CINÉMA - Le “male gaze” continue d’exister. Une nouvelle étude parue mardi 1er octobre affirme que les portraits d’héroïnes féminines racontés au cinéma d’un point de vue masculin dessert les femmes et les filles dans le monde entier.
Cette étude démontre que les personnages féminins dans les films à succès sont plus susceptibles d’être objectifiées, ce qui perpétue les stéréotypes nuisibles aux femmes et aux filles. Les chercheurs avancent que ces représentations résultent du fait que peu de femmes sont réalisatrices, scénaristes, productrices ou autres fonctions de ce type.
L’étude, intitulée Rewrite Her Story, est le fruit d’une collaboration entre Plan International, une organisation humanitaire britannique, et le Geena Davis Institute on Gender in Media, fondé par l’actrice hollywoodienne, qui milite depuis longtemps pour une représentation plus équitable des femmes à l’écran.
Les chercheurs sont parvenus à leurs conclusions grâce à une technologie nommée le Geena Davis Inclusion Quotient, qui utilise un logiciel de reconnaissance faciale et vocale pour analyser la représentation des femmes au cinéma et à la télé. Cet outil a passé en revue 56 des films les plus rentables de 2018 dans 20 pays, dont les États-Unis, le Canada, l’Inde, le Japon, l’Allemagne, le Pérou et le Sénégal.
Comparées à leurs homologues masculins, les femmes représentées à des postes de pouvoir étaient souvent traitées comme des objets sexuels ou étaient montrées nues, ce qui confirme que les films sont souvent racontés du point de vue des hommes.
“Les films les plus populaires envoient le message suivant: le pouvoir est avant tout un domaine masculin”, écrivent les chercheurs. “Les dirigeantes, assujetties au regard masculin, ne sont pas vraiment aux commandes.”
Ces films dépeignent un monde dirigé par les hommes, pour les hommes
Les femmes de pouvoir avaient quatre fois plus de chances “d’apparaître dans des tenues suggestives” que les hommes dans les films analysés par l’étude (30% contre 7%).
Dans les 56 films en question, elles étaient par ailleurs près de deux fois plus susceptibles “d’apparaître partiellement dénudées” (15% contre 8%), et quatre fois plus d’être “complètement nues” à l’écran (2% contre 0,5%).
L’étude a aussi montré que les femmes avaient près de quatre fois plus de chances d’être présentées comme des objets sexuels (par exemple, quand “la caméra passe lentement sur une partie de leur corps”) et cinq fois plus d’être harcelées sexuellement.
La principale recommandation de l’étude pour que le leadership féminin soit “visible et normal” et que les femmes ne soient pas traitées en objets à l’écran? Engager des réalisatrices, et soutenir leur travail.
“Ces films dépeignent un monde dirigé par les hommes, pour les hommes”, notent les chercheurs, faisant remarquer que “les cinéastes sont, eux aussi, principalement des hommes”.
Les exemples “Queens” et “Unbelievable”
Parmi les films analysés, aucun n’a été réalisé par une femme. Ils n’étaient que 25% à compter au moins une femme productrice, et 10% à avoir été scénarisés (totalement ou en partie) par une femme.
Ces conclusions rejoignent celles d’études précédentes qui démontraient l’importance de représenter des femmes et des filles fortes à l’écran, et dénonçaient le manque de femmes réalisatrices aux manettes des plus grosses productions hollywoodiennes.
En partie grâce au mouvement #MeToo, les créateurs, au cinéma comme à la télévision, sont devenus plus attentifs à la manière dont les femmes sont dépeintes, avec des résultats positifs.
Par exemple, “Queens”, qui a triomphé récemment au box-office, a été écrit et réalisé par Lorene Scafaria. Ce film, qui met en scène Constance Wu et Jennifer Lopez, suit un groupe de stripteaseuses qui arnaquent leurs clients de Wall Street après la crise financière de 2008. Centré sur les femmes, il offre une représentation nuancée, et montre des relations et des motivations complexes. Il évite aussi de porter un regard concupiscent sur le corps féminin.
De la même manière, “Unbelievable”, la minisérie de Netflix qui raconte plusieurs enquêtes sur des cas d’agressions sexuelles, a été saluée dans la mesure où elle ne fait pas de sensationnalisme, préférant se concentrer sur les femmes au cœur du récit.
Dans le cadre de leur étude, les chercheurs ont également interviewé des filles et des femmes âgées de 15 à 25 ans dans plusieurs des vingt pays observés. Ils les ont interrogées sur la manière dont elles percevaient la représentation des femmes au cinéma, à la télévision et dans les publicités. Nombre d’entre elles ont fait part de leur découragement devant les rôles auxquels sont reléguées les femmes: ménagère, bonne copine ou cible amoureuse des premiers rôles masculins.
“Même si je sais que je pourrais accéder à des postes de responsabilités, je ne le ferai pas, parce que je vois que le pouvoir est réservé aux hommes”, a confié aux chercheurs une jeune Ougandaise de 22 ans. “Ça a donc une incidence sur moi. Je dois rester les bras croisés, à regarder les hommes faire, même si je suis aussi capable qu’eux.”
“Un cercle vicieux”
“Les femmes n’occupent les plus hautes fonctions dans quasiment aucun pays du monde. (…) Même en politique, elles sont beaucoup moins représentées que les hommes, et je pense que cela se répercute sur l’industrie du spectacle”, a expliqué une jeune Canadienne de 18 ans. “D’après moi, cela crée un cercle vicieux.”
De nombreuses femmes ont fait remarquer qu’elles constataient aussi un manque de diversité en matière d’ethnies, de préférences sexuelles et de classes socio-économiques.
Les chercheurs ont par ailleurs interrogé des réalisatrices au sujet de leurs expériences. Beaucoup se montrent optimistes mais prudentes: le fait que de plus en plus de femmes aient l’occasion de créer pour le cinéma et la télévision, et que de plus en plus de femmes jouent un rôle en coulisse devrait conduire à une meilleure représentation des femmes à l’écran.
“Une période très excitante s’ouvre pour les réalisatrices, et je ne peux qu’espérer que cette vague de changement reste forte et efficace. Il fait absolument que les artistes féminines puissent s’exprimer et parler d’une même voix dans le contexte politique actuel”, a confié la cinéaste vietnamienne Ash Mayfair, ajoutant que l’égalité salariale était un enjeu connexe. “Soutenir économiquement les femmes à tous les niveaux est l’outil le plus efficace pour parvenir à l’égalité entre les sexes. Nous devons créer des emplois pour les femmes.”
Pour lire l’étude dans son intégralité, cliquez ici.
Cet article, publié sur le HuffPost américain, a été traduit par Laure Motet pour FastForWord.
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