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Quand le Québec influence une utopie libertarienne aux États-Unis

Divers mouvements indépendantistes dans le monde inspirent un homme qui veut rassembler 20 000 libertariens au New Hampshire.
Si le FSP a choisi le New Hampshire pour y établir sa «société libre», c’est qu’il s’agit d’un État proche des valeurs libertariennes.
Facebook/FreeStateProject.org
Si le FSP a choisi le New Hampshire pour y établir sa «société libre», c’est qu’il s’agit d’un État proche des valeurs libertariennes.

Rendre les armes à feu plus accessibles, légaliser toutes les drogues, abolir les taxes: voilà quelques idées défendues par le Free State Project, une organisation libertarienne américaine. Formée en 2001, elle veut une immigration libertarienne «de masse» au New Hampshire afin d’y créer une «société distincte» et libre de l’ingérence de l’État. Une initiative curieusement inspirée, entre autres, par le mouvement souverainiste québécois.

Jason Sorens ne correspond en rien à l’image caricaturale que l’on se fait du libertarien «redneck». Détenteur d’un doctorat en science politique de l’Université Yale, l’homme de 42 ans, qui cite avec aisance Alexis de Tocqueville, a un look plutôt nerd avec sa coupe champignon et son veston.

C’est lui qui a eu l’idée de fonder, en 2001, le Free State Project (FSP) en voyant le Parti démocrate et le Parti républicain s’éloigner des idées de liberté qui lui sont chères. Son objectif: inciter 20 000 libertariens à s’installer au New Hampshire; près de 4 400 d’entre eux ont déjà répondu à son appel.

«L’idée c’est d’attirer des libertariens talentueux et actifs pour créer, à long terme, une société plus libre», m’explique Jason Sorens alors que nous sommes attablés autour d’une bière dans un bar de Manchester, la ville la plus peuplée du New Hampshire.

“L’exemple du Québec a été une influence majeure dans l’idée originale du Free State Project, car il y a un mouvement souverainiste qui vient de la base et qui demande plus d’autonomie.”

- Jason Sorens, fondateur du Free State Project

Celui qui a étudié plusieurs mouvements indépendantistes dans le monde connaît bien la situation du Québec. Jason Sorens croit que les habitants du New Hampshire constituent, à l’instar du Québec dans le Canada, une société distincte au sein des États-Unis. «Cette identité s’exprime notamment par la devise de l’État: Vivre libre ou mourir [Live free or die]», ajoute-t-il.

Si Jason Sorens et le FSP disent s’inspirer du mouvement nationaliste québécois, ils sont loin de défendre les mêmes valeurs et les mêmes politiques.

Les libertariens prônent une société où les individus sont libres de faire ce qu’ils souhaitent tant que cela ne porte pas atteinte à la vie des autres. Impossible à situer sur le spectre gauche-droite, ils défendent autant des mesures conservatrices comme la réduction des taxes et des impôts, que des idées progressistes comme le mariage pour les couples de même sexe et la légalisation de toutes les drogues. Pour eux, l’État est l’ennemi à abattre puisqu’il est un frein à la liberté individuelle.

Jason Sorens se dit en désaccord avec les idées nationalistes de la CAQ de François Legault, notamment en matière d’immigration et de laïcité.
Courtoisie Jasons Sorens
Jason Sorens se dit en désaccord avec les idées nationalistes de la CAQ de François Legault, notamment en matière d’immigration et de laïcité.

Ainsi, Jason Sorens se trouvait des accointances avec l’Action démocratique du Québec (ADQ) de Mario Dumont puisque ce parti serait, selon lui, une sorte de parti libertarien modéré en faveur du libre-marché et de la décentralisation.

Il est cependant en désaccord avec les idées nationalistes de la CAQ de François Legault, notamment en matière d’immigration et de laïcité. «Je crois qu’il faut laisser les gens porter les vêtements qu’ils souhaitent et laisser le marché des idées faire son œuvre», me dit-il.

Si le FSP a choisi le New Hampshire pour y établir sa «société libre», c’est qu’il s’agit d’un État proche des valeurs libertariennes: les taxes y sont très basses et il n’est pas obligatoire de boucler sa ceinture de sécurité en voiture!

«Des taxes, des taxes, des taxes!»

La soirée d’accueil des nouveaux membres du Free State Project — les Free Staters — se déroule dans une petite salle communautaire aux murs peints en mauve. Une quarantaine de libertariens sont présents, dont moins d’une dizaine sont nouveaux. Quelques enfants jouent autour tandis que les adultes discutent de cryptomonnaie ou de politique.

Durant la soirée, les nouveaux Free Staters sont invités à se présenter.

Kevin Flynn est l’un d’eux. Originaire du Connecticut, il s’est installé au New Hampshire il y a quelques mois. L’ancien militaire de 31 ans en avait assez de vivre sous l’égide d’un État trop gourmand.

«Au Connecticut, c’était des taxes, des taxes, des taxes!», me lance-t-il.

Comme la plupart des libertariens, Kevin Flynn défend le droit de porter des armes en public. Il montre d’ailleurs avec fierté son pistolet qu’il garde bien serré dans son jean.
Thomas Laberge
Comme la plupart des libertariens, Kevin Flynn défend le droit de porter des armes en public. Il montre d’ailleurs avec fierté son pistolet qu’il garde bien serré dans son jean.

Flynn s’initie à la philosophie libertarienne lorsqu’il est posté en Afghanistan en lisant des livres de Ron Paul — un ancien élu républicain du Texas à la Chambre des représentants et partisan du libertarianisme.

Son cheminement intellectuel l’amènera à être critique de la politique étrangère de son gouvernement. «Je ne veux pas qu’on aille dans les autres pays pour faire des ententes avec des dictateurs ou pour voler leurs ressources naturelles», affirme-t-il.

Sur la question des armes à feu, on est bien loin du Québec. Il n’existe pratiquement aucune restriction en la matière au New Hampshire: pas besoin d’un permis ni d’enregistrer son arme.

Pour la directrice générale du Free State Project, Rachel Goldsmith, une société où les gens sont armés est plus sécuritaire. «Je crois que si vos intentions sont malveillantes, vous allez y penser deux fois avant d’aller dans un endroit où vous savez que les gens sont armés», soutient la femme de 31 ans.

Le New Hampshire semble être un État plutôt sûr par rapport au reste des États-Unis. Selon le National Center for Health Statistics, de 2014 à 2017, cet État de la Nouvelle-Angleterre se situait sous la moyenne américaine pour ce qui est des morts par arme à feu. Pour 100 000 habitants, il y a eu 10,4 morts par arme à feu au New Hampshire, en 2017, alors que la moyenne nationale se situe à 12.

Un groupe qui dérange

Le Free State Project veut changer les lois du New Hampshire en faisant élire des candidats. Il y aurait actuellement entre 15 et 20 élus du FSP dans la législature de l’État. Il est difficile d’avoir un chiffre précis car les élus membres du FSP ne s’affichent pas nécessairement ouvertement.

Une stratégie qui a déjà porté fruit: une loi pour permettre le port de couteaux en public a été adoptée à la législature de l’État, cite en exemple Jason Sorens comme un accomplissement du FSP. «Il y a beaucoup de gens qui vivent en forêt, et d’autres qui travaillent dans la construction. Alors c’est pratique d’avoir un couteau avec soi», soutient Sylvain Yaakov, un Free Stater d’origine française que je rencontre dans un petit café de Manchester. Après avoir vécu dans différents pays, dont l’Ukraine, où il a été témoin des comportements autoritaires de l’État russe, ce propriétaire d’immeubles s’est installé au New Hampshire, pour vivre dans un endroit où l’on ne lui dira pas quoi faire.

Les Free Staters ont aussi contribué à décriminaliser le cannabis, selon le fondateur du FSP.

Mais certaines personnes ne voient pas cela d’un bon œil.

«Ils veulent prendre le contrôle du New Hampshire!», me lance d’emblée Zandra Rice Hawkins lorsque je lui parle du Free State Project.

Cette mère de deux enfants est directrice du Granite State Progress, un think tank de gauche dont les bureaux sont situés dans la ville de Concord, la capitale du New Hampshire.

Zandra Rice Hawkins, du Granite State Progress, dénonce le fait que les Free Staters veulent couper dans l’éducation et dans les services publics.
Thomas Laberge
Zandra Rice Hawkins, du Granite State Progress, dénonce le fait que les Free Staters veulent couper dans l’éducation et dans les services publics.

Le Granite State Progress surveille les candidats libertariens qui se présentent aux élections. «On informe les gens pour qu’ils sachent s’il y a des membres du FSP sur leur bulletin de vote», m’explique-t-elle.

Elle est préoccupée par les agissements des Free Staters. «Ils veulent couper dans l’éducation et dans les services publics.»

Zandra Rice Hawkins m’apprend également que des membres du FSP veulent la sécession du New Hampshire.

C’est le cas notamment de Steven Elliott. «Je suis pour ça à 100%. Je crois que le gouvernement fédéral a été capturé par des intérêts étrangers anti-américains il y a bien longtemps», me dit l’étudiant en mathématique de 30 ans qui verse régulièrement dans les théories du complot lors de l’entrevue.

«Même si je ne suis pas en faveur de cette option, je crois que c’est bien d’avoir la discussion au sujet de la sécession», affirme pour sa part Jason Sorens. Le fondateur du FSP est d’ailleurs l’auteur d’un livre intitulé Secessionism, dans lequel il soutient que la menace de l’indépendance permet aux minorités d’obtenir plus d’autonomie.

Jason Sorens croit que le mouvement souverainiste québécois a fait du Canada une fédération plus décentralisée et qu’il a permis à la province d’avoir plus d’indépendance. Il souhaite que le New Hampshire s’en inspire. Bien entendu, il souhaite que cette autonomie serve à en faire un État plus permissif pour les individus.

«L’existence d’une forte identité culturelle au Québec a changé la manière dont le Canada fonctionne. Le gouvernement fédéral a donné des pouvoirs au Québec en ce qui concerne l’immigration», soutient-il.

Selon lui, les États-Unis deviendraient une fédération de plus en plus centralisée alors que le Canada se dirigerait vers la décentralisation. Il cite en exemple le fait que ce sont les provinces qui gèrent leur système de santé.

«Le Canada est plus ouvert aux immigrants et plus progressif socialement. Vous avez légalisé la marijuana. Donc, le Canada est plus libertarien que les États-Unis sur certains aspects», affirme-t-il. Jason Sorens nuance toutefois en affirmant que le Canada dépense plus que le gouvernement américain.

Un Bloc libertarien?

Les Free Staters ont peu d’espoir de faire changer les orientations du gouvernement fédéral à court terme, et la plupart d’entre eux ne tiennent pas Donald Trump en très haute estime.

«Je crois que c’est un idiot et un psychopathe, mais je ne suis pas surprise qu’il soit devenu président des États-Unis. Je crois que tous les présidents avant lui étaient aussi des psychopathes», me lance Rachel Goldsmith.

Jason Sorens est, quant à lui, plus nuancé, lorsque je lui parle notamment des baisses d’impôts mises de l’avant par le président américain. «Certains libertariens croient que Trump est le meilleur choix aux présidentielles. Il a des politiques qui sont libertariennes, mais d’autres qui sont très nationalistes et qui me posent problème.»

“Éventuellement, le FSP pourrait défendre les intérêts du New Hampshire au congrès. Avoir un impact comme le Bloc québécois à long terme serait quelque chose de souhaitable.”

- Jason Sorens

Il existe un Parti libertarien aux États-Unis, mais son influence reste très marginale. Lors de la dernière élection de 2016, son candidat pour la présidentielle, Gary Johnson, avait récolté 3 % des votes. La meilleure stratégie reste donc de s’installer au New Hampshire pour influencer la politique au niveau de l’État, selon les Free Staters.

Jason Sorens n’exclut pas la possibilité que le groupe tente un jour de faire élire des candidats au palier fédéral. Une stratégie, encore une fois, influencée par les souverainistes québécois.

Mais pour l’heure, le FSP veut se concentrer à rendre le New Hampshire plus libre, et pour ce faire il doit encore attirer plus de 15 000 libertariens. Un objectif que Jason Sorens juge réaliste. «Je ne sais pas combien de temps ça va prendre, mais je crois qu’on va y arriver. Plus le New Hampshire va devenir libertariens et plus on va attirer de gens qui adhèrent à cette philosophie», assure-t-il avec confiance.

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