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Nous sommes tous des Prix Nobel

Si on prenait conscience que tous ensemble nous sommes aussi puissants que les États-Unis, que, demain, face à un bloc constitué de l'Amérique du Nord et du Centre, un autre de l'Amérique Latine autour du Brésil, un bloc indien, un autre chinois, sans parler du Japon, de la Corée, ou de l'Indonésie, il faut qu'une Europe de cinq cents millions d'habitants, superbe puissance industrielle, monument culturel refusant son déclin, s'unisse pour le meilleur pour peser sur la marche du monde ?
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AFP

C'est avec stupeur que nous avons appris vendredi que nous avions reçu le Prix Nobel de la Paix. Nous, c'est-à dire vous, moi et 500 millions d'autres habitants de l'Union Européenne, distinguée par le jury norvégien pour le prix le plus emblématique qui soit, autrefois décerné à de Clerck et Mandela, ou à Rabin et Arafat. A des hommes et aussi à des institutions comme l'ONU, qui avaient changé le cours de l'histoire en apaisant les conflits.

Stupeur, car on nous crie à longueur de colonnes et d'interventions publiques que l'Europe est en crise, comme jamais depuis sa création.

Etonnés, nous nous sommes réveillés et regardés tels que nous sommes : fragiles, pâles reflets de nos gloires passées, au budget exsangue, incapables d'apporter prospérité et bonheur aux peuples européens en souffrance... Les Grecs ont dû se dire que les Dieux n'avaient pas compris leur désarroi.

Notre monnaie est tous les jours un objet de spéculation. Quotidiennement, le spectre de la faillite de l'Union hante les peuples en difficulté.L'idéal démocratique et humaniste dont nous sommes porteurs se heurte chaque jour aux nationalismes qui montent, en Hongrie ou en Serbie. Nos traités pour aménager des institutions ingérables au-delà de vingt membres, ne sont même plus ratifiés.

Nos dirigeants ne sont pas élus démocratiquement.

Nous n'avons pas d'Europe politique à la voix forte et ce n'est pas faire injure à MM. Barroso, Président de la Commission, ou Van Rompuy, Président du Conseil ou à Mme Ashton responsable de la politique extérieure et de sécurité de l'Europe, de reconnaître qu'ils n'ont pas marqué de leur empreinte une Europe qui pèserait dans le concert des Nations. On serait mal venus de le leur reprocher d'ailleurs, car chacun sait que la France comme l'Allemagne, Sarkozy comme Merkel les ont choisis pour que leurs rôles et leurs personnages ne les éclipse pas!

Nous sommes frileux devant le grand large : les rivages Nord de l'Afrique inquiètent, et la Turquie sent bien qu'on la rejette alors qu'elle ne demanderait qu'un encouragement à progresser vers les critères de l'Union (ces mêmes critères sont-ils si décemment appliqués dans la Hongrie de Victor Orban ?) et qu'un terme, fût-il lointain, lui soit donné comme espérance d'intégration un jour, peut-être, si... à condition que...

Enfin, pour ce tout nouveau Prix Nobel de la Paix, que de participations dans des conflits internationaux en cours, dans le cadre d'opérations spéciales de l'ONU ou de l'OTAN - Libye, Afghanistan, Irak - et que d'impuissances face hier au Rwanda, aujourd'hui en RDC !

Bref, mille raisons d'être stupéfaits de nous voir érigés en symbole avec, comme l'a si bien écrit Vincent Giret dans Libération, une forme d' "ironie du contretemps".

Bien sûr, les esprits caustiques y ont vu une sorte d'extrême-onction donnée à un mourant, à tout le moins le remords de n'avoir pas honoré comme il se devait Jean Monnet, Robert Schuman, de Gaulle, Adenauer ou Jacques Delors.

Et si nous ignorions les sceptiques, ceux qui ne croient plus en rien ni en personne, ceux qui n'aiment pas l'Europe qui dissout les frontières mais mélange les peuples, qui amène les Roms dont certains ne veulent pas, mais envoient des étudiants via Erasmus dans tout le continent ? Si on célébrait "L'Auberge espagnole" de Cédric Klapisch, ou "l'Hymne à la Joie" de Beethoven?

Si on prenait conscience que tous ensemble nous sommes aussi puissants que les Etats-Unis, que, demain, face à un bloc constitué de l'Amérique du Nord et du Centre, un autre de l'Amérique Latine autour du Brésil, un bloc indien, un autre chinois, sans parler du Japon, de la Corée, ou de l'Indonésie, il faut qu'une Europe de cinq cents millions d'habitants, superbe puissance industrielle, monument culturel refusant son déclin, s'unisse pour le meilleur pour peser sur la marche du monde ?

Angélique ? Peut-être. Mais de Hugo à Monnet tout le monde en a rêvé. Prenons conscience fièrement que c'est la première fois dans l'histoire du monde qu'un ensemble se construit sans annexion, conquête ou guerre, et qu'il se créa précisément après deux cataclysmes, et pour les éviter à tout jamais. Et c'est cela sans doute que les Nobel ont couronné tardivement : non pas en déversant des gerbes de fleurs sur un tombeau, mais comme un encouragement à poursuivre de manière irréversible une quête unique, celle de peuples voulant pacifiquement se donner un avenir commun plutôt que se dissoudre dans un réseau de nations, ne conservant entre elles que de vagues liens douaniers et économiques.

Et puis je n'oublierai jamais Helmut Kohl, dans son bureau de chancelier, les larmes aux yeux, me racontant la mort de son frère dans les lignes allemandes comme un élément fondateur de son total engagement européen, et de sa joie de la réunification de son pays. Et sa phrase claquant comme la plus belle déclaration d'un amour lucide pour l'Europe : "Vous savez, Madame, pourquoi je suis tant attaché à l'Union Européenne ? C'est qu'elle contribue à protéger l'Allemagne de ses démons". Helmut Kohl a lui aussi reçu le prix Nobel cette semaine.

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