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Furtif signal dans l'intersidéral: propos sur le suicide

Parfois, il n'y a rien à comprendre. Alors, le terrible frôle l'atroce, car comprendre rassure... C'est ce que je me disais en écoutant Alexandre Taillefer àparler du suicide imprévu et imprévisible de son fils bien-aimé.
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Comme d'autres, comme vous peut-être, j'ai été personnellement et professionnellement confrontée au suicide. Particulièrement durant les années où j'ai travaillé auprès d'adolescents que l'on disait «multipuckés». Certains me parlaient de leurs idées noires. D'autres pas.

Je me souviens de Blanche (prénom fictif), qui me répétait sans cesse: «Au moins, j'aurai fini d'avoir mal. Je serai en paix quand je serai morte. Je suis plus capable. Tu comprends ça?»

Un jour, un peu exaspérée, je lui répondis: «Je comprends très bien. Mais dis-moi, d'où tu tiens cette certitude que c'est la paix et le bonheur total de l'autre bord? Hein? Qu'est-ce que tu en sais? Quelqu'un est déjà revenu pour t'en parler?»

Cela avait marché avec elle. Elle avait presque souri, interloquée. Puis avait fini par croire que sans garantie de paix de l'autre bord, il valait peut-être mieux continuer ici. Je n'aurais pas forcément eu cette réplique avec un autre. Par instinct ou par expérience professionnelle, j'avais pressenti que ça pouvait déclencher quelque chose en elle, que ça pouvait fonctionner avec elle.

Un autre adolescent. Un premier amour d'adolescence de ma fille, écorché vif. Son inaptitude au bonheur était telle que la simple mention de son prénom évoquait chez ceux qui le connaissaient, des images de souffrance et douleur. Il «essayait» de trouver de la joie à vivre disait-il, mais n'y arrivait pas. Il est passé à l'acte, après avoir «essayé» durant quelques années, envers et contre toute l'amitié du monde. Nul n'a su le convaincre que la joie se fait parfois attendre plus longtemps que voulu.

C'est terrible. Mais ceux qui quittent ce monde après avoir exprimé leur détresse, leur mal-être et impuissance à vivre laissent des survivants qui, sans être moins souffrants, sont moins dans les limbes. Ils sont en possession de quelques fragiles matériaux de compréhension.

J'ai toujours cru qu'une des choses les plus angoissantes, une des pires insécurités, est de ne pas comprendre. Et pire encore si ce que l'on cherche à comprendre est à la source même de notre supplice. Or, parfois, il n'y a rien à comprendre. Alors, le terrible frôle l'atroce, car comprendre rassure. Un peu. Comprendre met un soupçon de baume sur une plaie béante.

C'est ce que je me disais en écoutant Alexandre Taillefer à Tout le monde en parle parler du suicide imprévu et imprévisible de son fils bien-aimé. Pas de signe précurseur, pas de raison apparente, pas d'avertissement, pas de mot d'adieu explicatif, pas de souffrance visible, pas de carences affective, sociale, relationnelle ou économique...

Rien. Rien d'autre qu'un adolescent dans son univers. Rien d'autre qu'un furtif signal envoyé dans l'intersidéral. Rien d'autre qu'un geste, irréversible, qui laisse ceux qui aiment dans un abîme de peine, irréversible elle aussi.

Je regardais ce papa inconsolable et revivais l'histoire tristement semblable de ma cousine. C'était il y a longtemps. Sa fille bien-aimée, au même âge, 14 ans. Un contexte comparable: une maison pétillante de sens de la fête, des parents fous de leurs enfants, une famille qui carbure à la joie, une belle adolescente en allée pour toujours, sans prévenir, plantant là ses père, mère et frère aîné.

Des années à essayer de comprendre, à tenter de s'expliquer l'inexplicable, à vouloir voir ce qu'ils auraient dû voir avant, à questionner et à consulter, à échafauder des hypothèses, à fabriquer des réponses qui, jamais, ne peuvent insuffler de sens à l'insensé.

Parfois, il n'y a rien à comprendre. Parfois, il n'y avait rien à voir, «avant». Nous n'y sommes pour rien. Nous ne sommes coupables de rien. S'il y a un constat à faire, ça n'est pas un constat d'échec. C'est un constat de notre impuissance, de notre finitude, de nos limites, de l'incompréhensible. Un constat d'humanité en quelque sorte.

Accepter de ne pas comprendre ne diminue pas l'insoutenable souffrance du vide et du manque. Peut-être cela déleste-t-il un peu du poids sur nos épaules. Peut-être.

Si vous êtes en difficulté, vous pouvez contacter le Centre de prévention du suicide du Québec au 1 866 277 3553.

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Mai 2017

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