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Dans ma tribu, on est actifs dans les services essentiels depuis le début, je veux vous dire qu’on s’adapte.
Thomas Tolstrup via Getty Images

«Miss Rebelle: mon journal en temps de pandémie»: l’éducatrice et auteure Anick Claveau nous propose chaque semaine ses réflexions en cette période tout sauf normale...

Ça fait une cinquantaine de jours qu’on vit le confinement. Plusieurs devront bientôt affronter la réalité, on ne peut pas rester indéfiniment confinés, parce qu’on vit en société pis qui dit société, dit interactions. La réalité, c’est d’aller travailler, de côtoyer ta famille, tes amis, d’aller à l’épicerie, de dire bonjour à un étranger, de tenir la porte, de céder ta place...

Si tu dois retourner au boulot, je vais te confirmer que la réalité a beaucoup changé.

Tu vas te méfier de tout, être dans l’hypervigilance. Tu vas craindre l’ascenseur, craindre de croiser un collègue dans l’escalier, garder tes crayons à proximité, mettre à distance ton associé, reculer ta chaise dans un coin pendant les réunions, toucher à rien à moins d’être obligé.

J’ai pas vécu le confinement, mais j’ai vécu tous les changements. J’ai pas cessé de travailler, mais j’ai modifié mes pratiques. J’ai pas cessé de circuler, mais j’ai du Purell dans mon char, dans mes poches de manteau, dans le second tiroir de mon bureau. J’ai pas cessé d’être qui je suis, j’ai appris à l’être différemment, avec un masque pis des gants.

Chez nous, on a vécu tout ça dans une famille de six. Moi, dans les centres jeunesses à côtoyer des collègues qui ont testé positif ou qui, peut-être, sont asymptomatiques, et des jeunes en retour de fugues dans des milieux pas tant recommandés. Mon chum est aux soins intensifs à soigner tout un département contaminé, mon 21 ans vous livre votre diner sur votre balcon, sa blonde de 18 ans prépare votre bouffe en compagnie de plein d’autres employés, les deux autres s’assurent de faire les achats pour les grands-parents, et s’occupent de préparer le souper.

Dans ma tribu, on est actifs dans les services essentiels depuis le début, je veux vous dire qu’on s’adapte.

“Ce que je veux te dire, c’est que toi aussi, tu vas t’adapter, parce que t’auras pas le choix. Même si t’es pas prêt, ça va arriver un moment donné, tu peux pas passer ta vie sur ton sofa en pyjama.”

Circuler autant m’a permis de gérer tout ce qui se passait en dedans, ça m’a permis de ventiler, de me confronter, de me faire à l’idée. J’ai appris à m’exposer dans tout ce que la majorité des gens ont fui, j’ai appris à vivre avec le danger au lieu de rester à l’abri sous mon lit en bloquant le dessous de la porte avec un oreiller pour ne pas laisser passer l’ennemi. Chez nous, la porte est restée ouverte parce qu’on n’avait pas le choix. Aujourd’hui, j’ai juste à me faire à l’idée d’avoir à l’ouvrir plus grand.

Je suis prête pour un début de déconfinement parce que j’ai pas l’impression d’avoir été confinée. J’ai appris à vivre avec les restrictions, appris à respirer dans un masque, appris à sourire avec les yeux, je sais maintenant que je suis capable de me protéger. Si y’a trop de gens, je quitte. Si t’es trop près, je te le dis. Si j’ai besoin de rien, je reste chez nous, pis quand je dois sortir, je fais des listes pour acheter tout d’un seul coup.

Éventuellement, ce sera ton tour. Ton tour de reprendre le chemin du travail, ton tour de laisser ton kid à l’école ou à la garderie, ton tour de côtoyer tes collègues dans la salle à café, ton tour de fréquenter les commerces, de frôler quelqu’un dans l’entrée, de saluer un étranger. Ce sera à toi d’apprendre à te gérer. Ce que je veux te dire, c’est que toi aussi, tu vas t’adapter, parce que t’auras pas le choix. Même si t’es pas prêt, ça va arriver un moment donné, tu peux pas passer ta vie sur ton sofa en pyjama.

“J’en retiens qu’on se trouve d’autres points de repère quand tout s’écroule, pis qu’on peut avancer même si le vent est pas de notre bord.”

Il y a six semaines, je voulais personne chez nous à part les deux miens. Je voulais pratiquer l’abstinence, vivre dans un trou en ermite, je voulais lâcher ma job pis vendre des petits plats de plastique pis des boules de bains à distance. Ben six semaines plus tard, je regarde tout ça avec le recul, pis j’en retiens l’adaptation, la résilience. J’en retiens qu’on se trouve d’autres points de repère quand tout s’écroule, pis qu’on peut avancer même si le vent est pas de notre bord. Au début, tu vas stresser, mais tu vas apprendre à gérer, à te gérer dans tout ce que cette pandémie peut soulever autant dans ta tête que dans ton corps.

Tu sais quoi? Toi aussi, tu vas y arriver, même si t’as peur, même si tu sais que c’est dangereux, même si tu crains la mort.

Toi, t’arrives là où j’étais moi en mars dernier pis tu bloques le bas de ta porte avec tes oreillers, mais tu vas voir, bientôt tu vas laisser la porte entrouverte, pis laisser passer tout ce que t’étais avant, avec quelques changements. Tu vas retrouver des masques dans tes poches, du désinfectant dans ta sacoche, ton espace de travail aura jamais été aussi propre. Avant même ton premier café du matin, tu vas tout désinfecter ton bureau en te rappelant que la recette c’est une portion d’eau de javel pour neuf portions d’eau.

Tu retourneras éventuellement au bureau, tu ouvres enfin ton magasin, tu retournes travailler à la boutique. Tu vas y arriver. T’en as peut-être pas envie, mais c’est ça la vie. Personne n’a jamais vaincu un ennemi en restant caché. Un moment donné faut l’affronter, sinon on reste tout petit.

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