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Pauline Marois, une dirigeante prisonnière de son propre rôle

La nature exceptionnelle des résultats de mardi dernier tient au fait que le gouvernement libéral a été défait sans que l'électorat n'appuie pour autant le Parti québécois et son programme. Par ailleurs, la CAQ a raflé juste assez de votes pour que le gouvernement tombe, mais pas assez pour s'imposer de manière permanente sur la scène politique.
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Le Québec vient de connaître une élection générale exceptionnelle, qui a révélé au grand jour la rupture entre la classe politique et un public qui ne lui accorde plus aucune confiance. De nature très contemporaine, cette élection a aussi une valeur d'avertissement, compte tenu des événements tragiques de mardi soir.

Le terne gouvernement libéral, au pouvoir depuis 2003, a fait preuve de mollesse dans le dossier étudiant et s'est empressé de déclencher une élection avant qu'un rapport sur la corruption dans l'industrie de la construction ne l'éclabousse davantage. Or, dans l'histoire du Québec, les seuls premiers ministres capables de se faire réélire indéfiniment ont été des personnages plus grands que nature, qui savaient satisfaire les groupes de pression et favoriser la croissance économique, tout en protégeant la culture distincte des Québécois et les droits qu'ils jugent essentiels à leur épanouissement dans la seule juridiction francophone supra-municipale d'Amérique du Nord. Maurice Duplessis, Louis-Alexandre Taschereau et Sir Lomer Gouin sont les champions absolus de cette catégorie, avec respectivement cinq, quatre et quatre mandats de premier ministre.

Le Parti libéral du Québec, appuyé par la presque totalité des électeurs non francophones et une bonne partie des fédéralistes francophones, peut gagner aisément la plupart des élections puisque chacune des ces catégories constitue environ 20 pour cent de l'électorat. La victoire est possible même lorsqu'un chef sans saveur ne parvient pas à marquer l'imaginaire collectif. Celui-ci doit tout de même être un brillant tacticien, une sorte d'équivalent francophone de Mackenzie King.

Robert Bourassa et Jean Charest sont les meilleurs exemples de cette seconde catégorie. Ces deux chefs ont perdu leur élan lorsque leur aile fédéraliste s'est fragmentée. En 1976, la colère des anglophones, qui résultait de l'adoption de la Loi sur la langue officielle, s'est soldée par une division du vote fédéraliste, un ultime rebond de l'Union nationale et la défaite de Robert Bourassa. Cette semaine, Jean Charest a été défait par une faible marge, car la Coalition pour l'avenir du Québec (la CAQ, qui s'est rapidement constituée en parti politique) a habilement exploité l'impatience des électeurs envers la corruption et les errements bureaucratiques du Parti libéral.

La nature exceptionnelle des résultats de mardi dernier tient au fait que le gouvernement libéral a été défait sans que l'électorat n'appuie pour autant le Parti québécois et son programme. Par ailleurs, la CAQ a raflé juste assez de votes pour que le gouvernement tombe, mais pas assez pour s'imposer de manière permanente sur la scène politique.

Il convient de rappeler que le Parti québécois est le seul tiers parti qui a su se hisser parmi les grands, prendre le pouvoir et participer à l'alternance politique. Cette formation a en quelque sorte remplacé l'Union nationale de Maurice Duplessis auprès des nationalistes déçus.

L'Union nationale elle même n'était pas un tiers parti, mais plutôt le pendant provincial du Parti conservateur, chez qui Duplessis avait réussi à attirer une poignée de libéraux dissidents. Duplessis et son fidèle acolyte Daniel Johnson ont réussi à regrouper les électeurs conservateurs et nationalistes, qui constituaient chacun 20 pour cent de l'électorat. Après 1968, l'aile conservatrice a repris le dessus et les nationalistes ont fait désertion.

Durant la Seconde Guerre mondiale, le Bloc populaire représentait une option encore plus nationaliste, mais Duplessis a réussi à dépeindre ses membres comme des sympathisants fascistes et ceux-ci ont graduellement disparu du paysage après l'élection de 1944. À l'instar du Bloc populaire qui n'a pas su déloger l'Union nationale, je crois que la CAQ n'a pas suffisamment ébranlé le Parti libéral pour qu'une fusion des deux partis soit envisageable ou souhaitable. Tout le contraire des Libéraux fédéraux, écrasés par le NPD l'an dernier.

Quant aux électeurs, ils ont réussi à montrer la porte de sortie au Parti libéral, sans appuyer l'ordre du jour séparatiste ni mettre un terme définitif au bipartisme. Les Libéraux ont recueilli 31 pour cent des votes, le Parti québécois 32 pour cent et la CAQ 27 pour cent, tandis que les séparatistes de Québec solidaire ont obtenu à peine 6 pour cent des suffrages.

Je dirais à cet effet que les Québécois sont les électeurs les plus raffinés et subtils au Canada. Malgré leur statut minoritaire, ils ont toujours su exercer un pouvoir disproportionné sur la scène fédérale. De Wilfrid Laurier à Paul Martin (soit de 1896 à 2006), le poste de premier ministre a été occupé par des canadiens français parfaitement bilingues durant plus de 60 ans. Sans compter que des « co-premiers ministres virtuels » francophones sont restés dans l'ombre de Mackenzie King et de Lester Pearson pendant 27 ans.

Par rapport aux hommes d'État distingués qui l'ont précédée, la nouvelle première ministre Pauline Marois manque cruellement d'envergure. Au sens politique, elle apparaît prisonnière de son propre corps. Mme Marois a essayé de finasser avec la question référendaire, et tout le monde sait que les référendums péquistes ne sont que des questions pièges pour inciter les Québécois à demeurer dans le Canada et jouir pleinement de ses avantages, tout en échangeant des formules protocolaires dans les organismes internationaux, au nom de l'épée de Damoclès nommée souveraineté. Après avoir tergiversé pour la énième fois au sujet de sa principale raison d'être, le Parti québécois a devancé les Libéraux par moins d'un point et a obtenu une légitimité parlementaire très faible. Mme Marois, qui est une ardente séparatiste, est politiquement condamnée à demeurer dans un état neuro-végétatif.

Le Parti libéral et la CAQ sont anti-séparatistes, bien que l'ex-ministre péquiste François Legault ne puisse être considéré comme un défenseur fiable de l'option fédérale. Par ailleurs, les séparatistes purs et durs ne représentent pas plus de 15 pour cent de l'électorat. Si l'on ajoute les constitutionnalistes qui veulent le beurre et l'argent du beurre, le total des votes souverainistes ne dépasse pas les 40 pour cent obtenus par le « oui » lors du référendum de 1980. Le dilemme du Québec demeure entier. Comme le disait à la blague Yvon Deschamps, les Québécois veulent « un Québec indépendant dans un Canada fort ».

La fameuse question « What does Quebec want » pourrait également donner lieu aux réponses suivantes : faire le moins d'enfants possible tout en maintenant le poids démographique de la province dans la fédération; continuer d'utiliser le passeport et le dollar canadiens; occuper des emplois de cols blancs dans un secteur public tentaculaire; bénéficier de programmes sociaux généreux qui seront défrayés par l'Alberta, la Colombie-Britannique et l'Ontario; et aspirer à l'indépendance politique complète. Tous ces objectifs sont des mythes qui ne sont pas reconnus comme tels. La dernière élection générale est exceptionnelle, car elle n'a pas ébranlé le moins du monde la croyance des électeurs dans ce conte de fées.

Permettez-moi de passer maintenant au caractère contemporain de cette élection. Je crois en effet que nous avons eu droit à un amalgame des plus récents scrutins britanniques et français. Au Royaume-Uni, tous les partis ont été désavoués. En France, le gagnant de l'élection présidentielle n'a pas les qualifications requises pour assumer ses fonctions, s'il n'est pas carrément incompétent. Toutes proportions gardées, Jean Charest ressemble à Gordon Brown et François Legault fait penser à Nick Clegg, tandis que Pauline Marois n'arrive pas à la cheville de David Cameron. Je la vois plutôt comme un François Hollande travesti et moins cosmopolite.

Enfin, j'ai mentionné d'entrée de jeu que cette élection avait une valeur d'avertissement. Les coups de feu qui ont coûté la vie à un technicien de scène, alors que Mme Marois s'adressait à ses partisans, lui étaient probablement destinés. Mon constat est que le Québec ne pourra pas continuer éternellement d'agir par frustration en opprimant ses minorités culturelles. (Je parle évidemment de la frustration de ne pas résoudre la quadrature du cercle, ou de ne pas atteindre tous les objectifs irréalistes mentionnés plus haut.) La liberté d'expression a été proclamée par Franklin D. Roosevelt et Winston Churchill dans la Charte de l'Atlantique de 1941, au large de Terre-Neuve. Ce principe a ensuite été incorporé à la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 ainsi qu'à la Constitution canadienne. Le Québec doit choisir s'il est une terre de liberté d'expression ou pas.

Les anglophones forment 90 pour cent de la population au nord du Rio Grande, et presque 20 pour cent de la population québécoise. Les anglophones bénéficient d'un statut officiel depuis le traité de Paris de 1763, qui a mis fin à la Guerre de Sept Ans. Il est donc inutile d'échafauder des stratagèmes toujours plus absurdes, ou de recourir à des mesures discriminatoires qui portent sur des peccadilles. Cela pourrait mener à encore plus de violence.

Lorsqu'une bombe a éclaté à la Bourse de Montréal en 1969, le fondateur du Parti québécois René Lévesque a regretté l'incident, mais a aussi déclaré qu'il était le résultat de frustrations. Or les Canadiens-français n'ont pas le monopole de ce sentiment, et ne devraient pas sous-estimer leur capacité à l'engendrer chez leurs concitoyens.

Quoi qu'il en soit, la meilleure option à court terme - et il n'est pas trop tard pour la proposer - est que le chef par intérim du Parti libéral propose une coalition à la CAQ de François Legault. Si M. Legault accepte (et ce serait probablement l'une de ses seules chances de refaire partie d'un gouvernement), Jean Charest devrait prendre rendez-vous avec le lieutenant-gouverneur et lui proposer son successeur à titre de premier ministre.

Jean Charest a d'ores et déjà remis sa démission comme chef du Parti libéral du Québec, mais après une retraite d'une durée raisonnable, on pourrait très bien le voir ressurgir comme chef du Parti conservateur du Canada. Stephen Harper a besoin d'un successeur, et M. Charest a déjà occupé ce poste avec brio dans le passé. Il demeure un politicien compétent et bénéficie d'une cote de popularité relativement élevée. Les grands politiciens québécois, à l'instar des généraux français et des politiciens israéliens, ont une durée de vie exceptionnelle. Les Duplessis, Johnson, Lévesque et Bourassa ont tous effectué des retours à la vie politique spectaculaires, et M. Charest est parfaitement capable d'en faire de même. Pauline Marois et François Legault, pour leur part, se retrouveront aux poubelles de l'histoire dans cinq ans.

Pauline Marois prononce son premier discours en tant que première ministre

Attentat contre Pauline Marois

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