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La résistance aux antibiotiques, un phénomène inquiétant qui peut toucher tout le monde

«Si tu montres ton jeu à une bactérie, elle va apprendre des trucs pour résister au traitement.»
Robert Kneschke / EyeEm via Getty Images

Avez-vous déjà eu un méga rhume ou une grippe infernale (veuillez noter notre refus d’utiliser l’expression «grippe d’homme», ici), vous poussant à supplier votre médecin de vous prescrire des antibiotiques? Peut-être avez-vous ressenti un peu de frustration, si celui-ci a refusé, vous expliquant que cela n’était probablement qu’un virus qui allait se régler par lui-même. C’est pourtant la meilleure avenue à emprunter.

Car la surutilisation d’antibiotiques est un problème d’envergure mondiale, qui a déjà des conséquences dramatiques: elle cause ce que les scientifiques appellent «la résistance aux antimicrobiens» (RAM). Selon l’Organisation mondiale de la santé, il s’agit de la plus grande menace pesant sur la santé mondiale, la sécurité alimentaire et le développement.

En 2018, 5400 Canadiens sont morts d’infections qui étaient pourtant considérées comme curables, nous apprenait la semaine dernière une étude publiée par le Conseil des académies canadiennes. Voilà une des conséquences directes de la RAM: on n’arrive plus à régler des infections pourtant considérées comme simples avec un antibiotique de base.

«Si tu montres ton jeu à une bactérie, elle va apprendre des trucs pour résister au traitement», résume le Dr Louis Valiquette, directeur du département de microbiologie et d’infectiologie de la Faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université de Sherbrooke.

Et d’ici 2050, la RAM entraînera chaque année 10 millions de décès à l’échelle mondiale, soit plus que le cancer, selon une étude britannique publiée en 2014.

Devant ces chiffres effarants, on en vient à se demander pourquoi on n’entend pas parler davantage de ce sujet pour le moins inquiétant. Dans le cadre de la Semaine mondiale pour un bon usage des antibiotiques, mise sur pied par l’OMS, le HuffPost Québec en a discuté avec deux médecins experts dans le domaine qui, au sein de leur entreprise, ont développé des outils servant à freiner le phénomène.

«Beaucoup de chemin à faire»

«Les médecins en général, surtout dans les hôpitaux de soins aigus, sont de plus en plus sensibilisés, croit le Dr Valiquette. Mais quand on regarde notre consommation globale d’antibiotiques, on se rend compte qu’il reste encore beaucoup de chemin à faire.»

Malheureusement, encore trop de patients se retrouvent à prendre des antibiotiques alors qu’ils n’en ont pas besoin, ou alors ils en prennent plus longtemps que nécessaire.

Le Dr Louis Valiquette est directeur du département de microbiologie et d’infectiologie de la Faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université de Sherbrooke et directeur médical de LUMED.
Courtoisie/bioMérieux
Le Dr Louis Valiquette est directeur du département de microbiologie et d’infectiologie de la Faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université de Sherbrooke et directeur médical de LUMED.

«Quand tu reçois des antibiotiques alors que ce n’est pas nécessaire, pour un virus comme le rhume par exemple, ça ne fait que créer la possibilité d’effets secondaires. C’est un effet courant qu’on voit, des patients qui sont pris depuis six mois avec un Clostridium difficile, par exemple, à cause d’un antibiotique dont ils n’avaient pas besoin. Ça occasionne des coûts pour un centre hospitalier.»

Le scénario d’une bactérie qui ne peut plus être traitée par aucun antibiotique et qui envoie le patient aux soins palliatifs est plutôt rare, rassurez-vous (pour l’instant, du moins). Mais ce que le Dr Valiquette voit souvent dans sa pratique, c’est une infection simple comme une pneumonie ou une cystite qui ne peut pas être traitée avec un antibiotique «de base». La bactérie résiste, et oblige le patient à subir un traitement plus complexe, et plus toxique pour le corps. Cela peut entraîner des problèmes rénaux ou hépatiques, et même une hospitalisation.

Il faut aussi comprendre que les antibiotiques ne sont pas des médicaments comme les autres, explique le Dr Valiquette. Ils agissent sur les bactéries dans la communauté. Les conséquences peuvent donc affecter tout le monde, même les personnes qui n’ont pas personnellement consommé inutilement des antibiotiques.

Un logiciel d’intelligence artificielle

Louis Valiquette s’intéresse depuis plusieurs années à la surutilisation des antibiotiques. Il y a près de dix ans, il a mis sur pied avec deux collègues un logiciel d’intelligence artificielle qui génère des alertes lorsque les patients du Centre hospitalier de l’Université de Sherbrooke (CHUS), où il travaille, reçoivent des prescriptions d’antibiotiques qui ne sont pas adaptées à leur condition. Les infectiologues trouvent ensuite une meilleure option et en informent le médecin traitant, qui peut alors modifier sa prescription. Depuis 2012, ce logiciel «d’antibiogouvernance» est commercialisé au sein de l’entreprise LUMED, fondée par le Dr Valiquette et ses collègues. Et selon lui, ce logiciel a fait ses preuves au CHUS.

«Entre 2010 et 2013, on a noté une diminution de 25% de la consommation d’antibiotiques, ce qui représente des économies cumulatives de plus d’un million de dollars, et on a diminué la durée moyenne des hospitalisations de deux jours», affirme le Dr Valiquette.

Pour la Dre Joanna Merckx, directrice médicale de bioMérieux, une entreprise médicale présente dans une quarantaine de pays dans le monde, qui vend notamment l’outil de LUMED, le temps presse.

La Dre Joanna Merckx est directrice médicale de bioMérieux et chargée de cours au département d’épidémiologie, de biostatistique et de santé au travail de l’Université McGill.
Courtoisie/bioMérieux
La Dre Joanna Merckx est directrice médicale de bioMérieux et chargée de cours au département d’épidémiologie, de biostatistique et de santé au travail de l’Université McGill.

«Les antibiotiques, on en a besoin quand on fait des chirurgies, des transplantations, de la chimiothérapie... S’ils ne sont plus efficaces, ce sont beaucoup de patients vulnérables qui vont être affectés», affirme celle qui est également chargée de cours au département d’épidémiologie, de biostatistique et de santé au travail de l’Université McGill.

Selon le rapport du Conseil des académies canadiennes publié la semaine dernière, intitulé «Quand les antibiotiques échouent», 26% des infections sont aujourd’hui résistantes aux traitements antimicrobiens. Et cela passera à 40% d’ici 2050. Des chiffres qui peuvent donner froid dans le dos.

Pour la Dre Merckx, tout part du diagnostic, qui doit être le plus précis possible. Son entreprise a appuie d’ailleurs une étude portant sur l’utilisation d’antibiotiques et la résistance bactérienne, à laquelle ont participé 800 hôpitaux provenant de 80 pays.

Que font le Québec et le Canada?

«Le gouvernement du Canada reconnaît que la résistance aux antimicrobiens (RAM) représente une menace grandissante pour la santé publique mondiale», a répondu par courriel une porte-parole de Santé Canada, Anna Maddison, au HuffPost Québec.

«Le gouvernement élabore actuellement un plan d’action pancanadien sur la résistance aux antimicrobiens, en partenariat avec les provinces, les territoires et les intervenants, a-t-elle ajouté. Ce plan sera achevé en 2020 et énoncera l’approche utilisée par les différents secteurs du Canada pour lutter de manière coordonnée contre la RAM.»

Selon Santé Canada, le gouvernement a investi 200 millions de dollars au cours des 10 dernières années pour agir dans ce domaine.

Quelques conseil du MSSS

Voici quelques petits gestes que vous pouvez aussi poser pour tenter de freiner la résistance aux antimicrobiens, selon le Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec.

  1. Vous assurer que votre carnet de vaccination est à jour.
  2. Vous laver fréquemment les mains pour prévenir les infections.
  3. Adopter des pratiques sexuelles sécuritaires incluant l’utilisation du condom, pour éviter la transmission d’infections transmissibles sexuellement et par le sang.
  4. Éviter les antibiotiques lorsque ce n’est pas recommandé (dans le cas d’une infection virale, par exemple).
  5. Suivre les consignes du médecin si une culture doit être faite avant la prise d’antibiotiques.
  6. Lorsque des antibiotiques sont prescrits, finir la prescription au complet.
  7. Ne pas conserver des antibiotiques à la maison pour usage futur, ni en acheter à l’étranger lorsque ceux-ci sont disponibles en vente libre.

Au Québec, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) assure également avoir plusieurs outils et stratégies en place pour contrer le phénomène. La porte-parole Noémie Vanheuverzwijn a assuré par courriel que le MSSS avait mis à jour plusieurs protocoles s’adressant aux professionnels de la santé. L’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) a également plusieurs programmes de surveillance sur le sujet.

Un plan d’action ministériel sur la prévention et le contrôle des infections nosocomiales est également en cours, jusqu’en 2020. «Ce plan contient notamment des actions sur l’antibiorésistance au niveau de la gouvernance des établissements, des responsabilités, des ressources informatiques pour la surveillance», précise Mme Vanheuverzwijn.

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