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Ce ne sont pas mes 17 ans en prison qui m'ont permis de changer

C’est mon passage à la maison de transition qui aura fait toute la différence pour moi.
Stéphane Lamarche
Courtoisie/Stéphane Lamarche
Stéphane Lamarche

Les propos de ce témoignage ont été recueillis par le HuffPost Québec et retranscrits à la première personne.

Au secondaire, j’étais un geek. J’étais bon à l’école. Je n’avais pas besoin de lire les livres pour comprendre. J’écoutais le professeur et je savais où je m’en allais. J’étais bon aussi dans les sports. Quand t’es un gars de même, on trouve pas que t’es le plus cool en ville. Personne ne m’invitait dans les parties.

Mes problèmes ont commencé quand j’avais autour de 16 ans.

J’ai vécu beaucoup de rejet dans ma vie. Chaque fois que j’allais quelque part, je ne me sentais pas à ma place à cause de la façon dont les gens me regardaient et de leurs murmures quand j’arrivais. Je ne voudrais jamais revivre ça. On a tous besoin de bons contacts humains.

Le rejet m’a amené vers le crime.

Je voulais me faire des amis. Alors je faisais des mauvais coups comme ceux avec qui je me tenais. Je continuais à aller plus loin parce que je voyais que plus j’avais du guts, plus j’attirais certaines personnes. Ma peur se transformait en courage. Je me sentais aimé et apprécié.

J’ai fait bien des choses pour garder mes amis. L’argent que je faisais, je le dépensais avec eux. J’en ai fait profiter beaucoup plus aux autres qu’à moi. Tout ça pour garder mes amis, pour avoir l’air cool, pour être capable de me faire inviter dans un party.

Je ne voulais tellement pas les décevoir que je faisais tout ce qu’ils me demandaient. Je n’avais pas de limite. Je n’étais pas capable de dire non.

Je me suis retrouvé en prison pour la première fois à 19 ans et ça n’a pas arrêté.

J’ai passé ma vie à faire des allers-retours «en-dedans». En tout, j’ai fait 17 ans de prison en 21 ans.

Mes crimes: possession d’armes illégales, trafic de stupéfiants, vol par introduction, méfaits et vol qualifié.

À travers ces années-là, je me suis évadé une fois et il m’est aussi arrivé d’avoir une chance de faire une sortie à l’extérieur et de ne jamais revenir.

Ce n’est pas la prison qui m’a aidé à changer. C’est l’école du crime. Il y a toujours un criminel pire que toi.

J’ai passé ma vie en prison à entendre les histoires de tout le monde: «Moi j’ai fait ci!», «Moi j’ai fait ça!» «T’aurais dû voir ça!». J’ai tout entendu!

Des fois on me disait: «J’ai un osti de coup à faire, j’aurais besoin d’un gars comme toi dès que je sors, ça te tente-tu?» J’en ai pris des numéros de téléphone! Je n’ai pas honte de le dire. Je continuais à essayer de me trouver des amis et à vouloir être apprécié. Et sur 10 numéros qu’on me donnait, il y en a seulement deux qui étaient des vrais numéros.

Ces amis-là, qui se disaient sincères, je ne les revoyais jamais au final. Ou quand j’entendais parler d’eux, c’était plus ou moins agréable ce qu’ils disaient sur moi.

Je me suis renfermé sur moi-même en prison. Mais quand j’avais la chance de parler à un intervenant, on parlait de mon dossier, mais aussi de tout et de rien. C’était des conversations intelligentes.

Pendant un certain temps, il y avait des belles choses en prison, comme les diététistes qui nous permettaient de bien manger. Dans les prisons fédérales, il y avait plein d’activités. C’était le fun. Il y avait souvent des tournois de balle-molle et des ateliers de poterie, par exemple.

Il y a tellement eu de coupes budgétaires par le gouvernement de Stephen Harper. En coupant dans la relation d’aide et les programmes, comment veux-tu aider quelqu’un?

“Un jour, j’ai décidé que la prison, c’était fini pour moi.”

En prison, on est tassés entre nous autres. Une cellule est conçue pour une personne. Mais j’ai connu ça, être deux dans une cellule. Les prisons sont surpeuplées.

Je changeais toujours d’intervenant. Je tombais tout le temps sur ceux qui commencent dans le métier. J’ai l’impression d’avoir servi comme cobaye. On me disait qu’on voulait m’aider et six mois plus tard, une autre personne reprenait mon dossier. On recommençait du début à chaque fois.

Un jour, j’ai décidé que la prison, c’était fini pour moi.

Cette fois-là, contrairement à avant, j’ai fait le choix d’aller en maison de transition. La plupart des gars qui vont vouloir aller là, c’est parce qu’ils veulent sortir de prison. Ils sont écoeurés.

Je me suis retrouvé à la Maison Saint-Laurent. Là-bas, ça ne parlait pas de crime. J’entendais les intervenantes parler de leurs enfants ou de leurs émissions comme Deux filles le matin. Je m’assoyais et je les écoutais. C’était le fun entendre ça.

“On ne vient pas au monde méchant, on apprend à le devenir.”

Mon intervenante, Valérie, a fait une grande différence.

J’ai senti qu’elle avait confiance en moi. Elle s’est mise au même niveau que moi et je pense que c’est ce qui a ouvert la porte au changement. Si elle ne m’avait pas donné ma chance, je ne serais probablement pas où j’en suis aujourd’hui.

À un moment donné, je me suis demandé si j’étais un bon gars, un gars correct? Ou si j’étais fait pour être méchant? On m’a fait sentir que j’étais une bonne personne et que j’avais des capacités.

On ne vient pas au monde méchant, on apprend à le devenir. On me l’a appris, on me l’a montré.

Ma force et ma volonté de croire que ma place n’était pas en prison ont fait la différence.

À la maison de transition, on m’a donné le coup de pied dans le cul qu’il me manquait. On m’a fait sentir qu’on m’aimait bien. On m’a donné des outils, mais c’était à moi d’agir.

“J'étais comme un numéro en prison. À la maison de transition, on me faisait sentir comme un être humain.”

Plusieurs personnes là-bas se sont impliquées pour m’aider. Depuis que je suis passé par là, je suis capable de mettre mes limites dans la vie, même si ce n’est pas toujours facile.

J’étais comme un numéro en prison. À la maison de transition, on me faisait sentir comme un être humain. C’était comme une grande famille. On vivait tous ensemble, on devait apprendre à s’entendre même si on était tous différents.

Je suis libre depuis le 30 juillet 2012.

À la sortie de la maison de transition, j’étais un peu craintif. Mais même si je suis sorti, je sais que si, aujourd’hui, je les appelle et que j’ai besoin d’aide, ils vont m’aider s’ils en ont la possibilité. J’ai un filet de sécurité. Je peux compter sur eux.

Je suis invalide à cause de mon dos donc je ne peux pas travailler. Je m’occupe de ma mère qui est diabétique et qui a le Parkinson.

Je suis encore tout seul. Je n’ai personne dans ma vie. Je ne suis peut-être pas dans la situation idéale pour avoir quelqu’un dans ma vie.

Quand je pense à tout ce que j’ai fait, c’était juste pour garder mes amis. Mais où ils sont mes amis aujourd’hui? Je n’en ai pas un.

Mais j’ai un toit sur la tête, je suis capable de manger, je paie mes factures, j’ai un peu d’argent dans mes poches. C’est la simplicité même, mais je suis content.

Il n’y a rien qui peut acheter la liberté. La liberté de vivre. De décider demain matin que je m’en vais au dépanneur me payer un café et un muffin. Ou d’embarquer dans mon auto et de partir en nowhere.

Je pourrais faire n’importe quel mauvais coup, rien ne pourrait acheter ça.

La section Perspectives propose des textes personnels qui reflètent l’opinion de leurs auteurs et pas nécessairement celle du HuffPost Québec.

Propos recueillis par Florence Breton.

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