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J’ai porté plainte contre mon agresseur et il n’a jamais été accusé

Ma dénonciation sur les réseaux sociaux il y a quelques années est ce qui m’a permis d’entamer une forme de guérison.
Marjan_Apostolovic via Getty Images

Les propos de ce témoignage ont été recueillis par le HuffPost Québec et retranscrits à la première personne.

Ma mère avait 15 ans quand elle m’a eue et mon père, 21 ans. Les deux n’avaient pas des contextes de vie faciles. Dans ce temps-là, le meilleur ami de mon père habitait dans le même bloc appartement, en haut de chez nous. Un jour, mon père s’est retrouvé à faire de la prison à cause de la drogue, et son ami a alors commencé à fréquenter ma mère, qui est plus tard partie avec lui.

Cet homme-là ne m’a jamais aimée et il me le disait. Il m’a toujours dénigrée et m’a fait subir une constante violence verbale et physique. À l’adolescence, c’est la violence sexuelle qui a commencé dès que ma mère partait de la maison. Il me disait que c’était un jeu. Ma mère et son nouveau conjoint m’empêchaient de voir mon père et de lui parler et ils me menaçaient de me mettre dehors si je le faisais. À 16 ans, je me suis sauvée. Je suis allée voir mon père que je n’avais pas vu depuis presque cinq ans. Je lui ai raconté ce que j’avais vécu et j’ai pu rester chez lui.

Éventuellement, après une période de temps à hésiter à le faire, j’ai décidé de porter plainte à la police.

J’ai d’abord dû faire une déposition écrite. Éventuellement, mon dossier a fini par arriver sur le dessus de la pile de l’enquêteuse. J’ai par la suite fait une déclaration vidéo. J’étais seule avec cette femme-là, mais je savais que de l’autre côté de la vitre, ses collègues me voyaient et m’entendaient.

On m’a posé beaucoup, beaucoup de questions, ça allait dans les moindres détails. Si je décrivais un événement de violence physique, je devais spécifier où j’étais dans la maison quand c’est arrivé, avec quelle main mon agresseur m’avait touchée, sur quelle partie du corps il l’avait fait, comment j’étais habillée ce jour-là… La façon dont on me questionnait et le ton utilisé faisait en sorte que je me sentais comme si on ne me croyait pas et que je n’étais pas une victime dans tout ça. C’est un processus long, difficile et humiliant à vivre.

Par après, l’enquêteuse a interrogé mon agresseur, qui a refusé le détecteur de mensonges. Ma mère a aussi été rencontrée. Je ne peux pas savoir ce qui s’est passé pendant leurs interrogatoires, mais je sais qu’ils ont tout nié. J’ai grandi en me faisant dire que c’était moi le problème, que tout était de ma faute. Tout ce qu’il restait à faire, c’était d’attendre la suite. C’était très long, ça a pris deux ans avant d’avoir un suivi.

“Après deux ans de honte et de longues et pénibles démarches, on me laissait là. C’était tout.”

On m’a finalement dit que le dossier n’irait pas plus loin, par manque de preuves. On se rappelle que dans notre système, on est innocent jusqu’à preuve du contraire. L’enquêteuse m’a dit que si, dans quelques années, il y avait d’autres preuves ou une autre victime, ils pourraient aller plus loin. Alors ça s’est arrêté là. Après deux ans de honte et de longues et pénibles démarches, on me laissait là. C’était tout.

Quand j’ai su ça, j’étais démolie, inconsolable. Ça a été très difficile à accepter. J’avais tout raconté ce que j’avais vécu, c’était la vérité! Et au final cette personne-là ne paiera jamais pour ce qu’elle a fait et elle continue de mener une vie normale. Ça a été beaucoup d’amertume, de colère et de rancoeur sur le coup. Moi, je continuais de me lever tous les jours dans une prison imaginaire et lui, il restait libre. J’ai vécu des années très difficiles. J’ai fait une dépression et des tentatives de suicide.

Les réseaux sociaux pour me libérer

Quelques années plus tard, j’ai pris la décision de révéler ce que j’avais vécu publiquement: j’ai partagé mon histoire sur Facebook et ça a eu une grande portée. Ça a beaucoup fait réagir et certains médias en ont parlé aussi. L’histoire de Nathalie Simard et les dénonciations de l’ex-blogueur Gab Roy ont entre autres été des éléments déclencheurs qui m’ont poussée à dénoncer à mon tour. Avec du recul, je dirais que d’avoir fait ça m’a fait sentir en quelque sorte que je l’avais, ma justice, parce que j’avais raconté mon vécu haut et fort.

La vague de dénonciations actuelle me fait ressentir de la fierté et de la force. Je trouve ça beau de voir qu’il y a des femmes qui sont assez courageuses pour oser dénoncer. Il faut en parler, il faut dénoncer, il faut se libérer. Ça doit être particulièrement difficile pour les personnes qui dénoncent des personnalités publiques. Je pense que présentement, c’est le meilleur moyen de se faire entendre. Moi aussi, c’est comme ça que j’ai réussi à me faire entendre, et non en passant par la police.

Le système de justice n’est pas adapté pour les victimes d’agressions sexuelles. En fait, il n’y en a pas de justice pour nous.

“Si la police et le système judiciaire nous entendaient, nous n’aurions pas besoin de dénoncer de cette façon-là.”

Malgré tout, je ne regrette pas d’avoir porté plainte à la police. C’était ma vérité, il fallait que je la dise. Ce que je trouve regrettable, c’est la façon dont on est accueilli dans le système. C’est trop long, trop compliqué et pas assez pris au sérieux. Avec la vague actuelle de dénonciations d’agressions sexuelles, je vois beaucoup de commentaires disant que les femmes ne devraient pas laver leur linge sale en public. Mais il y a une raison pour laquelle les victimes ne vont pas vers le système de justice.

À ceux qui jugent les femmes qui en sont venues à dénoncer et nommer leur agresseur sur les réseaux sociaux, j’ai envie de dire qu’il faut vivre la situation pour pouvoir comprendre. Si la police et le système judiciaire nous entendaient, nous n’aurions pas besoin de dénoncer de cette façon-là. Pour une victime, c’est peut-être la seule façon de se libérer enfin.

La section Perspectives propose des textes personnels qui reflètent l’opinion de leurs auteurs et pas nécessairement celle du HuffPost Québec.

Propos recueillis par Florence Breton.

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