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Réfugiés syriens: y a-t-il un modèle turc de l'action humanitaire?

C'est une population «invitée» qui va passer au stade d'«installée». Il faut donc lui offrir les services pour la faire basculer dans la résilience et l'installation durable.
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Ce billet du blogue Un seul monde, une initiative de l'AQOCI et du CIRDIS, a été écrit par Christian Bertrand (nom de plume), consultant en développement international et aide humanitaire.

La Turquie est devenue en peu d'années le premier pays hôte de réfugiés au monde. Plus de 2,7 millions de réfugiés syriens vivent sur son territoire, auxquels il faut ajouter plus de 300 000 réfugiés ou requérants d'asile en provenance d'Afghanistan, d'Iran et d'Irak, voire du Pakistan ou de la Somalie.

La crise syrienne a déclenché en quelques années une véritable déferlante de personnes réfugiées dans tout le Proche-Orient, particulièrement au Liban, en Jordanie et surtout en Turquie, pays qui partage avec la Syrie plus de 900 km de frontière commune. Les premiers réfugiés, appelés «guests» («invités») ont été logés dans des camps de tentes. Progressivement, au fil des arrivées comme des crises subites (par exemple, en 2014, à Kobané et à Akçakale), le nombre de camps est passé à 26 et le nombre de personnes y résidant dépasse les 270 000.

Réfugiés syriens en Turquie, novembre 2014. © European Union/ECHO/Caroline Gluck

Composés de tentes, puis de conteneurs «familiaux», les camps de réfugiés syriens en Turquie sont devenus des modèles d'exemplarité en ce qui a trait à leur gestion, aux conditions matérielles d'assistance et d'accueil, et au respect des standards minimums internationaux en matière de réponse humanitaire.

Fiers et compétents, très attachés à leur souveraineté, à aucun moment les Turcs n'ont accepté que des organisations internationales, des Nations unies (Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, HCR) ou non gouvernementales prennent en charge la gestion matérielle ou des services des camps de réfugiés syriens.

Conscient que le nombre croissant de réfugiés requérait une politique qui s'inscrive dans un temps plus long que celui de l'urgence, le gouvernement a publié un certain nombre de règles et circulaires juridiques qui donnent aux réfugiés syriens un statut comparable à celui prévu dans la Convention sur les réfugiés de 1951.

Tout réfugié dûment enregistré en Turquie a un accès gratuit aux services de santé, a droit à l'éducation et, plus récemment, a le droit de travailler de manière légale - la réalité étant toutefois que les Syriens à la recherche de quoi survivre sont ceux qui acceptent depuis cinq ans les salaires les moins bien payés, en agriculture, dans la construction ou autres travaux difficiles.

Le droit à l'éducation fait en sorte que les enfants syriens vont désormais initier leur cycle de formation en turc, dans des écoles turques, alors que leurs aînés ont pu, et vont continuer à s'éduquer dans des centres d'éducation temporaires, appuyés par le HCR et l'UNICEF.

Ces succès ne sont pas sans écueils : le processus d'enregistrement, particulièrement des Syriens vivant en dehors des camps, reste à finaliser. Aucune étude sur les vulnérabilités des populations vivant en dehors des camps n'a été complétée à ce jour, ce qui rend les agences humanitaires «aveugles» en matière de programmation au service des plus vulnérables. Enfin, les distorsions créées par l'arrivée des Syriens sur le marché du travail ont créé des tensions avec les populations locales dans certaines régions.

Alors que «l'appel d'air» vers l'Europe de l'été 2015 a connu un arrêt brusque et radical à l'hiver 2016, et que les Européens ne s'attendent plus à ce que des centaines de milliers de Syriens viennent frapper à leur porte, il est évident que la situation humanitaire en Turquie est là pour durer. Avec 8 millions de déplacés internes et près de 5 millions de réfugiés syriens dans la sous-région, il est hors de question de penser un retour rapide, organisé et sûr des réfugiés syriens chez eux.

Les Turcs, qui estiment avoir dépensé plus de 8 milliards $ depuis 2011 pour subvenir aux besoins des réfugiés syriens, espèrent voir l'Europe les appuyer à la hauteur de 3 milliards d'euros dans cette gestion d'une crise qui s'installe sur le long terme. Mais le bilan à dresser est d'ores et déjà exemplaire.

Comment peut-on interpréter un tel bilan et quelles sont les leçons à tirer de ce «modèle turc» en matière d'action humanitaire? Les réponses sont d'ordre conjoncturel et structurel.

Membre du G20, la Turquie a dès 2011 décidé de prendre l'exclusivité de la réponse humanitaire d'une manière très organisée, tout en pensant que cette assistance serait de courte durée, Bachar al-Assad devant rapidement disparaître de la scène syrienne. L'Autorité turque de gestion des désastres et des urgences (AFAD) a pris à bras-le-corps la gestion des camps et en a fait un modèle d'efficacité et d'efficience, même en période de crise aiguë. Puis, en 2014, une nouvelle Direction générale de gestion des migrations (DGMM) a pris le relais pour les Syriens établis en dehors des camps, permettant leur enregistrement, sésame pour une assistance minimale (santé, services sociaux).

Enfin, aux niveaux locaux, avec ou le plus souvent sans présence des humanitaires internationaux, les autorités turques, appuyées en cela par des fondations religieuses, des donateurs privés et des institutions de charité, ont tout fait pour que les plus vulnérables reçoivent une assistance matérielle ciblée qui complète les services sociaux gratuits offerts par l'État. C'est donc un modèle compassionnel d'assistance aux «frères syriens» qui a permis de rejoindre ceux dans le besoin, lequel s'est appuyé sur une administration qui, à tous les niveaux, s'est révélée efficace et organisée. Pour donner un exemple, à Istanbul, les municipalités de la région de Marmara se sont réunies pour développer des réseaux de compétences, d'échanges de leçons apprises, de services de référence et de politiques sociales ciblées pour une population syrienne urbaine estimée à... 500 000 personnes!

L'exode migratoire de l'été 2016, composé à 50 % de Syriens, a désormais précipité les choses. Pendant des années, les autorités turques n'ont pas insisté pour que l'aide financière internationale vienne les appuyer dans la gestion de la crise des réfugiés syriens sur leur territoire, alors que les donateurs internationaux ont largement soutenu le Liban et la Jordanie. Désormais, en 2016, l'«accord» passé avec les Européens, assorti de conditions financières importantes, va permettre à la Turquie de consolider ses services de première ligne au sein des municipalités et provinces les plus touchées, pour rejoindre les Syriens les plus pauvres et vulnérables, qui sont là pour longtemps.

À terme, c'est une population «invitée» qui va passer au stade d'«installée». Il faut donc lui offrir les services minimaux pour la sortir de l'humanitaire et ainsi la faire basculer dans la résilience et l'installation durable.

N'hésitez pas à contacter Charles Saliba-Couture, fondateur et coordonnateur du blogue Un seul monde, pour en savoir davantage sur le blogue ou connaître le processus de soumission d'articles. Les articles publiés ne reflètent pas nécessairement les points de vue de l'AQOCI, du CIRDIS ainsi que de leurs membres et partenaires respectifs.

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