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Anxieux, angoissé? Rien d’anormal, cela pourrait même être positif

«Vouloir que tout soit positif me semble un rêve dangereux – et en ce sens très sombre et mortifère, souligne le philosophe et écrivain Fabrice Midal. Je préfère voir la réalité telle qu’elle est, dans toute sa complexité.»
Klaus Vedfelt via Getty Images

Sujet aux crises d’anxiété et d’angoisse, depuis le début de la pandémie, ou même depuis peu? Rien d’anormal à cela, ce pourrait même être positif! Il faut arrêter de donner dans le positivisme, c’est infantilisant et immature, selon Fabrice Midal. Entretien avec le philosophe et écrivain dont le dernier ouvrage Comment rester serein quand tout s’effondre vient de paraître.

Courtoisie

Cette période, vous la définiriez comment?

«Ce que nous vivons est très difficile. La crise en elle-même est difficile, mais aussi l’incertitude dans laquelle elle nous plonge. Nous ne savons pas où nous allons. Nous ne savons pas quand et comment nous allons en sortir. Nous ne pouvons pas nous projeter. Quand je regarde autour de moi, je crois que c’est ce qui est le plus éprouvant pour nous tous. Il nous faut donc inventer d’autres manières de vivre, de trouver une forme de partage, des manières de nous tourner vers ce qui favorise la vie en nous.»

Que pensez-vous du positivisme à tout crin - et des slogans paternalistes - qu’on veut nous faire passer en cette période?

«Cela n’aide pas. Par conséquent, je trouve ça indécent et irresponsable. Il y a beaucoup de gens qui souffrent, qui sont malades, qui font face à la solitude, au chômage, à des difficultés de tout ordre. Ils ont besoin d’être reconnus, aidés, aimés. Pas qu’on leur raconte que tout va bien. Ce n’est pas vrai!»

“Il ne faut pas mentir! La situation est difficile et on ne peut pas se voiler la face de cette façon en affirmant que tout va bien, qu’il n’y a aucun problème. Accrocher des arcs-en-ciel aux fenêtres, cela ne me semble pas juste et même un peu immature!”

- Fabrice Midal

«Je crois qu’il faut bien mieux ouvrir des moments de partage. Dans mon livre, je repense ici à la figure de Job qui explique dans la souffrance qu’il traverse avoir surtout besoin de tendresse, d’amitié et d’affection… En fait, notre idée de sagesse, de paix, de sérénité est souvent complètement infantile. Nous voudrions que tout aille bien, qu’il n’y ait aucun chaos, aucun heurt… cela nous rend très fragiles et même impuissants. La sérénité que je défends consiste à apprendre à nager même s’il y a des vagues!»

Klaus Vedfelt via Getty Images

Un mot sur la pensée positive?

«Quand on essaie de cacher le négatif sous le tapis, il finit toujours par revenir. Et alors, c’est souvent la catastrophe! Je crois beaucoup plus qu’il faut traverser le négatif, traverser les emmerdes et les difficultés, les prendre à bras le corps et les vivre pleinement pour les surmonter. Et surtout ne pas chercher à les éviter ou à les nier. C’est seulement en rencontrant nos peurs, nos angoisses et toutes les difficultés que nous pouvons les dépasser. Sinon, c’est juste du rêve! Et ça ne mène nulle part.»

Comment appréhendez-vous les situations?

«De manière générale, je n’aime pas beaucoup penser en termes de positif et de négatif. Vouloir que tout soit positif me semble un rêve dangereux – et en ce sens très sombre et mortifère. Je préfère voir la réalité telle qu’elle est, dans toute sa complexité. Cela permet de trouver de nouveaux chemins – et c’est très inspirant. Autrement le positif me semble souvent très négatif et le négatif très positif!»

Est-il sain et normal d’être angoissé, anxieux?

«Oui, c’est simplement le signe que nous sommes vivants et que la vie a un prix pour nous. Je crois que c’est important de voir ça. Si nous sommes angoissés, anxieux, si nous avons peur, mais aussi si nous sommes parfois en colère, c’est qu’il y a quelque chose d’important qui est en train de se jouer pour nous. Il faut l’écouter. Il faut écouter ce que l’angoisse nous dit. Elle est souvent le signe que nous sommes en relation avec quelque chose qui nous touche. Ce n’est donc pas du tout négatif d’être angoissé ou anxieux. Au contraire, c’est une formidable occasion pour rencontrer notre aspiration la plus profonde.»

Klaus Vedfelt via Getty Images

“Si nous sommes angoissés, anxieux, si nous avons peur, mais aussi si nous sommes parfois en colère, c’est qu’il y a quelque chose d’important qui est en train de se jouer pour nous. Il faut l’écouter. Il faut écouter ce que l’angoisse nous dit.”

- Fabrice Midal

«Quand j’écris un livre, je vis souvent ce genre de situation. Je me réveille en plein milieu de la nuit et je me dis “Mon Dieu! Rien ne va! Il faut tout recommencer!” C’est simplement que je suis en train de faire quelque chose qui compte pour moi, que je me sens investi dans mon travail. En fait, je trouve que c’est plutôt un très bon signe! Celui qui n’a jamais traversé d’épreuve, ne sait rien de la vie.»

Comment rester serein quand tout s’effondre autour de nous?

«Je crois qu’une des clés, c’est de prendre le temps de rencontrer ce qui se passe et de ne pas tout de suite chercher à trouver des solutions. J’ai été très frappé, quand le premier confinement est arrivé au printemps dernier, que très vite tout le monde ne se demandait plus qu’une chose: comment allait être “le monde d’après”. [...] On veut souvent aller trop vite. On veut souvent trouver la solution avant d’avoir vu le problème. On voudrait pouvoir faire l’économie de se laisser toucher par ce qui se passe. Mais je crois simplement que ça n’est pas possible et que la seule manière de rencontrer de façon sereine une difficulté, quelle qu’elle soit, c’est d’en faire pleinement l’épreuve avant de chercher à trouver des solutions. Et c’est beaucoup plus réconfortant qu’on ne le croit!»

Des outils pratiques et accessibles à tous?

«J’aurais bien sûr envie de vous parler de méditation. Mais il faudrait expliquer ce que j’entends par ce terme. Mais une chose que tout le monde peut faire, et qui est toute simple, c’est de prendre le temps de revenir à son corps: sentir le poids de notre corps, dans nos pieds ou, si on est assis, dans notre bassin, sentir notre respiration, nos sensations… Puis, dans un deuxième temps, on peut aussi se relier à l’espace autour de nous, écouter les bruits qui viennent à nous – les bruits de la ville ou de la nature – et, si on peut, regarder au loin, par la fenêtre, regarder le paysage, le ciel. Une fois qu’on a fait ça pendant quelques minutes, je crois qu’on peut rencontrer ce qui nous arrive avec plus de confiance.»

Êtes-vous dans une situation de crise? Besoin d’aide? Si vous êtes au Canada, trouvez des références web et des lignes téléphoniques ouvertes 24h par jour dans votre province en cliquant sur ce lien ici.

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