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J'avais une peur viscérale de l'école et je crains de la transmettre à mon fils

Maintenant que j’ai confié mes peurs, je vais être forte pour toi, mon fils.
Anna_Isaeva via Getty Images

Nous sommes vendredi 28 août et j’ai peur, terriblement peur. J’ai peur de la rentrée qui s’approche. Oh, pas comme beaucoup de parents qui s’inquiètent des mesures spéciales coronavirus et de leur impact sur les enfants, non ça je m’en fous royalement.

Moi, j’ai juste peur de l’école. Cette peur viscérale, ancrée au fond de mes tripes comme quand j’étais gamine. Je me rappelle comme elle faisait mal cette angoisse. Le ventre qui se sert, la gorge qui se noue, les mains qui tremblent. L’odeur de détergent du préau, le brouhaha, tout me revient comme un boomerang.

Et les autres, il y en a partout, plein d’enfants qui crient, rient, pleurent. Ils sont tout autour de moi et pourtant je me sens si seule. Je ne sais pas communiquer avec eux, il y a une défaillance quelque part dans mon système, je ne vais pas y arriver. Je veux juste courir loin, très loin, m’enfermer dans un trou de souris et ne plus jamais en sortir.

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Et l’enseignante, elle n’est pas méchante l’enseignante, mais je ne comprends pas ce qu’elle me dit, je n’arrive pas à me concentrer, je me débats dans un brouillard qui m’étouffe et me fait perdre mes repères.

Alors j’active, je ne sais trop comment, un pilote automatique dans mon cerveau, un mode survie: respirer, ne pas pleurer, ne pas hurler, et laisser mon esprit vagabonder pour calmer un peu l’angoisse et le mal-être.

Mon enfance à l’école en apnée

Le mal-être, le mot est posé. Parce que c’est bien de cela qu’il s’agit, des années et des années de mal-être, une enfance en apnée où je ne vivais vraiment qu’en dehors des périodes scolaires. De longues soirées du dimanche à appréhender le réveil du lendemain, à rêver d’arrêter le temps ou encore mieux, de l’accélérer jusqu’à ce que je sois grande, jusqu’au jour où il ne faudrait plus subir l’école.

Aussi loin que j’arrive à remonter dans mes souvenirs d’enfance, il y a cette peur en toile de fond, elle entache tout, même les bons moments puisque les rentrées reviennent toujours. Elle ne se calme vraiment qu’en juillet, quand je sais que j’ai deux mois pour souffler.

En toile de fond, il y a aussi cette envie de bien faire, de satisfaire les parents et l’enseignante, mais sans jamais y arriver. Cette sensation d’être nulle, toujours et en tout.

Je termine là cette amère digression tout en réalisant que l’école m’a bouffé mon enfance. Les fins psychologues me diront que je risque de transmettre mes peurs à mon fils, je leur répondrai que je rêve que ça ne soit pas le cas, mais que je n’ai pas le mode d’emploi. Les peurs ressortent toujours du placard sans qu’on ne maîtrise rien, sinon elles n’en seraient pas.

Vaincre ses démons pour ne pas transmettre sa peur

Alors je pose ici ces mots, parce qu’exprimer ses peurs c’est déjà un peu avancer. Et puis tout simplement parce qu’il fallait que ça sorte au risque que ça explose.

Je ne jette la pierre à personne, je crois même que mes enseignantes étaient, pour la plupart, particulièrement gentilles et soucieuses de bien faire leur travail. Mais c’est ainsi, il y avait un fossé entre le système scolaire et moi.

“Je te rappellerai que je t’aime, que je suis fière de toi pour ce que tu es, qu’apprendre c’est avant tout se tromper.”

Maintenant que j’ai épanché (un peu) mes peurs, je vais être forte pour toi, mon fils.

Je te prendrai la main, je la serrerai très fort en te menant jusqu’à l’école. Et surtout je te rappellerai que je t’aime, que je suis fière de toi pour ce que tu es, qu’apprendre c’est avant tout se tromper.

Visiter l’école pour se rassurer

Le vendredi précédent la rentrée, juste après avoir écrit ces quelques lignes, je me suis rendue, boule au ventre, à la réunion de rentrée, celle qui n’avait pas pu avoir lieu avant pour cause de COVID.

La directrice m’a paru douce, humaine, empathique. Elle a précisé que c’était normal que les enfants pleurent, que les enseignantes les laisseraient exprimer leurs émotions et seraient à l’écoute. Elle nous a conseillé de parler aux enfants des bons côtés de l’école, mais aussi des mauvais, de ne pas idéaliser l’école, mais de ne pas la diaboliser non plus.

Je suis sortie de cette réunion un peu moins stressée (détendue n’est pas encore le terme adéquat).

Le lendemain nous visitions l’école avec petit Lu, mon fils. Il faut savoir que si l’école était ma bête noire enfant, pour l‘homme je crois bien que c’était encore pire (oui, c’est possible). Bref, on n’en menait pas large en arrivant devant la porte.

La visite s’est bien passée, nous avons trouvé l’école super bien équipée. La salle de motricité m’a même (presque) donner envie de redevenir enfant. Nous avons aussi rencontré les enseignantes de notre fils qui nous ont paru très douces et à l’écoute des enfants.

En sortant de la visite, petit Lu était ravi du parcours de motricité et frustré de ne pas avoir pu assez jouer dans la cour. De notre côté, le trouillomètre redescendait doucement.

La rentrée en demi-teinte

La veille de la rentrée, nous avons tous mal dormi. Malgré tout, sur la route de l’école que nous avons la chance de parcourir à pied, petit Lu a été de bonne humeur et sautillait.

Tout s’est bien passé jusqu’à ce qu’on le laisse dans la classe. La dernière image que j’ai de mon fils est celle d’un petit garçon pas rassuré nous envoyant des bisous, puis nous avions à peine le dos tourné qu’on l’a entendu se mettre à pleurer. C’était dur de retenir mes propres larmes. J’étouffais sous mon masque et j’avais l’impression que mes jambes allaient se dérober et refuser de me porter jusqu’à la sortie.

La première semaine a été particulièrement difficile le matin. Beaucoup de larmes et un papa qui sortait de l’école complètement chamboulé d’avoir laissé un petit garçon qui pleure (comme beaucoup d’autres cela dit).

“Et puis hier, rien. Pas une larme. Juste un «bisou papa à ce soir».”

Mais chaque soir, les enseignantes annonçaient qu’il passait des journées plutôt bonnes malgré quelques pleurs ponctuels.

La deuxième semaine s’est passée un peu mieux que la première, avec moins de larmes le matin.

Et puis hier, rien. Pas une larme. Juste un «bisou papa à ce soir».

Les enseignantes font des comptes rendus de journée de plus en plus positifs. Il nous dit moins qu’il a peur d’aller à l’école. Mais quand il le dit, on le rassure, en lui répétant que c’est normal d’avoir peur des situations qu’on ne connaît pas bien, qu’on est là pour l’aider et qu’il peut nous raconter tout ce qui le chagrine à propos de l’école.

Alors, pour conclure ce billet des nouvelles de rentrée, je vais m’autoriser à rêver que mon enfant aime (même rien qu’un tout petit peu) l’école.

Ce texte a initialement été publié sur le HuffPost France.

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