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Le cadeau de séparation cruel et inhabituel de Trump: une série d'exécutions

Depuis qu’elle a rétabli la peine capitale au niveau fédéral cet été, l’administration Trump a tué plus de condamnés à mort que le gouvernement américain n’en avait tué au cours des cinq dernières décennies.

Yusuf Ahmed Nur, professeur à l’Université de l’Indiana, savait qu’il y avait une chance qu’il contracte le coronavirus lorsqu’il a été invité à administrer les derniers rites au condamné à mort fédéral Orlando Hall le mois dernier.

Les prisons sont reconnues comme des points chauds pour le virus car elles sont souvent surpeuplées, ont une mauvaise ventilation et sont remplies d’individus vieillissants et vulnérables. Au complexe correctionnel fédéral de Terre Haute, dans l’Indiana, où des exécutions fédérales ont lieu, au moins 188 personnes ont reçu un diagnostic de COVID-19 et trois sont décédées. Et pourtant, ces exécutions – qui rassemblent des dizaines de membres du personnel et de témoins, dont beaucoup viennent de l’extérieur de l’État – ont toujours lieu, malgré le risque de propagation du virus.

«Je savais que ça allait être un gros risque», a déclaré Nur au HuffPost. «Mais je sentais que cela valait le sacrifice.»

Le 19 novembre, Nur a passé plus de cinq heures au complexe pénitentiaire en attendant l’exécution de Hall, logé dans une petite pièce sans fenêtre avec d’autres témoins. L’heure venue, Nur est entré dans la chambre pour administrer les derniers rites, récitant une prière du Coran. Il se tenait près des deux bourreaux, tous deux démasqués. Moins d’une semaine plus tard, Nur allait être testé positif pour le coronavirus. Il pense avoir contracté le virus à la prison, car il s’isolait strictement des autres personnes à cette période.

La décision du gouvernement américain d’aller de l’avant avec les exécutions fédérales alors qu’une pandémie fait rage a attiré peu d’attention, malgré le fait qu’elle soit radicalement en décalage avec les pratiques des prisons d’État. Elle est aussi dénoncée par un nombre croissant de membres des forces de l’ordre et par des défenseurs des personnes incarcérées.

Depuis le début des confinements contre la COVID-19 à la mi-mars, les exécutions par les gouvernements des États se sont essentiellement arrêtées en raison des risques pour la santé. Seules deux personnes dans les couloirs de la mort au niveau étatique ont été exécutées, Walter Barton dans le Missouri, le 19 mai, et Billy Wardlow au Texas, le 8 juillet.

En revanche, le gouvernement fédéral a exécuté huit personnes, et cinq autres personnes devraient mourir avant le départ du président Donald Trump. Brandon Bernard devrait être exécuté le 10 décembre, Alfred Bourgeois le 11 décembre, Lisa Montgomery le 12 janvier, Cory Johnson le 14 janvier et Dustin Higgs le 15 janvier.

Depuis qu’elle a rétabli la peine capitale au niveau fédéral cet été, l’administration Trump a tué plus de condamnés à mort que le gouvernement américain n’en avait tué au cours des cinq dernières décennies combinées.

Le président élu Joe Biden s’est engagé à mettre fin à cette pratique.

Un panneau à l'extérieur du complexe correctionnel fédéral de Terre Haute, où les condamnés à mort attendent leur exécution.
Illustration: Damon Dahlen/HuffPost; Photos: Getty
Un panneau à l'extérieur du complexe correctionnel fédéral de Terre Haute, où les condamnés à mort attendent leur exécution.

Les critiques soutiennent que de continuer à procéder à des exécutions fédérales met en danger la santé des détenus, celle des employés et celle des visiteurs du complexe, ainsi que de ceux qui vivent dans la communauté environnante. Par ailleurs, la pandémie compromet également gravement la capacité des condamnés à mort à préparer des requêtes de grâce complètes avant la date de leur exécution.

«À l’heure actuelle, personne d’autre que le gouvernement fédéral ne procède à des exécutions», souligne Robert Dunham, directeur exécutif du Centre d’information sur la peine de mort. «La plupart des États ont reconnu qu’il n’était pas urgent de procéder à une exécution pendant la pire pandémie en un siècle, lorsque, si l’exécution est légale, elle peut être effectuée en toute sécurité une fois que la pandémie est sous contrôle.»

Le pénitencier de Terre Haute est située dans le comté de Vigo, où les cas de coronavirus sont en hausse. Le 14 novembre, le gouverneur républicain Eric Holcomb a publié un décret visant à restreindre les rassemblements publics après que les hospitalisations dans l’État eurent atteint un niveau record .

Un procès intenté récemment au nom de détenus de Terre Haute demande au gouvernement américain de retarder les exécutions prévues jusqu’à ce que la menace de la pandémie de COVID-19 ne soit chose du passé. Il soutient que les exécutions exposent la population incarcérée à un risque important de maladie grave ou même de mort sans raison valable.

Comme le précise la plainte, chaque exécution attire environ 200 personnes qui se mêlent à la prison, mangent dans des restaurants locaux et dorment dans des hôtels locaux. Près d’une centaine de membres du personnel du Bureau des prisons sont généralement amenés de d’autres prisons pour aider aux exécutions à Terre Haute. Des prisons où peuvent se trouver des éclosions. Les représentants des médias et les manifestants sont également susceptibles de se rassembler pour chaque événement.

«La pandémie pose plus de risques avec les exécutions fédérales qu’avec les exécutions par les États, car vous faites venir des gens de partout au pays», a déclaré Dunham. «Vous avez plus d’opportunités d’infecter les gens.»

Cassandra Stubbs, directrice du projet de la peine capitale de l’Union américaine des libertés civiles (ACLU), qui a également plaidé des problèmes liés à la COVID-19 et à la peine capitale, a argué que les exécutions pouvaient être, à l’évidence, des événements super-propagateurs (les superspreaders).

«Les gens tombent malades et meurent à cause d’eux», a-t-elle déclaré dans un communiqué. «Les avocats, les conseillers spirituels, les journalistes et les gens de tout le pays mettront leur vie en danger pour assister à ces exécutions fédérales. Mais les personnes qui vivent dans le comté de Vigo et les personnes incarcérées au pénitencier de Terre Haute n’ont pas leur mot à dire sur le risque auquel elles seront exposées.»

Selon un affidavit de Joe Goldenson, un médecin qui compte 33 ans d’expérience en milieu correctionnel, le nombre d’infections à la COVID-19 à Terre Haute a augmenté après la reprise des exécutions cet été. Il a averti que le Bureau des prisons n’avait pas adopté les mesures appropriées pour endiguer la propagation du coronavirus, notant que le complexe pénitentiaire utilisait toujours un formulaire de filtrage des visiteurs obsolète publié pour la première fois en mars.

«C’est mon opinion professionnelle que les détenus de Terre Haute courent un risque accru de contracter la COVID-19 en raison de la nature des exécutions dans l’établissement», écrit-il. «Il en va de même pour les membres du personnel, leur famille et les membres de la communauté de Terre Haute dans son ensemble, tous ces groupes ont probablement un risque plus élevé de contracter la COVID-19 que si les exécutions étaient reportées, sans oublier les risques associés de maladie grave et de décès pour un certain nombre de membres de ces groupes.»

Yusuf Ahmed Nur, qui a été conseiller spirituel du condamné à mort Orlando Hall, a contracté la COVID-19 après avoir administré les derniers rites. La photo a été prise par Liliana Segura, qui a couvert l'exécution de Hall pour The Intercept.
Liliana Segura/The Intercept
Yusuf Ahmed Nur, qui a été conseiller spirituel du condamné à mort Orlando Hall, a contracté la COVID-19 après avoir administré les derniers rites. La photo a été prise par Liliana Segura, qui a couvert l'exécution de Hall pour The Intercept.

Yusuf Ahmed Nur, qui a administré les derniers rites pour Orlando Hall, n’est pas la seule personne à avoir contracté le coronavirus en répondant aux besoins d’un condamné à mort. Les deux avocats principaux de Lisa Montgomery, la seule femme condamnée à mort par le gouvernement fédéral, ont tous deux été atteints après lui avoir rendu visite dans une prison du Texas.

Montgomery, qui a des problèmes de santé mentale, a été condamnée à mort pour le meurtre d’une femme enceinte en 2004 et l’enlèvement de son bébé. Elle a été victime de sévices durant son enfance, notamment d’inceste et de trafic sexuel, selon ses avocats et les membres de sa famille.

Son exécution était initialement prévue pour le 8 décembre mais a été reportée au 12 janvier afin de donner à ses avocats plus de temps pour préparer sa demande de grâce. Elle est actuellement incarcérée dans une prison médicale pour femmes au Texas, mais devrait être transférée à Terre Haute, une prison réservée aux hommes, dans les semaines à venir.

Divers intervenants dans la communauté de la justice dénoncent également les implications pour la santé publique des exécutions fédérales et demandent un sursis.

Jeudi 3 décembre, un groupe bipartite de près de 100 responsables du le système de justice pénale a publié une déclaration appelant à l’arrêt immédiat des exécutions fédérales et exhortant Trump à commuer les peines des cinq personnes devant être exécutées avant l’investiture de Biden. Effectuer des exécutions pendant une pandémie et dans les derniers jours de la présidence de Trump saperait la confiance dans le système de justice pénale, ont-ils averti.

«À un moment où le pays traverse une pandémie mortelle, il est tout simplement impensable de dépenser des ressources limitées pour procéder à des exécutions fédérales et de forcer les avocats de la défense à risquer leur vie pour défendre des clients condamnés à mort», peut-on lire dans la lettre.

Pour Nur, qui a contracté un cas bénin de COVID-19 après avoir assisté à l’exécution de Hall, la maladie n’était rien comparée au traumatisme qu’il a subi en voyant un homme être tué par l’État juste devant lui.

«Ça te frappe, ça te frappe au visage et c’est terrible», dit-il.

Malgré tout, il prévoit de retourner à Terre Haute pour servir de conseiller spirituel à Dustin Higgs, un condamné à mort qui doit être exécuté le 15 janvier, cinq jours avant l’inauguration de Biden.

«Je ne veux pas, mais je ne dirais pas non», a déclaré Nur. «Si cela fait une différence dans ses dernières minutes sur Terre, je vais le faire.»

Ce texte initialement publié sur le HuffPost États-Unis a été traduit de l’anglais.

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