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Pourquoi les variants du coronavirus se multiplient

Le Sars-Cov2 mute, comme tous les virus, très régulièrement. Mais ces mutations sont souvent invisibles. Alors pourquoi les choses semblent avoir changé si vite?
ozgurdonmaz via Getty Images

Le coronavirus est-il doué de raison? Absurde, évidemment, mais on pourrait le penser tant l’évolution de la pandémie de COVID-19 ces dernières semaines semble ubuesque. Alors que l’espoir, avec l’arrivée de vaccins, pointait enfin le bout de son nez à la toute fin d’une année 2020 catastrophique, voilà que le Sars-Cov2 n’arrête plus de muter.

Le 20 décembre, Londres se reconfinait face à un variant du coronavirus possiblement plus contagieux. Le 25, celui-ci était détecté en France. Six jours plus tard, c’est un autre variant détecté en Afrique du Sud, qui pourrait lui aussi être plus transmissible, qui est détecté dans l’Hexagone. 13 jours plus tard, c’est au Japon que des cas d’un troisième variant à haut risque, venus du Brésil, ont été détectés.

Comment trois nouvelles souches du coronavirus, qui inquiètent toutes les scientifiques, peuvent-elles apparaître si vite, alors que le coronavirus parcourt le monde depuis près d’un an? «Ces trois variants ne sont pas vraiment apparus en même temps, ils reçoivent juste beaucoup d’attention médiatique dernièrement», explique au HuffPost Björn Meyer, virologue à l’institut Pasteur. «Le variant 501.V1 a été repéré au Royaume-Uni début septembre. Mi-octobre, un autre, 501.V2, a été séquencé en Afrique du Sud. Enfin, 501.V3, un variant originaire du Brésil, a été découvert plus récemment, en décembre».

Mais cela reste tout de même assez proche. Alors pourquoi? Il n’y a pas encore de certitudes scientifiques, mais des pistes plus ou moins sérieuses sur les origines de ces souches de coronavirus sont explorées par les chercheurs.

Des mutations naturelles...

Il faut d’abord rappeler qu’un virus mute régulièrement, c’est normal et la plupart du temps, cela n’a aucune espèce d’importance. Parfois, quand les mutations s’accumulent, cela peut devenir problématique, surtout si elles donnent des avantages au virus. Via la sélection naturelle, ces mutations s’imposent face aux versions plus classiques du coronavirus, car elles survivent mieux, comme vous pouvez le découvrir dans la vidéo ci-dessous.

C’est ce que redoutent les chercheurs pour les trois variants britannique (V1), sud-africain (V2) et brésilien (V3). Pourtant, les trois sont bien différents les uns des autres. «C’est ce que l’on appelle une évolution divergente, ce qui veut dire que le résultat final est le même, par exemple que le virus soit plus transmissible ou qu’il échappe au système immunitaire, mais la manière d’y arriver est différente», explique Björn Meyer. C’est un peu comme les pigeons et les chauves-souris. Les deux espèces, via l’évolution, ont acquis la capacité de voler, alors qu’elles sont très éloignées.

C’est pareil pour les trois variants. Ils partagent des mutations spécifiques, aux noms bizarres tels N501Y et E484K. Elles font craindre une plus grande contagiosité, voire une moindre immunité. Mais chaque variant a aussi son lot de mutations différentes, mais sans impact sur la biologie du coronavirus.

... mais un rythme trop élevé

Il y a pourtant quelque chose d’étrange chez ces variants. Le rythme des mutations aléatoires du Sars-Cov2 est connu: en moyenne, deux fois par mois. Il est donc facile de suivre l’évolution du virus au jour le jour en séquençant le génome du virus récolté via les fameux tests PCR. Cela permet de créer une sorte d’arbre généalogique (appelé arbre phylogénétique). On y voit certaines mutations pousser comme un bourgeon, puis devenir une petite branche à mesure qu’elle accumule des mutations, voire un grand tronc commun.

Mais pour les trois variants, cela ne s’est pas passé comme ça. On dirait qu’une branche, d’un coup, est devenue un énorme tronc, comme on peut le voir dans le graphique ci-dessous, réalisé par le chercheur Trevor Bedford. Le variant V3 s’éloigne très vite, d’un seul coup, du tronc de l’arbre (la ligne en pointillé).

Normalement, une mutation apparaît chez une personne, puis est transmise à une autre, puis petit à petit une nouvelle mutation apparaît, en plus de la précédente. «Ces trois variants ne correspondent pas au schéma classique qu’il est possible de tracer et de suivre grâce au séquençage», explique Björn Meyer.

Une infection (très) longue durée

Il s’est donc passé quelque chose d’étrange. Et ce trois fois, indépendamment. Mais quoi? On entre ici dans le spéculatif, mais c’est clairement la piste privilégiée par de nombreux virologues et épidémiologistes, tels Trevor Bedford, Björn Meyer ou encore François Balloux, directeur de l’UCL Genetics Institute.

Ce grand écart des trois variants «pourrait indiquer que ce processus de mutation a eu lieu dans un seul patient immunodéprimé», hypothétise Björn Meyer. Chez certaines personnes, en raison d’une maladie ou d’un problème génétique, le système immunitaire ne marche pas normalement. D’habitude, le Sars-Cov2 finit par être détruit par nos anticorps en une à deux semaines. Mais chez certains patients, il peut rester plus longtemps, lui laissant le temps de muter plusieurs fois.

Il faut également rappeler que le système immunitaire, dans ce genre de cas, fonctionne en partie. Ce qui pourrait créer justement une pression de sélection, comme dans la théorie de l’évolution de Darwin, mais en accéléré, au sein d’un seul hôte. «Le virus change quelque chose à sa surface pour échapper à la réponse immunitaire ou pour se reproduire plus vite, puis finit par se transmettre, muté, à une autre personne», schématise le chercheur.

Impossible de savoir avec certitude si c’est bien ce qu’il s’est passé pour les trois nouveaux variants. Mais quelques études récentes font état de patients immunodéprimés infectés par le Sars-Cov2 pendant des semaines. Dans une étude publiée en octobre, des chercheurs évoquent le cas d’une personne contaminée pendant au moins 119 jours, accumulant une dizaine de mutations. Aucune ici dans les zones du génome permettant d’améliorer la biologie du virus, heureusement.

Dans une autre étude publiée début décembre, il est fait état d’un patient contaminé pendant 150 jours avant de décéder. Le séquençage a montré que le virus a muté rapidement chez cette personne, quand on compare à la population générale dans le même temps. Surtout, rappelle Trevor Bedford, certaines des mutations sont les mêmes que celles présentes dans les variants actuels (E484K, N501Y notamment).

Les visons bouc-émissaires?

Une autre piste pourrait ne pas être humaine. Après tout, même si les origines premières du Sars-Cov2 sont encore mystérieuses, on sait qu’un de ses ancêtres a évolué chez des sauves-souris. Il est donc passé de l’animal à l’homme, peut-être même via un «réservoir», un autre mammifère dans lequel un coronavirus a évolué pour finalement devenir celui que nous connaissons.

En novembre, le gouvernement danois a ordonné l’abattage de millions de visons d’élevage chez lesquels un autre variant du coronavirus se propageait. Ce qui a dû se passer, c’est que le Sars-Cov2 a réussi à passer de l’homme au vison, puis a muté en se répandant dans des élevages surpeuplés. Le risque, ce serait donc que de nombreuses mutations aient lieu jusqu’à ce qu’il revienne à l’homme.

Un risque à relativiser. Une fois passée chez l’animal, la sélection naturelle va sélectionner les mutations du coronavirus les plus adaptées à son nouvel hôte, le vison. Et elles sont souvent bien différentes de celles facilitant la transmission chez l’homme, car nous sommes tout simplement deux espèces distinctes. «En général, le virus sera alors moins adapté à l’humain, mais il y a quelques mutations qui sont avantageuses chez l’homme comme chez les visons. N501Y est l’une d’elles», précise Björn Meyer.

Cette mutation est également présente dans les trois variants bien connus. Pour autant, si les souches provenant des visons ont été identifiées chez l’homme, notamment au Danemark, «elles ne semblent pas plus infectieuses pour le moment», relativise le chercheur. De plus, pour que la zoonose soit en cause, il faudrait qu’un animal hôte soit présent dans les trois pays des variants, ce qui rend cette hypothèse «moins probable».

Nous n’arriverons probablement jamais à connaître avec certitude l’origine des trois variants V1, V2 et V3. Mais ces pistes doivent être explorées et plus de génomes séquencés afin de mieux débusquer à l’avenir de nouveaux variants plus contagieux voire, ce qui est loin d’être prouvé pour l’instant, pouvant rendre les vaccins contre le Covid-19 moins efficaces.

Ce texte a été publié originalement sur le HuffPost France.

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