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Retraites et retraités: les intouchables

Pour l'heure, le projet de loi no 3 est «soft». Aucun report de l'âge de la retraite. Préservation des régimes à prestations déterminées. Période de négociation prévue dans la loi. Si j'étais un syndiqué municipal, j'aurais un soupir de soulagement et je dirais merci.
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En 2005, l'économiste Pierre Fortin et les lucides lançaient un sérieux avertissement. Si on ne profitait pas des 10 dernières années de vie active des boomers (qui avaient entre 40 et 59 ans à l'époque), tout le poids de la dette publique allait reposer sur les suivants. Autrement dit, si on ne leur demandait pas de contribuer davantage pendant qu'ils étaient sur le marché du travail, on ne pourrait plus en soutirer une contribution significative pour renflouer la dette. Pire, leur statut de retraité en ferait des « intouchables ».

On y est. La plupart des boomers, particulièrement ceux qui travaillaient dans le secteur public, sont déjà à la retraite, sinon ils y seront d'ici quelques années. Dix années de perdues au cours desquelles on a tenté par tous les moyens de diminuer l'influence de ceux qui avertissaient du danger.

André Pratte, lui-même signataire du Manifeste pour un Québec lucide confirme la thèse de Fortin dans son éditorial De l'espace pour négocier.

En effet. Pour l'éditorialiste de La Presse - et malgré l'extraordinaire échec des « libres négociations » du passé - le principe de partager la facture des déficits passés est bon, mais... on devrait laisser les parties négocier quelle part chacun des groupes assumera. Idem pour ce qui est de la suspension de l'indexation des prestations des retraités, « mesure extrême », selon Pratte qui devrait recevoir l'aval des retraités eux-mêmes (!).

As if... on pouvait espérer que la « libre négociation » conduise à autre chose qu'à faire payer davantage l'ensemble des contribuables pour des privilèges d'une minorité déjà bien choyée (et je vous fais grâce de la panoplie de moyens de pression qui indubitablement finiraient par faire plier les maires en bout de piste).

Il est toujours intéressant de lire André Pratte. Pour ma part, je me demande toujours comment il arrivera à nuancer, pondérer, ou tempérer l'action gouvernementale lorsque celle-ci lui apparaît inutilement draconienne ou intransigeante. Et pourtant...

Il n'y a rien d'extrême dans le projet de loi du gouvernement ni de « libre » dans les « libres négociations » du passé. Ce qui aurait été draconien (mais peut-être la vraie solution...) aurait été de saisir l'occasion de faire ce qui se fait à la fois dans le secteur privé et dans plusieurs États (dont la Suède!): transformer ces régimes à prestations déterminées en régimes à cotisations déterminées et/ou reporter l'âge de la retraite. Ce n'est pas le cas.

Oh non. Pas au Québec!

Même en appliquant intégralement la loi, Québec réussit à s'épargner des réformes mises de l'avant par de nombreux pays. Encore une fois, Québec garde son caractère distinct: celui d'offrir un programme luxueux, en grande partie, aux frais du payeur d'impôt. Voyez.

En Suède, les travailleurs salariés savent combien ils paient, mais ils ne savent pas exactement combien ils recevront au moment de la retraite. Cela dépendra, entre autres choses, de l'état de santé de l'économie du pays.

À côté de chez-nous, au Nouveau-Brunswick, on a augmenté les cotisations des employés, et ceux-ci devront travailler plus longtemps. Les jeunes devront travailler 5 ans de plus tandis que pour les retraités, l'indexation de leurs pensions n'est plus garantie, mais dépend du rendement du fonds de pension.

Chez nos voisins du sud, 43 états américains ont ajusté les régimes de retraite de leurs employés entre 2009 et 2011: report de l'âge de la retraite, suspension de l'indexation des prestations de retraite ou encore délestage de certains avantages périphériques.

Pourquoi il est important que les retraités actuels contribuent à renflouer les déficits passés

Le ministre Pierre Moreau évaluait que seulement 7% (3256 personnes sur les 50 000) des retraités actuels seraient touchés par une suspension temporaire de l'indexation de leurs prestations. Cela dit, la raison pour laquelle les retraités actuels doivent contribuer à renflouer les déficits passés n'est pas leur petit nombre.

La raison pour laquelle tous doivent porter une part de responsabilité pour les erreurs du passé est le puissant signal que cela enverrait aux employés actuels! Désormais, vous ne serez plus intouchables du moment que vous prenez votre retraite. Désormais, le statut de retraité ne vous mettra plus à l'abri des cycles boursiers, du fait que les gens vivent plus longtemps ou des faibles taux de rendement de certaines catégories d'actifs.

La culture de la déresponsabilité et du no-fault dont souffre le Québec n'est pas étrangère à la frilosité de certaines élites qui découragent la prise de décisions politiques qui rompt parfois avec la complaisance habituelle, sinon l'idéalisme entourant la « libre négociation ».

L'homme est un être qui répond à des incitatifs. L'incitatif que le gouvernement doit introduire dans les relations de travail entre municipalités et syndicats est celui-ci: « Assurez-vous que vos régimes de retraite sont solvables parce que le contribuable ne sera plus là pour payer la facture lorsque vos régimes seront déficitaires et que vous serez à la retraite. » Ça commence maintenant; ça commence aujourd'hui. Avis à tous les employés du secteur public qui ont à renégocier incessamment leurs conditions de travail.

Pour l'heure, le projet de loi no 3 est « soft ». Aucun report de l'âge de la retraite. Préservation des régimes à prestations déterminées. Période de négociation prévue dans la loi.

Si j'étais un syndiqué municipal, j'aurais un soupir de soulagement et je dirais merci.

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