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Projet de loi 59: lettre à la ministre de la Justice

L'intégrisme, le fanatisme et le terrorisme sont des réalités sur lesquelles nous devons pouvoir nous exprimer, sans crainte d'être traîné en justice au nom de la vertueuse lutte contre «l'islamophobie».
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Madame la Ministre,

Le projet de loi que vous portez au nom du gouvernement du Québec mérite quelques clarifications. De prime abord, il paraît très consensuel: qui, au Québec, défendrait «les discours haineux et les discours incitant à la violence»? Personne, bien entendu. Les citoyens pourraient même songer que votre projet de loi enfonce des portes ouvertes. Mais le contexte politique nous incite à y regarder de plus près. Et d'aller à l'essentiel, c'est-à-dire au fait religieux.

Plusieurs mois après l'exécution à la kalachnikov en plein Paris des dessinateurs et journalistes de Charlie Hebdo par des intégristes religieux que d'éminents intellectuels considèrent comme des victimes, une partie de l'intelligentsia, des élites politiques et du monde médiatique a choisi de mettre l'accent sur ce qu'elle considère être la maladie de notre époque, notre pêché collectif: l'islamophobie. Au Québec comme en France, la question est posée: si le racisme est une abjection unanimement condamnée, la critique des religions et des textes religieux dits «sacrés» est-elle encore légitime dans une démocratie laïque et pluraliste ?

C'est au nom du caractère «blasphématoire» des caricatures de Mahomet que ces attentats ont été perpétrés sur le sol français. C'est au nom d'une conception particulièrement tordue de «l'honneur» que les sœurs Shafia ont été assassinées, ici, au Canada. Le fondamentalisme musulman progresse partout sur le globe. Pourtant, d'éminentes personnalités nous expliquent que le problème n'est pas l'intégrisme mais sa stigmatisation, à l'instar du premier ministre Philippe Couillard. Celles et ceux, féministes, militants de la laïcité, universitaires, qui formulent des critiques raisonnées, argumentées et sans concession des interprétations ou expressions les plus archaïques de l'islam sont accusés au mieux d'ethnocentrisme, au pire d'être de dangereux xénophobes.

C'est inacceptable.

Il y a erreur de diagnostic, Madame la ministre. «Les musulmans» ne sont pas un tout homogène et ne constituent, en aucune manière, une communauté. «Les musulmans» est une formule insane et démagogique utilisée par ceux-là mêmes qui assignent les Québécois d'origine maghrébine ou africaine à une appartenance religieuse. En les enfermant dans une islamité supposée, nous compliquons la tâche de celles et ceux qui tentent péniblement de s'arracher aux pressions religieuses de leur environnement social ou familial. Cet arrachement passe nécessairement par la parole, en nommant des réalités qui dérangent. Or, votre projet de loi est une incitation de plus au silence.

Je voudrais vous faire part de ces mots prononcés par la philosophe Élisabeth Badinter au lendemain des attentats de Paris: «Nous avons accepté bien facilement l'autocensure, le religieusement correct car la polémique vire toujours, à présent, à la condamnation morale. Le credo a remplacé le cogito. 'Je pense donc je suis' est devenu secondaire par rapport à 'Je crois donc j'existe'. On laisse l'immense monde des croyances s'imposer à la raison [...] J'ai lu tous les matins la correspondance de Voltaire durant le procès des caricatures de Mahomet. Je me retrouvais devant la présidente du tribunal pour défendre le droit au 'sacrilège', comme si l'on était deux cent cinquante ans en arrière. Je pensais, pourtant, ces combats-là gagnés depuis longtemps».

La critique des idéologies, qu'elles soient politiques ou religieuses, fait partie intégrante du débat d'idées. C'est pourquoi votre projet de loi, s'il n'était pas clarifié sur ce point, porterait gravement atteinte au pluralisme démocratique. Ce texte servirait demain d'arme à tous les adeptes de la victimisation, qui clament en chœur «Respectez la religion !». Madame la ministre, c'est une chose de garantir le libre exercice des cultes, c'en est une autre d'empêcher toute critique à l'égard du religieux.

Sachons distinguer les individus et leurs idées. S'il faut respecter les croyants, au nom de quoi faudrait-il respecter les croyances? La réalité planétaire de l'islam aujourd'hui, dans les pays du Moyen et du Proche-Orient, du Maghreb, d'Afrique, d'Asie, du golfe Persique, d'Europe ou d'Amérique du Nord est extrêmement préoccupante. L'obscurantisme, l'intégrisme, le fanatisme et le terrorisme sont des réalités sur lesquelles nous devons pouvoir nous exprimer, sans crainte d'être traîné en justice au nom de la vertueuse lutte contre «l'islamophobie».

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Avril 2018

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