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Peteris Zalums était un homme debout

Il a été un citoyen qui a courageusement tenté de trouver sa voie en essayant de demeurer conséquent avec les aspirations à la liberté de son pays natal.
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En écoutant l'histoire de cet homme devenu mon ami, j'ai appris à suspendre mon jugement pour essayer de comprendre. Essayer de comprendre est peut-être une condition essentielle pour éviter les guerres.
Michel Pruneau
En écoutant l'histoire de cet homme devenu mon ami, j'ai appris à suspendre mon jugement pour essayer de comprendre. Essayer de comprendre est peut-être une condition essentielle pour éviter les guerres.

Au début des années quatre-vingt-dix, un homme à l'accent slave m'a demandé si j'accepterais d'écrire son histoire. Comme s'il portait de lourds secrets, il avait ajouté qu'il n'avait jamais raconté l'histoire de sa vie.

Peteris Zalums est né en Lettonie dans les années 1920, pays dans lequel il a connu les effets de l'oppression soviétique. Au cours de son enfance, il a vu la brutalité militaire de Staline prendre possession de son pays.

À cette époque, où se préparait le conflit meurtrier de la Deuxième Guerre mondiale, les pays baltes ont été libérés par l'armée allemande. Nous ne sommes pas habitués à voir l'Allemagne nazie comme une force de libération, et Hitler était assurément un fou furieux mégalomane, mais quand un pays est sous la cruelle domination communiste, tout peut devenir relatif.

Lorsque l'individu n'existe plus, pour demeurer en vie il faut faire la guerre

Alors qu'il n'a que 15 ans, espérant survivre à la misère de cette période trouble, Peteris Zalums quitte la Lettonie pour aller travailler dans un camp agricole en Allemagne. Peu de temps après, alors que l'Allemagne est déjà dans l'étau des forces alliées, Hitler décrète l'enrôlement de tous les jeunes mâles sur le territoire. Il se voit donc contraint de devenir soldat de l'Allemagne. Des milliers de jeunes des pays de l'Est sont dans la même situation et ils n'y peuvent rien. Lorsque l'individu n'existe plus, pour demeurer en vie il faut faire la guerre.

Peteris Zalums
Michel Pruneau
Peteris Zalums

Après un entraînement militaire sommaire, les troupes constituées de jeunes soldats conscrits sont amenées au front pour se battre. Heureusement, on ne les amène pas vers l'est, où ils auraient été les prisonniers des Soviétiques. Les troupes de jeunes soldats, qui ne veulent absolument pas faire la guerre, font plutôt face aux Américains qui sont déjà habitués à ce genre de situation. Les troupes se rendent rapidement et Peteris Zalums se retrouve alors dans un immense camp de prisonniers de guerre en France. Il y survivra avec des dizaines de milliers de prisonniers en attendant la fin de la Deuxième Guerre mondiale.

Avec plusieurs jeunes Lettons dans la même situation que lui, il se retrouve dans un des camps de réfugiés de l'ONU dans l'Allemagne d'après-guerre.

Une fois le conflit mondial terminé, après les explosions nucléaires sur Hiroshima et Nagasaki, Peteris Zalums ne peut pas retourner dans son pays, qui est de nouveau sous domination soviétique. En se présentant à la frontière, il aurait été considéré comme un ennemi de l'État communiste et aurait assurément été envoyé dans un des camps de Sibérie. Avec plusieurs jeunes Lettons dans la même situation que lui, il se retrouve dans un des camps de réfugiés de l'ONU dans l'Allemagne d'après-guerre.

Au cours de cette période, les jeunes réfugiés développent une haine viscérale pour les communistes qui leur ont volé leur pays. Ils lisent régulièrement les journaux qui décrivent la terreur stalinienne. Après y avoir beaucoup réfléchi, Peteris Zalums décide de s'enrôler comme soldat dans la Légion étrangère. C'est donc sous le drapeau de la France qu'il ira combattre le communisme en Indochine. Peteris Zalums m'a alors raconté quelques épisodes de cette autre guerre cruelle dans la jungle de l'Indochine.

Après que Peteris Zalums m'ait sommairement raconté les grands jalons de son histoire, pour me convaincre d'en faire un livre, j'ai eu l'impression que je venais de traverser le XXe siècle au complet. Je lui ai alors demandé quel âge il avait lorsqu'il a été libéré de son engagement militaire pour la France. Il a répondu qu'il avait 20 ans!

En écoutant l'histoire de cet homme devenu mon ami, j'ai appris à suspendre mon jugement pour essayer de comprendre. Essayer de comprendre est peut-être une condition essentielle pour éviter les guerres.

Heureusement, il n'y avait pas que la guerre dans l'histoire de Peteris Zalums. Une fois libéré de son engagement militaire dans la Légion étrangère, Peteris a vécu en France où il a rencontré Janine, l'amour de sa vie. Elle lui a permis de se dégager des événements sombres du début de son existence. Une petite fille prénommée Martha est née de cette union et c'est en la portant dans un panier de paille que Janine et Peteris ont immigré en Amérique à la fin des années cinquante. En s'intégrant progressivement à la vie montréalaise, ces migrants d'une autre époque ont aussi donné la vie à un fils prénommé Pierre.

Plusieurs années plus tard, après que des centaines de milliers de personnes aient donné leur vie pour défendre la liberté, le régime totalitaire soviétique s'est enfin effondré. Quarante-cinq ans après avoir quitté son pays d'enfance, Peteris Zalums a enfin pu revoir la Lettonie où il a retrouvé sa tante qui avait pris soin de lui lorsqu'il était petit.

En acceptant d'écrire la vie de Peteris Zalums, je ne m'attendais pas à être aussi bouleversé par son histoire. Je suis né dans un pays en paix et je ne comprenais pas vraiment les conditions qui peuvent mener des individus à faire la guerre. En écoutant l'histoire de cet homme qui est devenu mon ami, j'ai appris à suspendre mon jugement pour essayer d'abord de comprendre. Essayer de comprendre est peut-être une condition essentielle pour éviter les guerres.

Peteris Zalums n'a pas été un grand général ni un homme politique qui a influencé le cours de l'histoire, mais le récit de sa vie n'est pas moins important. Peteris Zalums a été un citoyen qui a courageusement tenté de trouver sa voie en essayant de demeurer conséquent avec les aspirations à la liberté de son pays natal. Sa vie témoigne du désir de survivre en temps de guerre et de la détermination à construire sa propre existence en temps de paix.

Aujourd'hui, je dois me rendre à l'évidence. J'ai écrit la vie d'un homme qui n'est plus. Parce que même si on peut survivre à plusieurs guerres, on ne gagne jamais la dernière. À la tristesse de ne plus le revoir s'oppose l'immense privilège de l'avoir connu. Merci Peteris Zalums de m'avoir raconté ton histoire.

Ceux et celles qui souhaitent lire cette histoire peuvent le faire en téléchargeant le document PDF.

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