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«Désolé, je ne m'intéresse pas aux Noirs»: subir le racisme sur les applications de rencontre

Ça a des effets clairs sur l'estime de soi, de constamment sentir que notre corps n'est pas désirable et que la couleur de notre peau va nous empêcher d'avoir des relations sexuelles ou amoureuses.

Les propos de ce témoignage ont été recueillis par le HuffPost Québec et retranscrits à la première personne.

Je suis une personne noire, queer, trans et non-binaire. J’ai 30 ans et j’étudie en travail social à l’Université McGill.

Je suis agent de projet pour l’organisme communautaire REZO qui oeuvre pour la santé et le mieux-être des hommes gais, bisexuels, cis et trans. Mon projet porte spécifiquement sur la réalité des hommes noirs.

Je m’intéresse entre autres aux enjeux entourant le racisme sexuel: ça m’interpelle comme intervenant, mais aussi personnellement. J’ai moi-même vécu plusieurs expériences de racisme et de discrimination, notamment sur les applications de rencontre, que j’ai utilisées quotidiennement pendant plusieurs années.

Anna_leni via Getty Images

Un jour, j’étais assis à côté d’un ami blanc et on est allé sur une application de rencontre en même temps. Lui, il était bombardé de messages et moi, j’en avais reçu très peu. Je ne suis pas le seul Noir à avoir vécu ça. Dès que j’ai réalisé ça, ça m’a donné le sentiment de ne pas être désiré.

Sur les applications, on m’a souvent écrit: «Désolé, je ne m’intéresse pas aux Noirs» et j’ai vu des commentaires assez explicites directement sur les profils comme «Je ne recherche pas de Noirs». Je voyais ça constamment.

Il y a aussi les commentaires pas directement racistes comme «Moi, je recherche un gars aux yeux bleus»...des traits qui sont très peu communs dans les communautés racisées en général.

Et des fois, ça s’exprime de manière assez violente. J’ai déjà vu sur des profils «No spice, no rice», qui envoient le message que ça ne les intéresse pas, les personnes asiatiques ou de d’autres origines. Ces propos sont déshumanisants.

Je suis militant pour des causes comme Black Lives Matter. Ça m’est déjà arrivé d’en parler et la personne à qui j’écrivais n’était plus intéressée à partir de ce moment-là.

Ça a des effets clairs sur l’estime de soi, de constamment sentir que notre corps n’est pas désirable et que la couleur de notre peau va nous empêcher d’avoir des relations sexuelles ou amoureuses dans notre vie.

Tout ça donne l’impression que sur ces applications-là, il faut, comme personne noire, se conformer et se préparer une image qui est acceptable socialement pour pouvoir espérer rencontrer une personne. C’est difficile.

Il n’y a pas uniquement de la discrimination ouverte: il y a aussi la fétichisation. Des personnes disent qu’elles aiment les Noirs parce qu’on sait danser, on sait bouger, on est supposé être hyper masculins et très musclés, avoir un gros pénis…

“Je ne sais pas en quoi ma culture est si différente...je suis né à Toronto.”

Des fois, elles vont le dire assez ouvertement. «Je trippe sur les gars noirs parce que vous avez une expérience différente de la mienne». À la base, ça peut sembler banal, une personne qui se montre ouverte sur le monde. La réalité de ce qu’elle fait, c’est qu’elle nous colle une étiquette d’«exotique» sur le corps pour dire que forcément, nos cultures sont différentes. Je ne sais pas en quoi ma culture est si différente...je suis né à Toronto.

Ce sont les mêmes clichés que dans une situation de discrimination, et ça a le même effet. Ça crée, encore une fois, un sentiment de déshumanisation. Je ne me sens pas désiré pour qui je suis, mais plutôt pour la couleur de ma peau et pour les clichés qui viennent avec.

J’ai aussi reçu des commentaires basés sur des stéréotypes: «T’es pas comme les autres Noirs que je connais». Comme si tous les Noirs étaient dans une seule et même catégorie.

C’est une chose à laquelle on est obligé de réfléchir constamment, c’est un poids qu’on porte toujours. Est-ce que cette personne-là est en train de me fétichiser? Est-ce qu’elle m’aime pour qui je suis ou elle veut vraiment juste être avec moi en fonction des stéréotypes associés aux personnes noires?

Ça m’est arrivé, souvent, de ne pas oser m’intéresser à une personne blanche de peur d’être rejeté. J’avais de la difficulté à faire confiance aux gens sur les applications. Je faisais des recherches sur leurs comptes liés comme Instagram et je leur écrivais pour voir à qui j’avais affaire. J’exigeais beaucoup plus de conversations avec la personne et souvent, elle finissait par perdre son intérêt et ne me parlait plus.

Je suis en couple depuis un an et mon partenaire est blanc. Quand j’ai commencé à le fréquenter, ça m’a pris un bon moment avant de pouvoir lui faire confiance. Quand j’ai vu dans sa chambre une oeuvre d’art où il était écrit Black Lives Matter, je me disais «wow».

C’est une image positive. On veut que plus de personnes à l’extérieur de notre communauté le disent. Mais en même temps, j’avais des craintes: une personne blanche aurait peut-être ce genre d’oeuvre parce qu’il fétichise les personnes noires. Même avec des messages positifs, on est constamment dans le doute. Ça fait mal.

Les rencontres, de nos jours, se font beaucoup sur les applications. De vivre cette discrimination, ça ne nous donne pas envie d’aller là-dessus. Mais on y retourne toujours, parce que c’est là qu’on peut avoir des connexions sociales. Et ce n’est pas comme dans le monde hétérosexuel où on peut juste croiser une personne dans la vraie vie et assumer qu’elle est intéressée par les personnes de notre genre.

Le racisme et la discrimination en contexte de rencontre, j’ai quand même vécu ça dans la vraie vie, surtout dans les bars. Avant, j’avais des dreadlocks, et des personnes venaient toucher mes cheveux sans mon consentement. Je me sentais comme un objet. Il y a aussi des personnes qui ont touché mes organes génitaux en disant des choses comme: «Vous autres les Noirs, vous en avez des gros, hein!» Des propos vraiment déplacés.

Les gens pensent que c’est permis parce qu’on est dans une culture gaie et que le contexte est différent. Mais en réalité, le consentement existe quand même.

«Nos préférences ne viennent pas de nulle part. Elles viennent de notre environnement, et notre environnement est raciste.»
Courtoisie/Vincent Mousseau
«Nos préférences ne viennent pas de nulle part. Elles viennent de notre environnement, et notre environnement est raciste.»

J’anime des ateliers et des conférences et j’aime demander aux gens: «Si je dis “homme gai”, quelle image vous vient en tête?» Dans la vaste majorité des cas, y compris auprès des personnes racisées, c’est souvent, voire tout le temps, une personne blanche qui arrive en tête. Un homme gai, c’est un homme blanc, musclé, qui a une certaine manière de parler et de se comporter.

Ça n’a pas de sens comme logique. Il y a des personnes de la communauté LGBTQ2+ de toutes les origines. Une communauté qui aime se vanter de sa diversité, mais en même temps, qui nie la diversité qui existe au sein même de son propre groupe. C’est quand même intense de voir ça. Nos préférences ne viennent pas de nulle part. Elles viennent de notre environnement, et notre environnement est raciste.

Souvent, quand on parle de ces enjeux-là, les gens ont tendance à le prendre personnel. Ce n’est pas l’acte individuel qui me dérange. Lorsqu’on n’est pas habitué de s’entretenir avec des personnes qui ont des expériences différentes des nôtres, ça se peut, de faire des erreurs, et c’est correct.

Ce qui est important, c’est d’écouter et d’essayer de comprendre comment les choses se passent de notre point de vue.

La section Perspectives propose des textes personnels qui reflètent l’opinion de leurs auteurs et pas nécessairement celle du HuffPost Québec.

Propos recueillis par Florence Breton.

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