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Pourquoi les solutions contre la COVID-19 et le réchauffement climatique sont liées

Si nous protégeons l’environnement, nous serons en meilleure santé, et pourrons résister à, voire éviter, la prochaine pandémie comme celle de la COVID-19.
La lutte contre une épidémie et contre le dérèglement climatique ne sont pas deux causes antinomiques, avance Aaron Bernstein, pédiatre à l’hôpital pour enfants de Boston et directeur du Centre pour le climat, la santé et l’environnement à la T.H. Chan School of Public Health de Harvard.
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La lutte contre une épidémie et contre le dérèglement climatique ne sont pas deux causes antinomiques, avance Aaron Bernstein, pédiatre à l’hôpital pour enfants de Boston et directeur du Centre pour le climat, la santé et l’environnement à la T.H. Chan School of Public Health de Harvard.

La propagation mondiale du coronavirus est étroitement liée à la crise climatique. Ce problème est exacerbé (et très probablement causé) par la dégradation de l’environnement dont nous sommes responsables. La façon dont nous y faisons face pourrait influer sur la santé de la planète, et de tous ses habitants, pendant des générations.

Le ralentissement économique a temporairement fait diminuer la pollution de l’air et favorisé le retour de la faune sauvage dans certaines villes gravement touchées par le virus. Toutefois, il semble que la pandémie détourne l’attention de la lutte contre le dérèglement climatique, ou l’entrave. Aux États-Unis, l’administration Trump a saisi ce prétexte pour revoir à la hausse les normes d’émission des véhicules. Des sommets internationaux pour le climat ont été annulés. Les consommateurs recommencent à utiliser des sacs plastiques à usage unique par peur d’être contaminés, remettant en cause des années de progrès.

Pourtant, la lutte contre une épidémie et contre le dérèglement climatique ne sont pas deux causes antinomiques, avance Aaron Bernstein, pédiatre à l’hôpital pour enfants de Boston et directeur du Centre pour le climat, la santé et l’environnement à la T.H. Chan School of Public Health de Harvard.

Le HuffPost a demandé au Dr Berstein, qui est spécialiste des impacts du dérèglement climatique sur la santé, de quelle façon les actions destinées à ralentir ce dérèglement pourraient nous aider à être en meilleure santé, afin de résister à la prochaine pandémie, voire de l’empêcher d’émerger.

Beyrouth, la capitale du Liban, offre une ligne d’horizon dégagée le 21 mars 2020, tandis que la majorité des habitants sont confinés chez eux afin de contrôler la propagation du nouveau coronavirus. L’air de Beyrouth est notoirement très pollué.
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Beyrouth, la capitale du Liban, offre une ligne d’horizon dégagée le 21 mars 2020, tandis que la majorité des habitants sont confinés chez eux afin de contrôler la propagation du nouveau coronavirus. L’air de Beyrouth est notoirement très pollué.

HuffPost : Quel est le rapport entre la pandémie de coronavirus et le dérèglement climatique?

Aaron Bernstein : Les liens entre la COVID-19 et le dérèglement climatique sont réels. Par exemple, on est en train de démontrer que la pollution de l’air augmente le risque de mourir de la COVID. C’est ce que l’on constate aux États-Unis, et je trouve ça effarant. Une augmentation d’un microgramme du volume de particules par mètre cube d’air augmente le risque de décès de 15%. C’est un très petit changement dans la qualité de l’air, mais il entraîne une augmentation conséquente de la mortalité.

Nous savons que la pollution atmosphérique aux États-Unis est due à l’utilisation d’énergies fossiles, la consommation d’essence pour les voitures, et de charbon dans les centrales électriques, en grande majorité. Cette pollution tue les malades du COVID.

Les actions favorables au climat permettent donc de lutter contre la pandémie.

Autre lien: la déforestation. Quelque 20% des émissions de CO semblent liées à la déforestation, qui est aussi un facteur majeur dans l’émergence de maladies infectieuses. Nous ne comprenons pas vraiment comment la COVID est apparue, mais nous avons toutes les raisons de croire qu’elle a été transmise à l’homme par les chauves-souris.

Dans le cas d’une autre épidémie récente et très inquiétante qui occupait tous les esprits il n’y a pas si longtemps – Ebola –, la destruction des forêts en Afrique de l’Ouest semble avoir contribué à la migration vers le nord des chauves-souris. Cette déforestation pourrait avoir occasionné des interactions homme-animal qui ne se seraient jamais produites autrement.

De nombreuses preuves indiquent que la déforestation favorise l’émergence de maladies comme le paludisme en Amazonie. C’est aussi un moteur majeur du dérèglement climatique. Stopper la déforestation serait bon à la fois pour le climat et pour la prévention des maladies infectieuses.

Le Dr Aaron Bernstein
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Le Dr Aaron Bernstein

Émettre moins de CO2

Les gens voient le coronavirus comme une menace existentielle. Le nombre de décès ne cesse d’augmenter, nous sentons le danger se rapprocher, et nous agissons en conséquence. Or, le dérèglement climatique est aussi en train de nous tuer. Refusons-nous de le voir ou tardons-nous seulement à passer à l’action?

Je crois qu’à l’heure actuelle le nerf de la guerre en matière de lutte contre le dérèglement climatique, c’est de faire comprendre aux gens que nos actions en faveur du climat ont aussi un effet bénéfique sur notre santé, y compris sur les problèmes les plus graves auxquels nous sommes confrontés.

Les autorités sanitaires se sont montrées peu efficaces en matière de prévention de l’obésité. Il faut inciter les gens à manger moins de viande rouge, moins de viande transformée et plus d’aliments végétaux non transformés. C’est bon pour le climat, et c’est efficace contre l’obésité.

Il faut aussi les encourager à sortir de leur voiture, dans laquelle ils restent seuls pendant des heures, coincés dans les bouchons, ce qui est très mauvais pour la santé. Il faut privilégier le covoiturage, de préférence les transports en commun et, dans la mesure du possible, le vélo et la marche à pied (sur les itinéraires adaptés). Ce sont des mesures essentielles pour s’attaquer au problème de l’obésité. Bien sûr, plus nous utilisons les transports en commun et les déplacements non motorisés, moins nous émettons de CO2.

Voilà donc, entre autres, les principaux arguments pour s’assurer que chacun contribue à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Plus nous nous concentrerons sur les avantages à court terme pour la santé des actions en faveur du climat, les choses concrètes auxquels les gens peuvent se raccrocher, plus nous sensibiliserons le public aux mesures nécessaires à la lutte contre le dérèglement climatique.

Nos tentatives pour stopper la propagation du coronavirus bénéficient incidemment au climat. Nous consommons moins, produisons moins, prenons moins l’avion et la voiture, et l’air des villes est moins pollué. Comment mettre en pratique ce que nous avons appris en essayant d’aplatir la courbe du coronavirus pour faire de même avec celle du dérèglement climatique ?

Ce que nous observons à l’heure actuelle, c’est que la pollution atmosphérique, par exemple, est liée aux activités humaines. Si nous cessons de polluer autant, nous vivons des vies plus saines. Il est tout à fait possible que l’amélioration de la qualité de l’air qui a résulté du ralentissement de l’économie en Chine sauve au moins autant, si ce n’est davantage, de vies que le coronavirus n’en a emporté. C’est dire à quel point l’impact de la pollution est fort.

“«Il existe des opportunités d’accélérer la transition nécessaire, en dépit du désastre auquel nous faisons face.»”

Un autre point que j’estime crucial, c’est que lors de grands bouleversements comme celui que nous connaissons actuellement, les économies se reconstruisent. Et nous avons l’occasion de mettre en place des solutions qui n’étaient pas envisageables jusqu’ici. Toutes sortes d’entreprises sont fermées. Cela pourrait être l’occasion d’améliorer leur performance énergétique, de les faire passer des énergies fossiles aux énergies renouvelables, et que sais-je encore? Je pense qu’il existe des opportunités d’accélérer la transition nécessaire, en dépit du désastre auquel nous faisons face.

Des progrès à faire en matière d’obésité

Il y a trois ans, le Dr Anthony Fauci (spécialiste américain des maladies infectieuses et conseiller actuel de la Maison-Blanche sur le coronavirus, Ndt) avait prédit que nous serions touchés par une telle épidémie. Si seulement nous l’avions écouté à l’époque! Si nous avions commencé à réduire massivement nos émissions de CO, serions-nous en meilleure posture face à la crise actuelle ?

La pollution de l’air aggrave clairement la maladie. Aux États-Unis, cette pollution empire depuis deux ans, ce qui ne s’était pas produit depuis des décennies. Donc, si nous avions pris des mesures ces trois dernières années pour lutter contre la pollution de l’air, des vies auraient été sauvées.

L’autre facteur à prendre en compte – et je pense qu’on en revient à ce que j’ai dit tout à l’heure à propos des solutions communes au dérèglement climatique et à la pandémie – c’est l’épidémie d’obésité dans ce pays. La COVID-19 est beaucoup plus grave chez les personnes qui ont déjà des problèmes de santé. Ces problèmes sont en grande majorité évitables. Trois ans, c’est court. Mais il va sans dire que nous aurions pu faire plus de progrès en matière d’obésité et d’activité physique, notamment en favorisant le vélo et la marche. Avec de telles mesures, nous aurions pu être en meilleure santé.

Des piétons sur la Corona Plaza, dans le Queens, à New York, le 2 avril 2020. Les données rapportées par les autorités sanitaires de la ville montrent que les résidents des quartiers de Jackson Heights, Elmhurst et Corona – en majorité issus de la classe ouvrière et souvent immigrés – sont plus nombreux à être testés positifs au coronavirus que ceux des quartiers riches, en majorité blancs, de Manhattan et Brooklyn.
ASSOCIATED PRESS
Des piétons sur la Corona Plaza, dans le Queens, à New York, le 2 avril 2020. Les données rapportées par les autorités sanitaires de la ville montrent que les résidents des quartiers de Jackson Heights, Elmhurst et Corona – en majorité issus de la classe ouvrière et souvent immigrés – sont plus nombreux à être testés positifs au coronavirus que ceux des quartiers riches, en majorité blancs, de Manhattan et Brooklyn.

Outre toutes ces inquiétudes au sujet de l’obésité et de la pollution, communes au dérèglement climatique et à la COVID-19, la pauvreté augmente considérablement les risques. Nous avons déjà constaté que les communautés et les États pauvres étaient ravagés, contrairement autres.

Nous aurions pu mettre en œuvre des politiques qui, par exemple, permettraient aux pauvres de bénéficier d’une bonne couverture médicale. Ou aux immigrants clandestins, qui se tuent à la tâche dans des emplois dont personne ne veut et qui paient leurs impôts, d’obtenir la nationalité américaine. En cette période d’épidémie, qui veut livrer des courses ou exercer une activité à risque pour un salaire de misère? Ne vaudrait-il pas mieux pour tout le monde que ces gens soient intégrés dans la société?

Que pouvons-nous faire dès maintenant pour nous préparer à la prochaine pandémie? Car je suppose qu’il y en aura d’autres.

D’après les dernières estimations, les gouvernements ont déjà déboursé 7 billions de dollars pour résoudre cette crise. Une fraction de cette somme – un peu plus de 100 milliards de dollars par an – suffirait à accomplir ce que de nombreux biologistes estiment adéquat pour créer ou préserver des zones sécurisées pour la faune sauvage.

“«Nous devons nous concentrer sur ce que nous pouvons faire pour éviter ces épidémies. Il faut lutter contre le dérèglement climatique, et contre la destruction de la vie sur Terre.»”

Nous devons donc vraiment nous concentrer sur ce que nous pouvons faire pour éviter ces épidémies. Cela signifie en grande partie qu’il nous faut lutter contre le dérèglement climatique, et contre les causes profondes de la réduction de la biodiversité, la destruction de la vie sur terre.

Soyons clairs, ces actions ne coûtent rien en elles-mêmes. Militer en faveur du climat et de l’environnement n’a pas des conséquences négatives sur l’humanité. C’est même tout le contraire.

Cet entretien a été réécrit pour des raisons de longueur et de clarté. Cet article, publié sur le HuffPost américain, a été traduit par Iris Le Guinio pour Fast ForWord.

Ce texte a été publié originalement dans le HuffPost France.

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