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«On n'a personne pour nous protéger en ce moment»: une enseignante démissionne

«Est-ce qu’ils ont manqué à leur devoir d’au moins nous consulter? Moi, je considère que oui. Si on me dit que je n’avais pas le droit de demander ça, ça justifie encore plus ma démission.»
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En février dernier, Geneviève Groleau lançait le mouvement «À bout de souffle...ça suffit» à la suite de l’adoption de la loi 40 par bâillon. Plus de 200 enseignants se sont joints et ont menacé de démissionner, réclamant un changement de ton de la part du gouvernement.

Elle était loin de s’imaginer que quelques semaines plus tard, le milieu de l’éducation serait bouleversé par une pandémie.

L’enseignante de Gatineau à la Commission scolaire au Cœur-des-Vallées, très émotive lors d’un entretien téléphonique avec le HuffPost Québec, entreprend actuellement les démarches pour démissionner, après 12 ans à partager son quotidien avec les enfants. Et ce n’est pas que l’attitude du gouvernement qui la dérange, depuis le début de la pandémie.

«On parle de vies humaines. C’est au-delà de ce que je suis capable d’endosser et ce n’est pas vrai que je vais être témoin de ça», lance Geneviève Groleau, qui n’en revient pas que les écoles à l’extérieur de Montréal aient rouvert leurs portes cette semaine.

Mais ce qu’elle digère encore moins, c’est l’attitude des syndicats face à la réouverture. Membre du Syndicat des enseignants de l’Outaouais, affilié à la Fédération autonome de l’enseignement (FAE), elle déplore que les enseignants n’aient pas été consultés quant à leur position sur la réouverture des écoles.

«De voir que les syndicats ne prennent même pas le temps de nous poser la question, ça, c’est venu anéantir mon espoir d’un demain meilleur, déjà qu’au niveau des conditions de travail, avant la crise, c’était infernal, confie-t-elle. Et je n’arrive même pas à savoir pourquoi on ne nous a pas consultés.»

«Je pense qu’ils savent qu’il y aurait eu beaucoup trop d’enseignants qui auraient refusé de retourner travailler et que ça mettrait le gouvernement de mauvaise humeur pour les négos. Moi, c’est l’impression que ça me donne à l’extérieur», avance Mme Groleau.

«Est-ce que les syndicats travaillent fort? Je n’ai jamais remis ça en question. Mais est-ce qu’ils ont manqué à leur devoir d’au moins nous consulter? Moi, je considère que oui. Si on me dit que je n’avais pas le droit de demander ça, ça justifie encore plus ma démission. En tant que membre syndiquée, je pense que j’ai le droit d’être consultée pour une question qui divise autant», poursuit Geneviève Groleau, choquée.

«Au début, avant que le plan de réouverture des écoles soit déposé, je pouvais comprendre qu’ils aient le discours de “ok, on va aider le gouvernement”. Mais à partir du moment où le plan du ministre était ridicule, faites une consultation, faites quelque chose, s’indigne Mme Groleau. On n’a personne pour nous protéger en ce moment. Je ne sais pas sur qui me reposer.»

«Je pars avec un sentiment d’amertume, de déception envers mon syndicat. Monsieur [Sylvain] Mallette [le président de la FAE], c’est un combattif. Lors des négociations au mois de décembre, c’était le bon sens même qui parlait. Je ne dis pas qu’ils ne font rien, mais on n’a pas de réponses. On est supposé avoir quelqu’un qui veille à nos intérêts au-delà de l’opinion publique», déplore-t-elle.

La FAE n’a pas souhaité commenter, renvoyant le HuffPost Québec au syndicat local de l’enseignante.

De son côté, Suzanne Tremblay, présidente du Syndicat des enseignants de l’Outaouais (SEO), affirme que de consulter les enseignants au sujet de la réouverture des écoles n’était pas de circonstance. «On n’était pas partie prenante de cette décision-là, c’est le gouvernement qui l’a prise. Ultimement, la décision de rouvrir les écoles, c’est le gouvernement, et ce sont les décrets ministériels qui sont appliqués, explique-t-elle. Une fois qu’on a été devant cette situation-là, la santé et la sécurité des enseignants sont devenus notre priorité.»

Mme Tremblay souligne que bien que les enseignants n’aient pas été concertés lorsqu’il était question de la réouverture, une consultation, «Ça cloche», est présentement en cours. Le personnel enseignant est invité à partager ce qu’il observe sur le terrain, maintenant que les écoles sont rouvertes. «On a donné toute l’information nécessaire à nos membres sur la santé et la sécurité et sur leurs droits, entre autres le droit de refus», ajoute la présidente du syndicat local.

“Je ne peux pas concevoir qu’on continue de mettre les enfants en danger.”

- Geneviève Groleau

Geneviève Groleau précise que ce n’est pas sa propre sécurité qui l’inquiète présentement - elle est en télétravail, sa santé faisant d’elle une personne à risque si elle attrapait la COVID-19. Elle s’inquiète plutôt pour ses collègues qui doivent aller au front alors qu’un de leur proche a un état de santé vulnérable, mais aussi pour les enfants, qui jusqu’à récemment, n’étaient pas considérés à risque de développer des complications.

«Ces derniers temps, on voit les cas de Kawasaki [NDLR: Une maladie rare qui s’en prend aux jeunes et qui pourrait être liée à la COVID-19]. Ça devient épeurant. Il y a eu trois décès à New York. Je ne peux pas concevoir qu’on continue de mettre les enfants en danger. Eux autres, ils n’en ont pas de masque à l’école», s’inquiète l’enseignante, qui estime qu’une réouverture de tous les établissements en septembre aurait été plus prudent.

«Ça aurait donné le temps d’équiper les écoles comme du monde et de connaître plus l’impact sur les enfants, pense-t-elle. On est garroché, on est de vraies marionnettes pour le ministre. Je ne peux pas comprendre que le syndicat endosse ça en disant après qu’il veille à la sécurité. Si ça avait du bon sens, les commissions scolaires anglophones ne se seraient pas opposées. Les anglophones ne sont pas moins immunisés que les francophones!» lance la Gatinoise.

Geneviève Groleau
Courtoisie/Geneviève Groleau
Geneviève Groleau

Sa décision de démissionner est prise, et la présidente de son syndicat local s’en désole. «Elle a le droit d’avoir une opinion qui est différente de celle que l’on a comme syndicat, précise Suzanne Tremblay du SEO. Je ne conseillerai jamais à une enseignante de démissionner. C’est un geste qui est lourd de conséquences.»

Bien qu’elle assume son choix, Geneviève Groleau quitte l’enseignement le coeur gros.

«J’aimais ma job. Une fois que ma porte est fermée, quand je suis avec mes élèves, c’est un monde merveilleux. C’est fou comment ils nous apportent, ces enfants-là. Je suis une humaniste, j’étais dans l’enseignement pour veiller au bien des enfants. Moi, l’enseignement, c’est l’humain avant.»

«J’ai six élèves qui sont à l’école présentement. S’il faut qu’il arrive quelque chose à l’un d’eux, j’ai beau être chez nous, je ne m’en remettrai pas.»

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