POLITIQUE - Code du travail, CSG, éducation nationale... Depuis son élection, Emmanuel Macron a plusieurs fois affiché son ambition "d'aller vite" dans ses réformes. Un rythme effréné qui a surpris jusqu'aux rangs de sa majorité. Il y a pourtant un dossier sur lequel le chef de l'État préfère lever le pied, tant il est sensible et difficile à résoudre: l'organisation de l'islam de France.
Ce dimanche 11 janvier dans le JDD, le président de la République affirme vouloir "poser les jalons" d'une réforme profonde au cours du "premier semestre 2018". Pour le reste, le locataire de l'Elysée fait preuve d'une prudence de Sioux. "Ma méthode pour progresser sur ce sujet, c'est d'avancer touche par touche", a-t-il indiqué, affirmant qu'il en dira davantage "quand le travail sera abouti". Rien avant cet été donc.
Une précaution qui sonne pour ses adversaires politiques comme un aveu de faiblesse. "Emmanuel Macron fait ce qui est devenu pour lui une habitude. Il ouvre des portes, et en réalité il ne les referme jamais", a réagi sur Europe 1 Marine Le Pen, qui pointe le "flou" des pistes évoquées dans le JDD.
Pour autant, Emmanuel Macron a bien des idées en tête. Au dîner du Conseil Français du Culte du Musulman au mois de juin, il a exprimé son souhait de mettre un terme à "l'islam consulaire", c'est à dire l'envoi en France d'imams étrangers. Ce dimanche dans le JDD, son entourage évoque les différentes options qui ont atterri sur son bureau, comme un cadre pour la collecte des dons, une taxe particulière sur le halal pour financer la formation des imams, la possibilité d'un nouveau concordat ou encore la "création de nouvelles instances représentatives".
Des précédents qui incitent à la prudence
Ce ne sont donc pas les idées qui manquent. Mais sur ce sujet précisément, l'expérience des dernières années montre que c'est surtout la méthode qui conditionne le succès ou l'échec d'une nouvelle organisation.
L'organisation d'un "islam de France" est un serpent de mer qui hante les pouvoirs publics depuis les années 1990. Du Corif ("Conseil de réflexion sur l'islam de France") lancé en 1988 par Pierre Joxe au CFCM (Conseil français du culte musulman) créé par Nicolas Sarkozy en 2003, la représentation des français musulmans n'a jamais trouvé de cadre pour s'épanouir pleinement.
Dans un sondage réalisé par l'Ifop en septembre 2016, on apprenait que seulement 68% des musulmans de France connaissaient le CFCM, pourtant censé les représenter. Par ailleurs, seuls 16% se sentaient représentés par Dalil Boubakeur, recteur de la Grande Mosquée de Paris et ex-président du CFCM.
La faute selon certains au fonctionnement complexe et opaque de cette structure, qui a pour effet d'écarter les fidèles de ses recommandations. Autre reproche couramment exprimé, une forme d'immobilisme. "L'échec du CFCM c'est de n'avoir rien fait. On attendait qu'ils se prononcent sur des questions intérieures comme la question de la viande halal, de la burqa ou de la formation des imams, mais ils n'ont rien fait. Il y avait une méfiance à leur égard dès le début, et comme ses membres n'ont pas agi, le CFCM n'a pas gagné de légitimité", expliquait en 2015 à Slate le spécialiste Olivier Roy.
Autre élément montrant les limites de cette structure, moins de 1000 mosquées sont affiliées à cette structure, alors que le territoire compte plus de 2500 lieux de culte.
Quel(s) islam(s) de France?
Outre la spécificité de l'islam qui n'a pas de clergé constitué (et donc d'institutions définies faisant le lien avec les pouvoirs publics), il existe plusieurs sensibilités dans l'exercice du culte. Ce qui peut créer une logique de concurrence dans les structures de représentation.
"Le problème vient essentiellement de la domination de fait du CFCM par les trois fédérations de mosquées des principaux pays d'origine de l'immigration –Algérie, Maroc, Turquie. Le président de la République a souhaité que soit améliorée la représentativité du CFCM", expliquait récemment au Parisien Jean-Pierre Chevènement, nommé par François Hollande à la tête de la Fondation de l'Islam de France.
Emmanuel Macron sait donc qu'il marche sur des œufs en la matière. "Il faut trouver une formule qui tienne compte de la plasticité du sunnisme français, sans que les musulmans soient les otages des rivalités entre leurs pays d'origine", indique au JDD l'islamologue Gilles Keppel, qui conseille le chef de l'État sur le sujet.
À voir également sur Le HuffPost: