Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

J’ai représenté des centaines de femmes victimes de violence conjugale. Voici ce que j’ai réalisé.

La violence conjugale n’a pas de profil socio-économique. Elle n’a aucun égard pour l’âge, l’origine ethnique, le salaire, la profession ou le niveau d’éducation.
John Encarnado / EyeEm via Getty Images

En tant qu’ancien avocat pour les victimes de violence conjugale et maintenant père au foyer de filles jumelles, je m’inquiète pour leur avenir.

Je suis constamment bombardé de conseils sur la façon de protéger mes filles des hommes. Un chauffeur d’Uber a récemment partagé ces paroles de sagesse: «Si vos filles ramènent un gars à la maison, regardez-le droit dans les yeux et dites: “Hey, je n’ai pas peur de retourner en prison.” Assurez-vous de dire “retourner!”»

Certaines personnes ont suggéré que la clé pour assurer la sécurité de mes filles est de les inscrire au jiujitsu brésilien, au kick-boxing et à diverses autres formes d’autodéfense. Le conseil le plus courant implique que ma femme et moi, nous concevions un frère à nos filles pour les protéger: «Vos filles sont si belles. J’espère qu’ils ont un frère aîné.»

Je me dis: «Chaque année, cinq millions de femmes sont victimes de violence conjugale. Je suppose que beaucoup d’entre elles ont des frères.»

L'auteur et sa fille Clementine
Courtoisie/Dean Masello
L'auteur et sa fille Clementine

J’ai consacré la majeure partie de ma carrière professionnelle à la fonction publique, avec une spécialisation auprès des victimes d’abus et des populations marginalisées. En 2005, j’ai formé un cabinet privé spécialisé dans la défense de victimes de violence conjugale. Depuis chez moi à Columbus, je me suis rendu dans de petites villes de tout l’Ohio, représentant (principalement) des femmes demandant une ordonnance de protection civile. Au fil du temps, j’ai formé une alliance avec des maisons d’hébergement pour femmes dans tout l’État.

En tant que représentant de victimes de violence, mon rôle était autant d’être avocat que thérapeute. En moyenne, il faut sept tentatives à une victime avant de réussir à quitter un partenaire violent pour de bon. Mes clientes abandonnaient souvent leurs plaintes par crainte de représailles, mais l’amour pour l’agresseur joue le rôle le plus important dans la décision de la victime. Si une cliente voulait rejeter une plainte contre un agresseur, je devais honorer sa décision; mais je questionnais toujours leurs convictions.

De 2005 à 2010, j’ai représenté des centaines de victimes de violence conjugale. Malgré les mythes entourant ce type de violence, des professionnels bien formés et hautement accomplis sont tout aussi susceptibles d’être victimes de violence que quiconque. La violence conjugale n’a pas de profil socio-économique. Elle n’a aucun égard pour l’âge, l’origine ethnique, le salaire, la profession ou le niveau d’éducation. Cela affecte également les hommes et les individus non binaires, bien que mon expérience ait représenté (principalement) des femmes maltraitées par des hommes.

Les jeunes femmes élevées avec une image de soi et une estime de soi positives sont moins susceptibles de développer des troubles de l’alimentation, de souffrir de dépression et d’automutilation; mais les femmes confiantes et déterminées sont toujours vulnérables à la violence et à l’agression masculines.

“La grande majorité des violences et des abus sont commis par des partenaires masculins intimes et d’autres hommes connus des victimes.”

La prévention de la violence conjugale s’est traditionnellement attaquée à ce problème en le considérant comme féminin. La littérature regorge de conseils qui font peser sur les femmes elles-mêmes et les parents de jeunes filles la charge d’éviter la violence à l’égard des femmes. Je suis récemment tombé sur un article intitulé «9 façons de protéger votre fille contre la violence conjugale.»

J’ai lu d’innombrables articles similaires, qui semblent offrir des solutions commerciales au problème d’agressions et d’abus sexuels. Les cours et les trucs d’autodéfense sont une industrie construite autour de l’idée que c’est, essentiellement, la responsabilité de la femme de se protéger.

En plus de blâmer les victimes, l’autodéfense traditionnelle est extrêmement limitée dans son application. Les actes d’agression aléatoires perpétrés contre des victimes sans méfiance ne représentent qu’une très faible proportion de la violence contre les femmes. La grande majorité des violences et des abus sont commis par des partenaires masculins intimes et d’autres hommes connus des victimes.

«Méfiez-vous! Si votre homme fait ces 15 choses, il est particulièrement insécure.» Selon cette école de pensée, les traits d’insécurité peuvent être réduits à un profil prévisible que les femmes peuvent identifier dans les premiers stades de la relation. Cependant, les hommes en insécurité ne révèlent généralement pas cette insécurité au premier rendez-vous. Comme nous le savons tous, les premières impressions représentent rarement la vraie nature. Prenons l’exemple de mon ancienne cliente Maria (nom fictif).

“Une fois que l’amour entre dans l’équation, les humains sont prêts à endurer des choses qu’ils ne souhaiteraient pas à leur pire ennemi.”

Maria était une femme moderne dans tous les sens du terme. Elle était déterminée, indépendante d’esprit et en voie de devenir associée dans son cabinet comptable. Après des années de romance éphémère et de catastrophes amoureuses, Maria a finalement rencontré l’homme de ses rêves. Greg était un jeune chirurgien respecté et sociable, et le plus important, c’est qu’il avait toujours traité Maria avec respect et tendresse.

Jusqu’au lendemain de leur mariage digne d’un conte de fée, lors de leur lune de miel à Bora Bora, quand Greg a soudainement demandé à Maria de répertorier en détail tout son historique sexuel, puis lui a ordonné de ne plus jamais parler de ces hommes.

Si ça avait été un premier rendez-vous, Maria aurait ri au nez de Greg. Pourtant, dans les circonstances, elle était paralysée de peur.

L’histoire de Maria peut sembler absurde pour certains, mais ce n’est pas une anomalie. Au moment où une personne se rend compte qu’elle est en relation avec un homme qui a ce type de caractère, elle a déjà développé des sentiments pour lui. En d’autres termes, il est peut-être trop tard. La raison et le bon sens ont peu de chance contre l’émotion la plus forte connue de notre espèce. Une fois que l’amour entre dans l’équation, les humains sont prêts à endurer des choses qu’ils ne souhaiteraient pas à leur pire ennemi.

“Si nous voulons vraiment protéger nos filles, ça commence par la façon dont nous élevons nos fils.”

Maintenant pour quelques bonnes nouvelles: la violence entre partenaires intimes est un phénomène culturel avec une solution culturelle. Je n’ai peut-être pas toutes les réponses, mais s’il y a un point à retenir de mes années de représentation des victimes de violence conjugale, c’est celui-ci: si nous voulons vraiment protéger nos filles, ça commence par la façon dont nous élevons nos fils.

Certes, les victimes et leurs agresseurs viennent de toutes sortes de milieux, mais les personnes présentant certains facteurs de risque sont plus susceptibles de devenir des oppresseurs.

Dans le passé, les experts pensaient que les enfants qui avaient subi ou observé des abus étaient destinés à devenir des adultes qui un jour abuseraient de leurs propres enfants ou partenaires. Dans l’ensemble, il existe des preuves d’une association faible à modérée (mais statistiquement significative) de violence à la maison et, plus tard, de violence conjugale. Il en va de même pour la consommation d’alcool; bien qu’il existe des preuves d’un lien de corrélation, il n’est pas aussi fort ou aussi cohérent qu’on le pense généralement.

D’après mon expérience, les hommes violents ont tous une chose en commun: l’insécurité. La recherche montre que le fait de ne pas correspondre à un idéal de virilité véhiculé par la société n’incite pas en soi à la violence. Mais si ce manque apparent perçu le ronge émotionnellement...attention.

Les hommes qui se perçoivent comme masculins (et sont fiers de cette perception) et les hommes qui se considèrent moins masculins (et qui en conséquence se sentent tendus ou anxieux) sont tous deux plus susceptibles de réagir au stress en agissant de manière masculine selon les stéréotypes: par la violence.

Bien sûr, les valeurs comptent également. Il est important d’enseigner à nos jeunes garçons l’intégrité, l’honneur, le respect et l’égalité; cependant, j’ai vu beaucoup de soi-disant «bons hommes» qui maltraitent les femmes.

Les hommes et les femmes souffrent tous les deux de la présence durable de rôles de genre stéréotypés dans notre société. Cependant, contrairement à leurs homologues féminines, les hommes sont socialisés pour cacher leurs sentiments et leurs émotions. Les garçons qui apprennent à «cacher» et à «ne pas ressentir» sont plus sujets à la violence et à l’agression.

“La peur et la vulnérabilité font partie de la condition humaine - il est temps de commencer à traiter nos jeunes garçons en conséquence.”

Bien que je soutienne que nous n’avons pas à abandonner tout le concept de masculinité, certaines caractéristiques sont intrinsèquement nocives pour les garçons et la société. Les parents devraient toujours encourager leurs enfants à communiquer leurs préoccupations personnelles et émotionnelles, et ne jamais leur faire sentir qu’il doive avoir honte de pleurer ou d’exprimer leurs sentiments. La peur et la vulnérabilité font partie de la condition humaine - il est temps de commencer à traiter nos jeunes garçons en conséquence.

Il s’avère que la lutte pour l’égalité des sexes inclut également les hommes.

Les femmes méritent d’habiter le même monde que les hommes - à l’abri de la violence conjugale et de la peur de la violence. Si nous voulons vraiment que la violence conjugale disparaisse comme la polio et la variole, les rôles traditionnels pour chaque sexe doivent être abandonnés dans la poubelle de l’histoire.

Ce texte, initialement publié sur le site du HuffPost États-Unis, a été traduit de l’anglais.

Pour demander de l’aide à SOS violence conjugale: 1 800 363-9010

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.