POLITIQUE - Le mot va revenir sans cesse dans les discussions qu'Emmanuel Macron engage dès ce lundi 4 février avec les chefs des partis et groupes politiques représentés au Parlement. Dans le cadre du grand débat national, le président de la République va multiplier les consultations pour réfléchir à la manière de prendre en compte les résultats. L'idée de soumettre certaines conclusions à référendum (et pourquoi pas le jour des européennes) fait son chemin et devrait donc être au coeur des discussions que le chef de l'État aura avec Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon ou Laurent Wauquiez.
Le président des Républicains a déjà sa petite idée sur la forme que devra prendre cet éventuel référendum. Ou plutôt sur ce qu'il ne doit pas être. "Attention à ce que l'issue de ce grand débat ne soit pas des sujets qui sont très coupés des préoccupations et des priorités des Français", met en garde le leader de la droite, contestant l'idée que seule une réponse institutionnelle devrait être donnée. Le JDD affirmait en effet qu'à l'Élysée, on réfléchit aux questions suivantes: "Doit-on réduire le nombre de parlementaires ?", et "Faut-il limiter le cumul de mandats dans le temps ?".
"Le sujet de fond de notre pays, c'est l'appauvrissement des classes moyennes", a estimé Laurent Wauquiez ce dimanche sur Europe 1, suggérant au Président de faire un référendum sur un plan de baisse de dépenses publiques avec comme contrepartie une baisse des impôts pour les ménages et des charges pour les entreprises. Marine Le Pen a proposé de son côté sur BFMTV une question simple: "faut-il arrêter l'immigration?"
Un référendum sur une loi, pas sur une idée
Organiser un référendum répond cependant à des règles strictes qui sont posées par deux articles de la Constitution. L'article 11 qui donne trois cadres au référendum qu'un président de la République peut proposer (voir plus bas) et l'article 89 relatif aux modifications de la Constitution.
Dans les deux cas, il y a un impératif commun: c'est un projet ou une proposition de loi qui est soumis au vote des Français. "On ne peut pas avoir un référendum sur une idée. C'est une loi qui est soumise au vote après déclaration du gouvernement devant les deux chambres du Parlement", explique au HuffPost le constitutionnaliste Jean-François Derosier.
Un rapide coup d'oeil aux référendums qui ont été organisés depuis l'instauration de la Ve République permet de le confirmer.
- 2005: Approuvez-vous le projet de loi qui autorise la ratification du traité établissant une Constitution pour l'Europe? 2000: Approuvez-vous le projet de loi constitutionnelle fixant la durée du mandat du Président de la République à cinq ans? 1992: Approuvez-vous le projet de loi soumis au peuple français par le Président de la République autorisant la ratification du traité sur l'Union Européenne? (traité de Maastricht) 1988: Approuvez-vous le projet de loi soumis au peuple français par le Président de la République et portant dispositions statutaires et préparatoires à l'autodétermination de la Nouvelle-Calédonie en 1998? 1972: Approuvez-vous, dans les perspectives nouvelles qui s'ouvrent à l'Europe, le projet de loi soumis au peuple français par le président de la République, et autorisant la ratification du traité relatif à l'adhésion de la Grande-Bretagne, du Danemark, de l'Irlande et de la Norvège aux Communautés européennes? 1969: Approuvez-vous le projet de loi soumis au peuple français par le président de la République et relatif à la création de régions et à la rénovation du Sénat? 1962: Approuvez-vous le projet de loi soumis au peuple français par le président de la République et relatif à l'élection du président de la République au suffrage universel? 1962: Approuvez-vous le projet de loi soumis au peuple français par le président de la République et concernant les accords à établir et les mesures à prendre au sujet de l'Algérie sur la base des déclarations gouvernementales du 19 mars 1962? (accords d'Evian) 1961: Approuvez-vous le projet de loi soumis au peuple français par le président de la République et concernant l'autodétermination des populations algériennes et l'organisation des pouvoirs publics en Algérie avant l'autodétermination?
S'agissant par exemple de la proportionnelle, Emmanuel Macron ne pourra pas demander aux Français s'ils sont favorables au principe "d'une dose". On ne peut pas non plus imaginer que les citoyens aient à choisir entre 10%, 20% ou 50%. Il faudra qu'il fixe préalablement ce taux. Idem s'il souhaite réduire le nombre de parlementaires. Il devra donner son chiffre et rien ne l'oblige à tenir compte du débat qui aura suivi la déclaration du premier ministre devant les deux chambres.
Pourquoi l'ISF ne peut pas être rétabli par référendum
Pour ces projets, il n'est a priori pas besoin de changer la Constitution. C'est en revanche le cas pour le non-cumul des mandats dans le temps ce qui complique la donne pour le Président. Ce dernier n'a en effet pas toute latitude pour changer la règle suprême par référendum. L'article 89 impose au préalable un vote de la loi dans les mêmes termes par l'Assemblée nationale et le Sénat. "Pas gagné", a euphémisé dans un tweet le sénateur LR Roger Karoutchi.
Car s'il était tenté de recourir à l'article 11 pour modifier la Constitution (comme le général de Gaulle l'a fait en 1962), Emmanuel Macron serait immédiatement accusé de vouloir faire un coup d'Etat institutionnel.
L'article 11 offre un effet un cadre très strict; il établit que tous les sujets ne peuvent pas faire l'objet d'un référendum. "Seulement trois possibilités sont offertes par l'article 11, rappelle Pierre Esplugas, professeur de droit constitutionnel à l'université Toulouse 1. L'organisation des pouvoirs publics, les réformes économiques, sociales, environnementales et les services publics qui y concourent et la ratification d'un traité international."
Jean-Philippe Derosier exclut pour sa part que l'une des revendications des gilets jaunes soit soumise à référendum. "Le rétablissement de l'ISF est une question fiscale qui n'entre pas dans le cadre des réformes économiques tel que prévu par la Constitution", explique-t-il. Reste à savoir si un contrôle pourrait être effectué a priori par le Conseil constitutionnel. Les Sages étant habilités à vérifier la légalité du décret soumettant un texte au référendum, il pourrait être amené à trancher cette question.
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