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Je suis une personne à haut potentiel et ma vie est un enfer

À 21 ans, je me sens épuisé.
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Haut Potentiel. Intellectuellement précoce. Zèbre. Beaucoup de qualificatifs. Beaucoup de mots. On pourrait croire que c’est une chance d’ajouter ces étiquettes à sa personne. Et pourtant...

Être diagnostiqué, c’est comprendre. Comprendre pourquoi les années ont été passées à rester souvent seul. Comprendre pourquoi expliquer quelque chose de simple est forcément difficile. Comprendre pourquoi tout est beaucoup plus complexe, difficile que la normale.

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Pendant mes études, j’ai été diagnostiqué HP, Haut Potentiel, et EIP, Enfant Intellectuellement Précoce. Pour cela, j’ai été soumis à un test complet du WISC (Wechsler Intelligence Scale for Children) pour évaluer mon QI. Après de nombreuses minutes à chauffer mes méninges, le résultat est tombé, m’attribuant un QI de plus de 145... Le test a surtout révélé de nombreuses disparités de niveau: par exemple entre mon aisance motrice (repères dans l’espace) et mes capacités de calcul ou mentales.

C’est ainsi qu’a très vite été posé le diagnostic. J’étais un de ces 2,5% de la population mondiale avec un QI supérieur à 130. Vous croyez que ça me fait une belle jambe? Non! Et je compte bien vous faire vivre, à travers ces quelques lignes, l’enfer que cela représente, au quotidien, d’être dans la case difficile des HP, appelés aussi zèbres pour les intimes.

Pas de bouton ON-OFF

Chaque humain aura ses propres «symptômes» de HP. Je souffre aujourd’hui du manque d’une «fonctionnalité» de mon cerveau: le bouton ON-OFF.

Luc Besson comparait un tournage de cinéma à un train sans frein avec un conducteur à bord, le réalisateur, qui se doit de faire tout son possible pour éviter de tomber dans le ravin. Aujourd’hui, ce train, c’est l’activité folle de mon cerveau. Enchaînant les approches du ravin, mais surtout, en incapacité de s’arrêter. Non-stop. Nuit. Jour. Il fonctionne. Il m’épuise. Il me fatigue.

J’ai pourtant tout essayé: pleine conscience, méditation... Rien n’y fait. Je ne sais pas comment mettre mon cerveau en mode vide total. Et cela puise dans mon énergie, ma vitalité. La nuit, j’imagine 40 000 projets à la minute. Le jour, j’imagine déjà les idées que je mènerais à bien dans 10 ans.

“On pourrait croire que c’est une chance. Non, c’est un fardeau. Car c’est épuisant.”

Dans la vie du quotidien d’ailleurs, je n’arrive pas à m’imaginer avec un seul projet, un seul objectif à la fois. Pour exister paisiblement, je ressens le besoin existentiel de m’animer intellectuellement sur plusieurs tâches à la fois. C’est un besoin, une nécessité.

On pourrait croire que c’est une chance. Non, c’est un fardeau. Car c’est épuisant. Imaginez: mon cerveau va plus vite que mon corps. Mon cerveau carbure 24/24 et 7/7, tandis que mon corps a besoin de repos, de récupérer son énergie. Et à peine âgé de 21 ans, même si mes nombreuses expériences (association contre le harcèlement scolaire, tournage et cinéma...) sont grisantes et de vraies réussites, je me sens épuisé. Avec cette nécessité de tout couper. De tout stopper. Mais non, mon cerveau en a décidé autrement.

Difficultés pour exprimer les émotions

Autre difficulté que je ressens au quotidien: exprimer mes sentiments, mes émotions. Pourtant, c’est bien une explosion d’émotions que je ressens au fond de moi-même, dans ce cerveau opaque qu’est le mien. Aucune journée ne passe sans qu’à un moment je ressente des sensations, des émotions puissantes, intenses et infinies. Je ne sais pas vous, mais je suis même capable d’avoir des frissons en écoutant certaines musiques qui me font voyager et me bouleversent.

Chaque élément de ma vie du quotidien nourrit ce cerveau boulimique. Une odeur, une couleur, un paysage, un goût, un plat: tout justifie une idée, un souvenir, un projet! Et surtout, cela se produit à puissance 1000! Intérieurement, c’est une fontaine de larmes qui fonctionne constamment. Visuellement, pourtant, j’ai souvent l’air d’un homme impassible. Seuls les moments les plus intimes ou les plus douloureux me voient souffrir à cœur ouvert.

Bien que très à l’aise pour m’exprimer à l’oral d’ailleurs, j’observe beaucoup de difficultés à présenter clairement mes idées, mes projets. J’ai toujours eu du mal, plus jeune, à expliquer mon raisonnement pour résoudre ces fameux problèmes de mathématiques. Passant par Z pour aller de A à B, j’avais pourtant la bonne réponse, mais personne ne comprenait ce cheminement, cette logique.

Beaucoup de mes compétences et savoirs d’aujourd’hui sont devenus comme innés. Bien que pour beaucoup, (développement web, cinéma...) je les ai appris en autodidacte, ils sont comme naturels ou encore inexplicables. Et les expliquer relève pour moi de l’ordre du défi. C’est d’ailleurs un enjeu majeur pour moi de préparer chaque prise de parole: synthétiser, trier, structurer et ordonner l’information avant de la prononcer.

Liens sociaux difficiles à tisser

Une conséquence bien concrète de ces souffrances du quotidien, c’est la difficulté réelle à créer des liens sociaux. Constituer une «bande d’amis». Tisser des liens d’amitié solides. Trouver des «amis» de son âge. Tout cela est très difficile. Nouer ces relations privilégiées d’amitié est difficile à imaginer même si je suis entouré de nombreuses personnes bienveillantes à mon égard. Quand je parle d’amis, je parle d’hommes et de femmes de la même génération que la mienne. De personnes du même âge.

“Rien n’est plus dur que d’avoir en tant qu’ennemi son propre soi-même.”

Tout. Tout cela. Être HP, c’est toutes ces souffrances, ces incompréhensions. Ces difficultés du quotidien. Et cela n’est qu’un aperçu de tout ce que je dois endurer chaque jour. C’est un combat de chaque jour, à tenir. Un combat sans fin. Un combat contre soi-même. Rien n’est plus dur que d’avoir en tant qu’ennemi son propre soi-même. C’est difficile, mais rien n’y fait, je tiendrai, je lutterai contre cela et je tiendrai bon!

Ces quelques lignes ne vous auront donné qu’une première idée d’un HP vu de l’intérieur. Mais il me paraissait important de le faire. D’abord pour ceux qui me lisent qui sont eux-mêmes HP, pour qu’ils prennent conscience qu’ils ne sont pas seuls à souffrir de cela, et que cela puisse les rassurer, les aider. Mais aussi, pour ceux qui ne le sont pas, car il faut l’être pour comprendre.

Et à travers cette volonté, je souhaite que les zèbres, les HP, les EIP, ne deviennent plus des êtres à part, des humains en difficulté. Il est d’ailleurs prédit que nos comportements, définis comme des anomalies, seront la normalité de demain.

Ce texte a initialement été publié sur le HuffPost France.

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