendre que les convictions religieuses protègent contre la radicalisation menant à la violence. Une telle généralisation ne correspond pas à la réalité. Comment expliquer le cas d'Aaron Driver qui, en août dernier, prêtait allégeance à Abu Bakr al-Baghdadi? Chrétien au début de l'adolescence, M. Driver s'est d'abord converti à l'islam, puis au djihadisme salafiste. C'est à la suite des atrocités en Syrie qu'il adopte une tendance radicale et une vision apocalyptique.

Le groupe SHERPA n'a entrepris aucune entrevue avec des personnes radicalisées, et c'est là que se situe sa principale lacune. De toute évidence, avant de conclure que la religion n'influe pas sur la radicalisation des jeunes, les chercheurs auraient dû s'entretenir avec les principaux intéressés.

Puisque ce genre d'étude est souvent relayé par les médias, les conclusions sont susceptibles de façonner l'opinion publique quant aux causes de la radicalisation menant à la violence. À la lumière de la recherche actuelle sur l'extrémisme violent, les conclusions de cette étude nous ont paru pour le moins erronées. C'est pour cette raison que nous formulons cette critique.

Par exemple, il suffit de comparer l'étude du SHERPA aux travaux d'Anne Speckhard, Ph. D., professeure de psychiatrie et auteure de Bride of ISIS: One Young Woman's Path into Homegrown Terrorism (Advances Press, 2015) et ISIS Defectors: Inside Stories of the Terrorist Caliphate (Advances Press, 2016). On peut aussi comparer le rapport du Sherpa à une autre étude commandée par le Conseil du statut de la femme et le Centre de prévention contre la radicalisation menant à la violence. Contrairement à ces autres recherches, les spécialistes du SHERPA ont omis d'interroger des personnes directement touchées par le phénomène de la radicalisation. En conséquence, les conclusions tirées de leur rapport se révèlent plus dommageables qu'utiles. En ce sens, un autre rapport présenté à Sécurité publique Canada indique qu'au Canada, en Australie, aux États-Unis et en Europe de l'Ouest, les individus inspirés et dirigés par l'État islamique en Irak et au Levant représentent la plus grande menace.

Peu importe le moment où une personne adhère à une pratique religieuse, ses actes viennent à démontrer son degré de radicalisation - comme, par exemple, déclarer allégeance à la secte génocidaire en Syrie et Irak prouve qu'une personne est sous l'emprise d'une pensée religieuse extrémiste. Si un non-croyant se convertit à une idéologie ou adopte une identité intrinsèquement religieuse le poussant à se radicaliser, est-il raisonnable d'en ignorer le processus ?

C'est un fait : il y a un accroissement de la radicalisation et l'extrémisme violent à l'échelle planétaire. Prétendre que la religion n'a absolument rien à voir avec ce phénomène fait preuve de malhonnêteté. Le langage et la symbolique utilisés dans les stratégies de propagande du groupe armé État islamique en Irak et en Syrie confirment bien que la religion est au cœur du message véhiculé. Sur les médias sociaux, ces acteurs non étatiques parlent des crimes qu'ils commettent contre l'humanité en citant des textes religieux pour justifier leurs violences. Dans la plupart des cas, recrues et fidèles partagent la même identité religieuse et croyance apocalyptique.

Voulons-nous véritablement contribuer à l'élaboration de politiques publiques visant à réduire les risques de radicalisation et d'extrémisme violent, et ce, tant au Canada qu'à l'étranger ? Si tel est le cas, il faut d'emblée résister à toutes analyses controversées qui nient catégoriquement le rôle que joue la religion dans ces enjeux. Ce n'est que cette manière que nous progresserons dans la lutte contre l'extrémisme violent.

Les signataires de cette lettre ouverte: Kyle Matthews, directeur exécutif de L'Institut montréalais d'études sur le génocide et les droits humains de l'Université Concordia; André Gagné, Ph.D., professeur agrégé au Département d'études théologiques de l'Université Concordia; Marc-André Argentino, doctorant au Département des sciences des religions de l'Université Concordia; Marie Lamensch, coordonnatrice des projets et des communications à L'Institut montréalais d'études sur le génocide et les droits humains de l'Université Concordia.

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