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L'absence de Rehtaeh m'a appris l'importance du consentement chez les jeunes

Il y a trois ans, le coût de la culture du viol au Canada m'a sauté aux yeux alors que j'arpentais les corridors d'un hôpital.
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Il y a trois ans, ma fille Rehtaeh Parsons a lâché prise et succombé aux démons qu'elle avait si bravement combattus. Elle s'est enlevé la vie.

Il serait tentant pour moi de m'enfermer à la maison pour me complaire dans la noirceur, mais j'ai trop de raisons de vouloir en sortir. En effet, les trois dernières années m'ont appris beaucoup de choses à propos de la justice et des agressions sexuelles. Elles m'ont donné un meilleur sens de ce que nous pouvons faire pour réparer les torts causés par la culture du viol.

Lorsque les conseillers, spécialistes et centres de crise de tout acabit en sont au point de croire que porter plainte fera plus de tort que de bien à la victime, il est évident que notre système de justice criminelle n'inspire plus confiance. Que les juges et avocats en soient conscients ou non importe peu, car nous ne sommes plus dans une logique de procès équitable et de crédibilité des victimes, mais bien dans une logique de désespoir.

Je ne vous parlerai pas de Jian Ghomeshi, de Bill Cosby ou des écarts de conduite du juge Robin Camp, qui avait dit à une victime de viol de garder les genoux collés. Je ne vous parlerai pas des féministes que j'ai rencontrées, qui ont toutes fait l'objet de menaces pour avoir exprimé leur point de vue sur Internet. En revanche, je vous parlerai de ce que nous pouvons faire pour remédier à la situation.

Rehtaeh Parsons avait 17 ans lorsqu'elle a été débranchée de son équipement de survie en avril 2013, après avoir commis une tentative de suicide. (Photo : Facebook)

Quelques mois après le décès de Rehtaeh, un centre pour victimes d'agressions sexuelles situé dans une petite communauté rurale de Nouvelle-Écosse m'a invité à parler à un groupe composé d'environ 30 jeunes filles et d'un garçon. Durant la discussion, une conseillère a posé une question très pertinente: «Si une fille fait la fête, se saoule et subit une agression sexuelle, croyez-vous qu'elle est fautive?»

Environ la moitié des jeunes ont levé la main pour manifester leur accord. J'en conclus que ce qui est arrivé à Rehtaeh est arrivé dans d'innombrables écoles secondaires à travers le Canada.

Lorsque d'autres étudiants et étudiantes connaissent l'identité de la victime, il s'ensuit généralement une campagne de blâme, de dénigrement, de propos haineux et de harcèlement qui risque de pousser cette dernière au suicide.

Il est très rare que les victimes racontent les faits à leurs parents ou portent plainte à la police. La plupart d'entre elles éprouvent un sentiment de culpabilité pour le reste de leur vie. Je présume que c'est le cas des adolescentes qui ont levé la main en réponse à la question posée plus haut.

En guise de rappel, il est interdit d'avoir une relation sexuelle, avec pénétration ou non, avec une personne qui n'y a pas consenti ou n'est pas en état de le faire. Le Code criminel du Canada (article 273.1) fournit une définition très claire du consentement et des situations où celui-ci n'est pas possible, c'est-à-dire les cas où:

a) l'accord est manifesté par des paroles ou par le comportement d'un tiers;

b) [le plaignant] est incapable de le former;

c) l'accusé incite [le plaignant] à l'activité par abus de confiance ou de pouvoir;

d) [le plaignant] manifeste, par ses paroles ou son comportement, l'absence d'accord à l'activité;

e) après avoir consenti à l'activité, [le plaignant] manifeste, par ses paroles ou son comportement, l'absence d'accord à la poursuite de celle-ci.

Les situations mentionnées ci-haut ne sont pas de simples directives. Elles ont force de loi, et nul ne peut ignorer la loi. Ne pas inculquer ces notions à nos enfants est ce qui a mené ma fille à se pendre dans une salle de bains il y a trois ans.

Il y a quelques mois, un journaliste m'a interrogé au sujet des ateliers que j'avais animés à Toronto. Un parent l'avait contacté pour se plaindre qu'il était inapproprié pour des jeunes du secondaire. En effet, beaucoup de parents préfèrent aborder les questions de sexualité en famille pour des motifs religieux.

Je comprends le point de vue de ces parents jusqu'à un certain point. Or, lorsque des garçons de 15 ans violent des filles de 15 ans, et que ces filles se font ensuite harceler et insulter par d'autres filles du même âge, j'en conclus que très peu de parents prennent l'initiative de parler de sexualité à la maison.

«La lutte contre les violences sexuelles ne passe pas par les tribunaux, mais par de franches conversations avec les jeunes.»

Au cours des trois dernières années, j'ai compris que la lutte contre les violences sexuelles ne passe pas par les tribunaux, mais par de franches conversations avec les jeunes. La plupart sont déjà intéressés à aborder la notion de consentement. Ils peuvent et veulent jouer un rôle dans la prévention des violences et du harcèlement qui s'ensuit. Je le sais, car certains le font déjà avec brio.

En Ontario, par exemple, les étudiantes de huitième année Tessa Hill et Lia Valente ont convaincu la première ministre Kathleen Wynne d'inclure la notion de consentement dans le nouveau programme d'éducation sexuelle. Elles ont produit un court documentaire sur la culture du viol et sont devenues les plus jeunes récipiendaires du Toronto's Women of Distinction Award décerné par le YWCA.

«L'outil le plus puissant pour combattre les agressions à l'encontre des femmes est la mentalité des jeunes garçons.»

Dans le même ordre d'idées, j'ai donné une conférence à Ottawa il y a environ deux ans, devant un groupe de jeunes garçons qui me paraissaient très intéressés à remédier au problème.

J'ai repris contact avec ces étudiants lorsque leur professeur m'a invité à l'école secondaire Longfields-Davidson Heights. À mon entrée dans le bâtiment, j'ai été accueilli par des affiches faisant la promotion du consentement, de la solidarité et du rôle que les hommes doivent jouer dans la prévention du harcèlement. Les étudiants à qui j'avais parlé ont créé un groupe nommé ManUp, qui diffuse maintenant le message dans plusieurs autres écoles de la région d'Ottawa.

Que fait ManUp exactement? Voici ce qu'a répondu l'étudiant de douzième année Ben Noor au journal Ottawa Community News:

«Nous disons à la communauté étudiante, et plus particulièrement aux jeunes garçons, que la violence faite aux femmes doit cesser. Nous essayons de changer le modèle masculin dans notre société. Un homme doit parler de relations saines avec les autres hommes. Un homme doit intervenir s'il entend des propos sexistes ou déplaisants, ou s'il est témoin d'une agression à l'encontre d'une femme. Il ne doit pas être un témoin passif.»

L'initiative de ces étudiants est d'une importance capitale. Si l'un d'entre eux avait été là quand Rehtaeh avait besoin d'aide, elle serait peut-être encore en vie aujourd'hui.

Le billet de blogue continue après la vidéo.

Glen Canning reflects on what he's learned three years after the death of his daughter, Rehtaeh Parsons. On the anniversary of her passing, Glen has an urgent message for other parents. Read his blog here: http://huff.to/22dOaQ0

Posté par HuffPost Canada Parents sur jeudi 7 avril 2016

L'outil le plus puissant

Au cours des trois dernières années, j'ai appris que l'outil le plus puissant pour combattre les agressions à l'encontre des femmes est la mentalité des jeunes garçons.

Si on ne leur fournit pas des exemples de vertu, d'empathie, d'affection, de tolérance, de confiance, de gentillesse et de courage, le vide sera tout simplement comblé par l'ignorance, le racisme, le sexisme, la haine et la colère.

Après le décès de ma fille, un jeune homme qui apparaissait dans l'une des photos incriminantes a écrit une série de messages Facebook à sa mère. Le dernier disait: «Je ne veux pas vivre avec l'étiquette de violeur pour le reste de mes jours. C'est le mot le plus blessant qui me vient à l'esprit.»

Ce jeune garçon ne sait même pas qu'il a commis un viol, car il ignore ce que ce terme veut dire. Ses notions de bien et de mal sont floues et personne n'a jamais entrepris de les corriger.

Rehtaeh Parsons en a payé le prix, car elle croyait à tort être en sécurité en compagnie d'adolescents de son quartier.

«Je ne connaissais rien à la culture du viol, jusqu'à ce qu'elle emporte la personne que je chérissais le plus au monde. Je l'assume et je sais maintenant la reconnaître partout.»

L'incapacité de notre société à inculquer aux jeunes les notions de limites et de consentement a eu des conséquences funestes. Le viol est un crime de caractère, en ce sens qu'il peut être prévenu de plusieurs manières. Il est donc essentiel d'aborder ces questions en insistant sur la responsabilité individuelle et la notion de faute lorsqu'une limite est transgressée.

Je ne connaissais rien à la culture du viol, jusqu'à ce qu'elle emporte la personne que je chérissais le plus au monde. Je l'assume et je sais maintenant la reconnaître partout.

À une certaine époque, la culture du viol permettait de protéger un violeur. Mais cette époque est révolue en partie grâce aux médias sociaux. Les noms des agresseurs, jadis écrits sur les murs des toilettes, sont maintenant révélés sur Twitter.

Photo de famille

J'ai eu besoin de plusieurs semaines pour terminer cet article. J'ai dû le réécrire plusieurs fois, car résumer les trois dernières années de ma vie sans apparaître colérique me semblait impossible.

Alors je tiens à le conclure en faisant un appel aux parents de garçons adolescents.

Imaginez votre fils au moment où il reçoit son diplôme d'études secondaires et entreprend les plus belles années de sa vie: entrer à l'université, se marier, avoir des enfants. Imaginez l'enfer qu'il vivra à chacune de ces étapes, si tout ce qui ressort d'une recherche Google est sa participation à un viol collectif à l'âge de 15 ans.

C'est la situation que doivent vivre les jeunes qui ont agressé ma fille. Une situation tragique, conséquence d'actes irresponsables, mais entièrement évitables.

Si vous pensez que votre fils est à l'abri, détrompez-vous. Les blagues de mauvais goût, les sondages du type «qui est la plus violable» dans Facebook, le harcèlement au coin de la rue et la complicité passive peuvent entacher sa réputation à tout jamais.

Il y a trois ans, le coût de la culture du viol au Canada m'a sauté aux yeux alors que j'arpentais les corridors d'un hôpital. S'il vous plaît, parlez à vos enfants des notions de limite, de consentement, de respect et de prévention des violences sexuelles. Ils vous écouteront attentivement. J'en suis certain.

Ce billet a initialement été publié sur le Huffington Post Canada.

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