Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Pourquoi je refuse d’assister à l’extinction de l’humanité sans rien faire

J’ai remis toute ma vie en question. Je suis cinéaste, et avant, le cinéma était la chose la plus importante pour moi. Maintenant ça ne l’est plus.
Elza Kephart a choisi la voie de la désobéissance civile.
Lisa Barrett
Elza Kephart a choisi la voie de la désobéissance civile.

Je suis une citoyenne qui s’est finalement réveillée à l’urgence climatique. Et je refuse d’assister à l’extinction potentielle de l’humanité sans rien faire (car nous parlons bel et bien de cela, pas seulement des ours polaires).

Je me suis toujours sentie touchée par ce qui se passe sur la planète - par exemple c’est moi qui ai poussée mes parents à recycler dans les années 80- mais c’est quand j’ai entendu parler de la déclaration du Secrétaire général des Nations Unies en octobre 2018, que je me suis dit: «Oh my God! Je ne peux plus faire semblant que c’est le problème de quelqu’un d’autre.»

Il disait: «Le changement climatique est une problématique décisive de notre époque. Nous sommes confrontés à une menace existentielle directe. Si nous ne changeons pas de cap d’ici 2020, nous risquons de manquer le point où nous pouvons éviter les conséquences désastreuses qu’un tel changement aurait tant sur les populations que sur les systèmes naturels qui nous gardent en vie».*

J’ai ensuite participé à la grande manifestation de novembre 2018 organisée par La planète s’invite au parlement; c’est là où j’ai entendu parlé d’Extinction Rebellion, et ça a été le déclic.

“Jusqu’ici, j’avais tendance à penser: ce n’est pas moi qui vais régler ça, mais je sais maintenant que je ne peux plus détourner le regard et faire comme si cela ne me concernait pas.”

Cela fait huit mois maintenant que je m’implique dans Extinction Rebellion. Je me sens bien, même si je regrette parfois de ne pas l’avoir fait avant.

J’ai rencontré des gens vraiment inspirants, fantastiques, et cela m’inspire à continuer ce qui est peut-être le plus gros challenge de ma vie.

J’ai remis toute ma vie en question. Je suis cinéaste, et avant, le cinéma était la chose la plus importante pour moi. Maintenant ça ne l’est plus. Ça a causé un grand chamboulement dans ma vie, je ne sais pas si je veux continuer à faire ce que j’ai voulu faire depuis l’âge de 10 ans.

«Il n’y a plus d’autres voies que celle de la désobéissance civile.»
Lisa Barrett
«Il n’y a plus d’autres voies que celle de la désobéissance civile.»

Fini le «business as usual»

Aujourd’hui, face au parcours désastreux du gouvernement canadien dans le domaine, il n’y a plus d’autres voies que celle de la désobéissance civile. Car clairement, il n’y a rien qui se passe.

La désobéissance civile, c’est empêcher le bon fonctionnement de la société. On va bloquer des ponts, des artères, la vie économique d’un pays.

Pour notre première action de désobéissance civile, le samedi 13 juillet à Montréal, on a bloqué la rue Sherbrooke pendant 5 heures. Il y a eu 25 arrestations. C’est assez. Il est temps que toute la société se sente concernée et comprenne que c’est le capitalisme déréglé qui nous a entraîné là-dedans.

On veut déranger l’espèce d’aveuglement volontaire de tout le monde. C’est le dernier recours pour pouvoir modifier les politiques.

Extinction Rebellion Québec a quatre demandes : 1- dire la vérité sur la gravité de la crise climatique, car personne ne parle encore d’extinction, 2- la carbo-neutralité d’ici 2025, 3- arrêter la destruction de la biodiversité marine et terrestre, 4- créer des «assemblées citoyennes» dont les membres seront nommés comme des jurés afin de proposer des solutions, car le gouvernement n’a pas le meilleur intérêt de la société en tête.

“Les gens ont de la difficulté à comprendre l’urgence car toute notre vie, telle que nous la vivons, est la cause du problème, et il peut être difficile d’intégrer ça.”

On se dit que c’est normal d’acheter une maison, c’est normal d’acheter une voiture, normal d’avoir plus d’un enfant, que c’est notre droit. Je ne les blâme pas, moi-même, je pourrais faire beaucoup plus, par exemple je pourrais être davantage zéro déchet; avant l’année passée je prenais l’avion autant que je voulais, sans me soucier de mon empreinte carbone. Je ne suis pas vegan non plus.

Samedi 13 juillet à Montréal, les manifestants ont bloqué la rue Sherbrooke pendant 5 heures.
Lisa Barrett
Samedi 13 juillet à Montréal, les manifestants ont bloqué la rue Sherbrooke pendant 5 heures.

On continue à promouvoir le transport automobile, le déplacement aérien, la consommation, sans penser que c’est extrêmement nocif. La mode, par exemple, est la deuxième industrie la plus polluante au monde. Est-ce qu’on a vraiment besoin de 25 000 tee-shirts à 5 dollars que l’on va changer aux deux semaines? J’ai longtemps ignoré tout ça,.

Qui plus est au Québec c’est dur car il y a moins de signes annonciateurs des changements climatiques qu’ailleurs. Ça n’affecte pas directement la majorité des Québécois et Québécoises, alors on se dit: pourquoi se priver de telle ou telle chose?

Pour agir cela prendrait un déclic psychologique majeur; les gens ont peut-être des réflexions, mais sans déclic ils ne sont pas prêts à faire le saut.

J’ai peur que ce soit seulement quand quelque chose de désastreux va arriver à notre société que les gens vont réagir. J’ai peur de ce qui s’en vient.

Nous, on est un peu comme les Cassandres qui annoncent que l’extinction d’une large partie de l’humanité est une probabilité si on ne change pas rapidement de cap.

Les gens ne veulent pas entendre ça, c’est terrifiant, alors ils ne le prennent pas au sérieux, ou pensent encore que quelqu’un d’autre va régler le problème. Certains vont même rire de nous ou nous tourner en ridicule.

“L’éco-anxiété, ce n’est pas parce que tu n’en souffres pas que ça n’existe pas. Beaucoup de gens autour de moi m’en ont parlé, comme quoi ça les rendait malades.”

Ça prend la forme d’une peur paralysante, de pensées négatives, de cauchemars. Penser à ce qu’on fait aux animaux, à la biosphère, ça me donne envie de pleurer.

Même sans l’avoir nommée, je la sentais aussi cette anxiété-là; la peur paralyse, tu te sens impuissant, comme si c’était impossible d’agir, donc on n’agit pas ou on fait des petits gestes, comme le recyclage, acheter des ampoules LED, sécher son linge à la corde à linge, mais malheureusement ce n’est pas assez.

Il faut maintenant pousser les gouvernements à agir pour changer massivement et rapidement la société.

“Et je peux vous dire une chose: si moi, qui n’ait jamais milité avant, j’ai décidé d’agir, vous pouvez le faire aussi! Tout le monde peut décider d’agir.”

Il est urgent de réorienter la société d’avance, sinon elle va s’effondrer par elle-même. Nous ne pouvons plus être des consommateurs passifs. Nous devons être des citoyens actifs. C’est le moment de passer à l’action, personne ne le fera à notre place.

La section Perspectives propose des textes personnels qui reflètent l’opinion de leurs auteurs et pas nécessairement celle du HuffPost Québec.

Propos recueillis par Céline Gobert.

* (Traduction libre)

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.